The Sisters of Mercy

The Sisters Of Mercy

Bikini, Toulouse (France)

du 21/10/2023 au 21/10/2023

À l'automne 2011, The Sisters of Mercy avait daigné faire deux dates en province, après des siècles d'ignorance. L'une d'entre elles était déjà au Bikini, mais j'avais alors préféré faire un arbitrage en faveur d'une personne depuis sortie de ma vie… L'occasion était donnée de rattraper cette erreur, même si j'avais déjà vu les Sisters entretemps et que le contentieux qu'Andrew Eldritch entretenait avec rancune contre notre pays, depuis presque l'origine et pour une cause restée mystérieuse, a fini par se consumer. J'ai l'impression de connaître ce groupe depuis toujours, même si c'est l'histoire d'un amour né très lentement au départ pour s'intensifier notablement au fil des ans, au point de devenir l'une de mes formations culte. Il était donc naturel de prendre ses dispositions dès que la date fut connue. Tiens, je n'avais pas encore fait de concert à Toulouse cette année, d'ailleurs.

Si le Bikini a un point faible, c'est probablement le parking plutôt modeste pour une salle de cette envergure. Je suis donc arrivé assez tôt, sachant qu'au pire il n'est pas difficile de se rabattre quelque part dans la zone industrielle alentour. La grisaille du ciel couchant était de circonstance. Dans la queue puis au-dedans se massait un public qu'il était tentant de comparer avec celui de New Order le mois dernier. Sauf que le noir dominait les tenues de manière écrasante, et qu'une proportion significative de Metalleux affichés s'y mêlait. Quelques spectateurs étaient même spécialement apprêtés façon SteamPunk ou érotisé. C'est l'âge moyen très similaire qui suscitait, il est vrai, une comparaison avec les ex-Joy Division ; mais on comptait peut-être une proportion plus faible encore de vrais jeunes ce soir, et parmi eux surtout des filles. Il ne faut pas s'en lamenter : il est difficile d'apprécier vraiment les Sisters avant d'avoir trente ans, et ces quelques précoces méritent le respect.

Le merch de la tête d'affiche ne proposait que de l'habillement, avec une collection un peu plus moderne que les modèles passés.


Pour bien cadrer les choses dans le registre de la piété catholique, l'ouverture était assurée par THE VIRGINMARYS, qui se présentait en duo guitare-chant et batterie. Le son puissant et net aurait fait l'envie de bien des premières parties. Il était au service d'un Power Rock entre Punk et Rock Alternatif, efficace comme ces riffs contondants, énergiques comme ces caisses frappées dur et sec. Le chant et la chemisette à manches très courtes d'un bleu vif assorti à la teinture de cheveux à moitié rasés pouvaient rappeler les heures du Punk mélodique FM à la Green Day, mais nous étions dans des ambiances moins joyeuses, bien que spontanées et portées par un chant tout à fait pro. Quelques passages se rapprochaient du Stoner et apportaient enfin un peu de profondeur à des titres impeccables mais transparents, trop immédiats même s'ils s'affranchissaient du couplet/refrain. Et puis moi j'aime bien qu'il y ait une basse, tout de même… J'ai souvent songé à une version démétallisée de Volbeat, quand le tempo s'en rapprochait le plus. Cette identité très Rock aurait pu les faire passer pour des Ricains plutôt que pour les Anglais du Nord qu'ils sont. Après vingt minutes j'ai eu le sentiment d'avoir fait le tour de cette formation apparemment habituée au rôle de chauffeur de salle pour des gros groupes établis… et qui semble s'en satisfaire parfaitement. Cela tabassait, mais manquait de personnalité pour un groupe de plus de quinze ans de carrière et quatre albums.


La pause fut assez courte avant que n'arrive la tête d'affiche. J'avais une certaine appréhension après avoir vu que sur cette tournée, la setlist habituellement en forme de best of avait été modifiée en profondeur. Et en effet, THE SISTERS OF MERCY prirent possession de la scène sous une clameur des plus fortes pour attaquer non pas avec le titre traditionnellement utilisé depuis des lustres, mais par un inédit jamais enregistré, largement plus sobre et introverti quoiqu'en entraînant. Aussitôt s'ensuivit "Ribbons", titre Rock de l'ultime album de 1990, qui trouvait sa place habituelle dans l'enchaînement. La déclaration d'intentions était explicite : on allait alterner entre un lot restreint de classiques et des nombreux titres que le père Eldritch a écrit depuis trente ans et qu'il n'a jamais souhaité enregistrer proprement, même après que Trump ait été élu. Il en casait toujours trois ou quatre à chaque concert, et les fans les connaissent d'autant mieux qu'ils ont été largement captés et mis sur youtube. Mais l'inspiration lui est revenue depuis quelques années et encore plus pendant les confinements. Et dès le troisième titre on repartait ainsi sur un autre inédit, ce récent "But Genevieve" qui passait parfaitement. Il était déjà hors de doute que nous allions nous manger beaucoup de ces nouveautés et que tout l'esprit du concert serait donc fort différent des fois précédentes. La formation aussi a été modifiée : le colosse Australien a été remplacé par une guitariste asiatique que j'oserais même croire de type précisément Japonais sous les jeux d'éclairage et le brouillard artificiel (bien moins marqué que d'autres fois pourtant). Plus surprenant encore, l'homme qui était sur une estrade à l'arrière à s'occuper des programmations n'était clairement pas Ravey Davey que l'on croyait indéboulonnable. Il y a pourtant fort à faire à ce poste car il faut gérer à la fois la batterie programmée connue sous le nom de Dr Avalanche, les basses si importantes dans la structure des morceaux du répertoire, et les divers effets. Seul rescapé, Ben Christo à la lead guitar a adopté de plus en plus clairement le look maison de dandy rocker derrière des Ray-Ban totalement inutiles mais capitales pour l'apparence, il affirmait sa présence dès le moulinet légendaire et lancinant introduisant "Alice", provoquant un regain d'agitation et une première levée de téléphones parmi la foule bien tassée. Quant au patron, on a fini par ne plus s'étonner de ses difficultés en début de set, le temps de se chauffer les cordes. L'ambiance si particulière de la musique d'Andrew et son orchestre était en place, avec ces mélodies élégantes mais subtilement dérangeantes et déprimées, cette froideur si peu attendues sur des rythmiques aussi Rock, et cette esthétique austère, simple mais extrêmement travaillée jusque dans les détails.

Eldritch joue depuis toujours avec les marges, l'ombre, la lumière et la dérision. Sa propension à se tenir beaucoup aux extrémités de la scène, presque comme s'il jouait pour les coulisses parfois, ses recroquevillements dans l'ombre forment le pendant des poses prises lorsqu'il se tient bien visible au centre ou qu'il offre son visage dégarni pendant de longs moments dans le feu d'un spot (celui-là même qui sert de motif à ses t-shirts les plus récents), laissant luire des lunettes au cadre fluorescent savoureusement décalé à l'instar d'un habillage de scène volontairement négligé. Il est une icône vivante, il le sait et oscille constamment entre l'assomption de ce rôle et la fuite au-devant, se rendant tout aussi sciemment inaccessible et d'autant plus désiré… Et pourtant, sa voix s'améliorant à mesure au profit de textes tout aussi travaillés, d'une poésie noire parfois remarquable et qui valent d'être lus, il osa quelques compliments en français au public enthousiaste.

Il est évident que le choix de nous servir ce menu enfilant l'attendu et le méconnu est un prolongement cohérent de cette esthétique du clair-obscur; qui en devenait encore plus complète. L'architecture était parfaitement calculée, les classiques revenant très régulièrement ramener dans le show ce qui auraient pu s'en détacher, pour laisser ensuite l'attention ouverte aux inédits entrelardés. Un certain nombre d'entre eux sont déjà anciens et étaient connus, mais beaucoup ont été créés pendant les confinements et exhalaient une odeur de nouveauté passablement inattendue chez les fans.

La nouvelle guitariste se chargea de la guitare sèche lorsqu'il le fallait. Et puis, c'est toujours mieux d'avoir une vraie femme pour faire les chœurs féminins qui sont souvent employés. Ben Christo exécuta à la guitare le solo de saxo originel de "Dominion", parmi ces moments d'euphorie accrue autour de la partie la plus familière du répertoire. Et ces fameux titres jamais publiés ? Ils sont dans la droite lignée du passé, ce qui aide certes à leur digestion immédiate, respectant le schéma fondamental du plan simple et racé délayé à l'envi derrière un chant grave jusqu'à emporter l'auditeur-spectateur dans une irrémédiable mélancolie, schéma remontant aux premiers minis du groupe. La ressemblance avec ce qu'ont fait Tiamat ou Paradise Lost à certaines périodes est saisissante, et leur inspiration devient d'un coup éblouissante pour ceux qui auraient pu encore l'ignorer. Ceci étant allié à la puissance des guitares sur des titres comme "More" que l'on attendait au début et qui vint plus tard, ou "Vision Thing", voire l'extrême gravité du tube de soirée résille noire "Marian", il est temps de mettre à bas un malentendu qui n'a que trop duré : The Sisters of Mercy est un groupe de Metal Rock, et n'a jamais été autre chose malgré sa saveur dépressive et dilettante qui nous pousse, moi le premier, à y voir plutôt le monument fondateur du Rock Gothique.

Pendant ce temps, le pari conséquent de cette setlist était en passe d'être gagné. Il m'a semblé que personne n'a décroché ou critiqué tous ces titres rares, l'ensemble étant enchaîné quasiment sans pause, ne laissant jamais retomber la tension dans ces éclairages parfois chiadés, la scène étant décorée de piliers à quatre côtés laissant passer la lumière colorée de grandes lampes longues et verticales serties à l'intérieur. Pendant ce temps, Eldritch témoignait par gestes un peu d'affection pour ses deux guitaristes qui échangeaient parfois leurs places ou faisaient les chœurs dos à dos. Le spectacle s'allongeait délicieusement sur ce tempo incessant, saupoudré généreusement de notes cristallines sur voix mortuaire, les derniers morceaux du set étant assez brefs ou recoupés en version raccourcie pour ceux qu'on connaissait, afin de permettre d'en caser plus. La fin du set nous prit ainsi par surprise.

Il fallut batailler avec ténacité pendant de longues minutes pour arracher un rappel que l'engagement constant du public méritait largement. Laisser le doute s'installer était là aussi parfaitement volontaire. Les Sisters regagnèrent enfin la scène pour un rappel entamé comme presque toujours par le légendaire "Lucretia" qui fit exploser l'assistance dans une célébration longtemps attendue ; je devenais moi-même tout à fait euphorique à sauter les bras grands ouverts, la densité humaine empêchant de tomber vraiment. La communion complète nécessaire au stade final fut achevée avec un délassant "Temple of Love" en version raccourcie et le classique fédérateur et vindicatif qu'est "This Corrosion", rappelant que si certaines rancunes sont visiblement passées, d'autres demeurent fermement enracinées. Ce qui n'empêcha pas le fan légèrement inconscient qui était devant moi dans son t-shirt de The Mission de sauter partout comme tout le monde. Sur ce, le groupe salua ensemble et se retira, le nouveau claviériste jetant des setlists aux premiers rangs – j'étais un peu trop loin.


Setlist non garantie quant aux inédits :

Don't Drive on Ice/ Ribbons/ But Genevieve/ Alice/ I Will Call You/ Dominion-Mother Russia/ Summer/ Marian/ More/ Show Me/ Doctor Jeep/ Eyes of Caligula/ I Was Wrong/ Here/ Crash and Burn/ Vision Thing/ On the Beach/ When I'm on Fire

Lucretia My Reflection/ Temple of Love/ This Corrosion


En sortant, je retrouvai des camarades qui n'avaient encore jamais vus les Sisters et qui se disaient ravis de leur déplacement. En aparté, un vieil anglais dégingandé que j'avais déjà aperçu à mon hôtel me héla avec un accent incompréhensible des Midlands pour me montrer qu'il avait le même t-shirt que moi (une série que le merch a longtemps vendue mais qui ne se fait plus), avec une émotion assez surprenante pour une simple coïncidence vestimentaire.

Cette soirée ne sera pas oubliée, car l'un de mes groupes culte m'a amené dans des terrains inattendus et montré une forme de renouvellement difficilement imaginable il y a encore quatre ans, la dernière fois que je les avais vus. Ceci dit, j'étais justement content que ce soir ne fut pas ma première, car cela m'aurait vraiment frustré de quitter peut-être ce monde sans avoir jamais entendu en live certains classiques passés aux profits et pertes de cette setlist refondée. Resterait, ô Andrew Taylor dit Eldritch, que tu veuilles bien à présent passer quelques jours en studio pour mettre en boîte tous ces inédits anciens et récents. Y'aurait de quoi faire un double album maintenant. Ou même une compilation d'extraits live si tu as une telle flemme. S'il te plaît. Je sais que tu aimes que nous te suppliions. Et tu sais que nous le savons.

Sans l'avoir fait exprès, ce concert était en adéquation plus que parfaite avec les prochains qui vont suivre. Vous êtes prévenus.


par RBD le 25/10/2023 à 12:06
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