Une énorme ligne de basse, une entrée lourde comme un diagnostic aux urgences, une absence totale de recul pour un concentré de colère passive/agressive, et les dés sont déjà jetés. C’est ainsi que débute le nouvel EP du duo NVAGE, qui n’a rien en commun avec la chanson éponyme de Django Reinhardt. L’univers des parisiens serait plus en adéquation avec la désillusion brutale de GODFLESH, dont ils empruntent la fumée matinale et la lumière blafarde de nuit, bien que d’autres panoramas s’ouvrent au fur et à mesure de l’écoute. Mais en substance, cet EP éponyme pourrait être la plus belle métaphore sur notre situation actuelle depuis les news de BFM TV.

Clément Decuypere (chant/basse 6 cordes) et Jérémy Hourdoir (batterie) n’ont pas choisi la voie la plus facile. A deux seulement, avec une basse qui occupe la place de la guitare, et des déviations plus aérées dans l’antre du Shoegaze le plus insidieux. On a vu mieux comme recette pour planter le drapeau, mais j’ose imaginer avec certitude que les deux acolytes triomphent en live, en occupant tout l’espace sonore. Il faut avouer que l’on se sent à l’étroit dans cette musique, à la manière du chat de Schrödinger, ni vivant, ni mort et les deux à la fois, attendant que le couvercle bouge pour connaître la vérité. Celle des frenchies est simple : rien, laid, chaotique, bruyant et parfois cacophonique, mais réaliste et digne de son époque.

Un hiver sans fin qui s’annonce rude et sans pitié. NVAGE a beau aimer les harmonies amères et les silences soudains qui l’éloignent de ce Sludge Indus froid, il n’en reste pas moins en chasse gardée, distillant ses crises de colère avec une belle intelligence. Cette opposition entre quiétude et inquiétude est le point fort d’un disque parfait comme il est, juste assez long, juste assez lourd, juste assez tendu.

Son parangon est visible durant les cinq minutes de « Come Alive ». Archétype de Post-Metal pas innocent pour deux sous, ce milieu parfaitement dosé reprend la dualité annoncée en style de prédilection. On y entend des nappes de chant spectral, des hurlements inopinés, et des coups de boutoir basse/batterie, qui finalement s’accordent bien d’un manque total de guitare, qui pourrait être baryton vu la gravité du ton. En restant honnête et inflexible, le duo marque des points précieux, et se pave une voie royale dans un créneau qui ne supporte pas l’investissement partiel. En choisissant de se passer de fade out et en enchaînant tous les morceaux d’un trait, Clément et Jérémy ont fait le choix de l’homogénéité qui rend service au propos artistique. C’est ainsi que le fondu vers « Blind Eye » prolonge le cauchemar, et permet à Clément de vomir sa bile et de libérer ses tripes d’un trop plein de ressenti.

Produit avec précision, ample et d’une dynamique de saison, Nvage n’est guère un disque d’été, pourtant là depuis quelques semaines. Nvage est un retour à la réalité après des vacances prévisibles, mais libératrice. Une routine qui s’installe de nouveau, le gris du béton, le froid en oraison, et les allers et retours au boulot. Pas de quoi sourire, encore moins rêver, et si le fantôme de NEUROSIS s’invite parfois au banquet de cette existence morne, c’est pour mieux rappeler que le Post Hardcore accuse plusieurs décennies d’existence.

Rois du riff lâché avec dédain, princes de la saccade étrange et découpée main, les deux membres de NVAGE n’ont pas peur d’exagérer les choses, puisque l’excès est devenu la norme. Ainsi, ils fricotent avec le Post Black sur le terminal « Haunted », ballet fantomatique effrayant et braillé au-delà de toute humanité. Redondant, grouillant, cet ultime titre rend hommage à la vision blême de Justin Broadrick, dans cette Angleterre décidément pas très drôle qui a enfanté des pires exactions.

Mais la France peut être très déprimante aussi. Vraiment. Et à Paris comme ailleurs, les âmes en errance se demandent encore comment traverser les ponts d’indifférence. Une Seine comme une autre dans la pollution des corps et des cœurs qui ont compris que la lutte était finie.    

Titres de l’album :

01. Savior

02. In Here

03. Games

04. Come Alive

05. Blind Eye

06. Haunted

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