Est-ce que ça vous est déjà arrivé de croiser un chien, ou un bébé, tellement moches qu’ils en devenaient mignons ? Tout du moins, attachants ? Oui ? Moi aussi, et j’aime bien ce phénomène étrange. Parce qu’il fonctionne aussi dans le domaine artistique, et spécialement dans les musiques extrêmes. Prenez les Mâconnais de GOZER, ils sont moches comme tout musicalement parlant, ce qui les rend encore plus fondants. Oui, je sais, la beauté dans la laideur, tout ça, et bien plus encore.

Mais c’est vrai que leur musique est vilaine, dans le bon sens du terme. Un gros Death/Thrash ou l’inverse, joué comme des gorets, mais avec un minimum de finesse pour ne pas glisser sur sa propre fiente. Et je pense sincèrement que Guillaume Poncin y est pour beaucoup. Déjà, parce qu’en changeant une lettre à son nom ça donne Guillaume Porcin, ensuite parce que son chant est vraiment méchant, sale et grognon. Les critères étant ce qu’ils sont, chacun appréciera la subjectivité de cet argument.

Mais Guillaume n’est pas seul dans l’aventure. Il est accompagné par Alexandre André (basse/chant), Guillaume Thierry (batterie) et Olivier Cagnin (guitare), pour un quatuor en autoproduction, mais au site officiel très bien rangé. En voyant la pochette de ce premier album, j’ai évidemment craqué. Un gros démon vraiment pas beau, un lettrage qui occupe les deux-tiers de l’espace, et puis, cette mention : This Is Gore. Elle fonctionne un peu comme this is gonna hurt, mais en pire. On va se les faire bouffer, mais sans vraiment savoir à quelle sauce.

La sauce justement est gentiment relevée, et symptomatique de cette transition entre les 80’s et les 90’s, lorsque les groupes de Thrash durcissaient le ton pour s’acoquiner avec les truands Death et produire un barouf de tous les diables. Lucifer se satisfait très bien justement de cette sortie, qui est devenue sa bande son préféré pour torturer les humains condamnés. Il faut dire que le seigneur des ténèbres n’a pas pu résister à la déclaration d’amour qu’est « Hell on Earth », qui déplace toutefois son univers sur notre planète. Mais le roi des malins sait très bien depuis longtemps que son influence déborde de nos frontières. Et de l’imaginaire de George Romero.

Mais alors, c’est gore ou pas ?

Oui, mais modérément. Pas question d’emballement pour caresser le poil d’un CANNIBAL CORPSE ou les tics hystériques de SACRIFICE ou DEMOLITION HAMMER. On rentre dans le lard, mais en prenant soin de ne pas exploser l’estomac du premier coup. Alors, on module avec quelques mélodies, des passages plus soft, et de soudaines embardées qui donnent la nausée. Mais en profitant d’une bonne production, sans artifices inutiles, pour ne pas gâcher l’inspiration très roots. Alors, Gore, oui, mais pas non plus les gerbes de sang et de tripes qui collent au mur.

Le mur des blâmes en station. Et les blâmes fusent sur cet album, qui se permet même des moments de rage pure, concentrée en un détergent de l’esprit plus radical qu’une idée véreuse. « The Fall (the Rebirth) », lent, lourd et oppressant assombrit encore un peu plus l’atmosphère qui devient vite éprouvante. Mais cette sensation est bien évidemment celle recherchée, et contribue à rendre ce premier jet encore plus sympathique.

Sympatrique même. Le priapisme cérébral est l’une des choses les plus difficiles à contrôler, mais mon hémisphère gauche s’est soudainement débridé pour me faire voir la mort du côté le plus attirant. Le plus amusant aussi, mais sans tomber dans la gaudriole d’un film sans scénario, et uniquement basé sur des massacres plus ou moins obscènes.

Le propos ici l’est, sans conteste. GOZER, en bon gonzo de l’enfer ne fait pas grand mystère de ses affinités guerrières, et ose même piquer un riff ou deux à HELLHAMMER pour bien souligner son caractère difficile, mais respectueux. « 666 » est donc une ode satanique à la bestialité la plus ouverte, et malgré ces quelques sifflantes joyeuses, le beat martelé en mode 254 BPM et ce chant décidément bien moisi transforment la partie fine de Lucifer en boum d’enfer, le signe du diable tatoué sur le derrière.

Sans guiboles, la fête est plus folle. En bon cul de jatte de la technique inutile, le quatuor trace son chemin à travers la jungle de son ressentiment, et nous en colle de bonnes derrière les oreilles crasseuses. « Resurrection » ne donne pas vraiment envie de sortir de sa tombe, et « Lilith » propose des méthodes de drague à la limite de la nécrophilie. Mais que cette démonstration de virilité est bon enfant, et que ces morceaux sont entraînants ! Alors, certes, GOZER est très, très vilain, mais il est tellement attachant qu’on lui caresse les babines. Qui bavent.

On ne vendra pas le truc comme une nouveauté suintant d’originalité, mais plutôt en mettant en avant ses qualités de défouloir. Ainsi, le title-track « This Is Gore » place quelques dissonances, avant de se jeter dans la bataille en costume de Chris Barnes. Un peu de Crust, de Hardcore pour garder le teint bien rubicond, une énergie bas de plafond, et une célébration de la vilénie gratuite, mais structurée. CELTIC FROST laisse son empreinte sur « Necromancer », et « Heaven of a Psychopath » joue la carte tardive du Thrash pour nous aplatir.

This Is Gore. Oui, ça l’est. Mais pas que, et surtout pas tout le temps. Des trouvailles, une bonne humeur générale, pour une entrée en matière hémoglobinée. Pincez-vous le nez, fermez le robinet, et sortez la serpillière. Les relents ne vont pas faire votre affaire.

Titres de l’album:

01. Hell on Earth

02. Incantation

03. Stretch to Your Hands

04. My Sorrows

05. The Fall (the Rebirth)

06. 666

07. Resurrection

08. Lilith

09. This Is Gore

10. Necromancer

11. Heaven of a Psychopath

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