Les sorties s’enchaînent et se ressemblent parfois, et il arrive que la logique suive des principes un peu aléatoires. Si vous faites un tout petit effort de mémoire, vous vous souviendrez peut-être d’un groupe de Dallas dont je vous avais parlé il y a quelques temps. Un groupe assez difficilement situable sur la mappemonde de l’extrême, mais convaincant par sa diversité.
Les CARA NEIR avaient en effet partagé des faces récemment avec leurs compères de WILDSPEAKER, à l’occasion de la sortie d’un split parrainé par Broken Limbs, qui cette fois ci, a pris la charge d’un LP conséquent.
Pas n’importe lequel, le quatrième de la carrière du groupe amorcée en 2008, et qui fait donc suite à Part I/Part II, d’abord parus en deux EP différents, Stagnant Perceptions en 2011 et Portals To A Better, Dead World deux années plus tard.
Mais si le temps passe, l’optique reste la même, décidée mais un peu floue, nette et aux contours pourtant troubles.
Quel créneau occupe donc ce duo improbable (pour mémoire, Chris Francis (Chant, textes) et Garry Brents (Guitares, basse, batterie, programmation et chœurs)), qui refuse de se fixer sur des idées bien définies ? Un créneau libre, qu’eux seuls pourraient expliquer vaguement si l’envie leur en prenait. Mais ne comptez pas sur eux pour ça.
Ce qui est certain, c’est que thématiquement, les CARA NEIR n’ont pas changé leur philosophie sombre d’hémisphère cérébral. Ils ont toujours une vision très pessimiste du sort de l’humanité, et Chris a une fois de plus concocté des textes en phase avec sa conception noire mais lucide du monde. Ainsi, pour lui, la tristesse éternelle est l’état de pensée normal de tout un chacun, ce qui n’est heureusement pas le cas, mais qui semble assez réaliste pour peu qu’on sache observer ce qui nous entoure.
S’il est certain que l’être humain aime à se plaindre de son état, s’il est sûr que le monde court à sa perte, la musique des deux hommes s’accorde très bien de ce regard sombre porté sur notre espèce et notre mode de vie. Là non plus, les choses n’ont pas changé, puisqu’on retrouve toujours cette collision entre mélodies amères et violence instrumentale crue, qui se matérialise autour d’un axe Black très prononcé.
Post BM ou BM ? Telle est la question qu’il n’est pas forcément utile de se poser, puisque les morceaux constituant l’ossature de Perpetual Despair is the Human Condition existent en tant que tel, sans se soucier des querelles de voisinage. Si parfois l’emprunte libre et harmonique du Post BM s’impose au travers de suites de notes mélancoliques, ou de structures évolutives fascinantes, le BM pur et dur se taille quand même la part du lion, et s’incarne dans un magma de blasts essoufflés, ou autour de ces lignes vocales abrasives qui ne tiennent pas compte de la résistance pulmonaire humaine. Les constatations émises à l’occasion de l’analyse du split avec WILDSPEAKER n’ont pas changé, et on retrouve donc une succession de morceaux aux durées variées qui se présentent comme autant de vignettes pragmatiques.
Certaines aiment prendre leur temps et imposer leurs thèmes sur la longueur, d’autres préfèrent ne pas s’appesantir, et lorsque le timing est vraiment serré, le spectre d’un Powerviolence aux délicates touches de Black se matérialise plus clairement (« Window To The Void », mais avec eux, le vide n’existe pas et est toujours rempli de sons dissonants).
A l’inverse, lorsque le schéma est plus complexe, le résultat est plus ambitieux et ambivalent. Trois titres en particuliers se dégagent, l’initial « Spiteful Universe », « Normalcy » et « Chapter I : Coastline Black », qui tous franchissent la barre des six minutes pour des constructions en gigogne fascinantes.
Ce qui n’empêche nullement le duo de se perdre parfois le long de chemins étranges, comme à l’occasion de l’envoutant mais violent « Trials Of The Lost », qui laisse enfin une basse free prendre en charge quelques lignes mélodiques concentriques avant de tout briser en son centre pour imposer des digressions oniriques cauchemardesques, malgré quelques harmonies de guitares délicates.
On retrouve l’allant Black du groupe sur le terrassant « Normalcy », qui entame sa course sans reprendre son souffle, et qui oppose des guitares presque effacées à une section rythmique martelée, et la cavalcade ne semble pas vouloir marquer le pas, puisque la thématique principale s’étend sur plusieurs minutes avant de laisser la place à quelques cassures très brèves et minimalistes.
A contrario, le final emphatique « Chapter I : Coastline Black » aborde les choses avec beaucoup moins de vélocité pour se rapprocher d’un BM très brut au pas très lourd et lent et aux guitares concentriques. Ce son de guitare est d’ailleurs assez symptomatique du groupe qui semble affectionner les productions un peu arides et sans artifices, ce qui rend leur musique encore plus proche de ses possibles racines.
Dans ces moments-là, on pense à la genèse du BM des années 80, BATHORY en tête de liste, avec une légère pointe de HELLHAMMER, patente sur cette dernière intervention. Mais la montée en puissance logique nous oblige à ancrer les CARA NEIR dans une époque plus contemporaine, même si finalement, ils échappent à toute datation, justement par ce mélange de sonorités anciennes et cette façon de décomposer leurs morceaux en plusieurs couches.
Au final, Perpetual Despair is the Human Condition remplit doublement, voire triplement sa mission. Il dépeint en effet à merveille et sans complaisance l’état d’un monde malade de ne pas savoir s’extirper de sa condition, tout en s’inscrivant dans une logique d’évolution de carrière. La versatilité ne nuit en aucun cas à la cohésion, et même en empruntant des éléments de BM, de post BM, de Hardcore et de Grind, le duo de Dallas a réussi à se forger une identité propre, certes assez opaque, mais pertinente.
Il est en tout cas certain que l’humanité n’ira pas mieux en écoutant leurs litanies, mais elle prendra au moins conscience de son pire travers.
Refuser le bonheur pour ne pas tomber de trop haut.
Titres de l'album:
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