Lazare, c’est ce gars malade, chétif, qui a passé l’arme à gauche pendant quatre jours avant que Jésus lui-même ne lui intime l’ordre de se réveiller. Revenir du royaume des morts ? Prélude à l’exploit du fils de Dieu, qui quelques temps plus tard s’échappera de son tombeau sans que personne n’y trouve à redire. Enfin, à part quelques romains sans doute. C’est donc une figure biblique du nouveau testament qui inspire les suisses de VOLLMONDPROZESSION et leur patronyme improbable. Et ce premier album lui aussi empeste le linceul moisi et la prestidigitation improbable.

La procession avance à bon rythme, même si les pleureuses sont anonymes. Comme les âmes charitables qui épongèrent le front de Jésus ou lui nettoyèrent les pieds. Nous évoluons donc en terre BM sacrée, pèlerinage souligné par un lettrage improbable et une pochette tout aussi hermétique. Doit-on s’apprêter à partir en croisade ? C’est ce que semble indiquer cette cotte de maille et cette épée portée par un personnage énigmatique, autant que cette musique sortie du fin fond des enfers pour effrayer la bigote en mal de rédemption et de délation des péchés d’autrui.

Mais voyons si l’on peut être plus prosaïque et pragmatique.

Une pochette étrange qui sent bon la mise en scène, un logo tout vomi, et surtout, des morceaux qui font la part belle à cet amalgame de violence et de grandiloquence, entre deux riffs congelés et un chœur hivernal évanescent. Le Black Metal se devant d’être laid, repoussant et chaotique, on peut affirmer que le concept suisse tient le bon bout de la crédibilité. Son approche de ce Metal extrême l’est vraiment, et les couches de chant noyées dans le mix avant d’être superposées comme par magie noire, rappellent les plus grandes heures de ce style si créatif et prolifique. Mais ici, l’optique est radicale, et le résultat assez proche de retrouvailles post-mortem sans réelle justification.

En prenant les éléments constitutifs un par un, le bilan est exhaustif. La rudesse du propos, les ambitions cachées sous une épaisse couche d’éthique bruitiste, cette guitare qui tourne dans le vide en recyclant les mêmes idées, et ce tempo qui ne décélère que lors de stances plus Punk, tout y est, et beaucoup plus. « Lazarus » donne le ton et le la, et comme le thon, ne s’arrête surtout pas sous peine de ne plus respirer. On est immédiatement averti du caractère oblique de l’œuvre, qui refuse la facilité du BM traditionnel : ici, on essaie de rendre chaque détail le plus laid possible, même si une certaine mélancolie s’échappe de l’œuvre comme du fiel d’un foie sans foi.   

L’ambivalence du propos est donc sa force, d’autant que Lazarus ne se perd pas en conjectures, et maintient son niveau tout au long d’un métrage en noir et blanc granuleux. Un peu l’équivalent de La Nuit des Morts-Vivants de Romero en musique, Lazarus marche à l’économie, mais respecte l’esprit décadent des réalisations les plus underground.

On pourrait presque dire que ce premier volume incarne l’essence même d’un style qui tout en se régénérant constamment, revient toujours vers ses racines pour se souvenir de sa raison d’être. Ainsi, « Judasbaum » pourrait très bien dater de 1993, et « Trag Die Sieche » de 1992, alors que le genre n’allait pas tarder à laisser ses œuvres les plus symptomatiques se déverser sur un monde médusé…et effrayé.

On prend note de ces intros en feedback qui rappellent que la précision et le confort d’écoute sont des données que l’équation ne prend guère en compte, la seule constante importante étant l’authenticité du mal et son expression la plus vile. Ces strates grégoriennes ne sont pas sans évoquer le mythique MAYHEM d’Euronymous, dont VOLLMONDPROZESSION partage les vues les plus glauques et sombres. De fait, Lazarus tente de formaliser la douleur d’une résurrection après quatre jours de décomposition, et l’éveil d’une âme à une force supérieure.

Une force divine mais maligne qui contamine les cœurs comme elle noircit le ciel.

On aurait pu craindre quelques clichés trop folkloriques, des poussées trop pensées et autres détails encombrants et made in China, mais il n’en est rien. Et même lorsque ce collectif mystérieux se laisse aller à up tempo beaucoup plus raisonnable, il n’en perd pas pour autant son venin. « Kreuz Am Berg » est totalement infâme, et digne des meilleures sous-productions de DARKTHRONE.

Chacun voit midi à sa porte, mais j’aime à croire que la bestiole qui frappe la mienne n’a pas que de bonnes intentions à mon égard. VOLLMONDPROZESSION est un VRP de l’abomination, et croit en son produit comme un commercial à son pourcentage. Le deal est plus qu’honnête, et la qualité incontestable. Jésus pouvait bien marcher sur les eaux, réveiller les morts et absoudre l’adultère, il n’en était pas moins un gourou de secte subtilement egocentrique, et un personnage autocentré qui n’aimait rien tant que se faire admirer par la plèbe. Morte ou vive d’ailleurs.  

Titres de l’album :

01. Lazarus

02. Sternenstandarte

03. Morgenstern Luzifer

04. Sühnetod

05. Judasbaum

06. Trag Die Sieche

07. Kreuz Am Berg

08. Schwertleite

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