Elixiria Ekstasis

Corpus Diavolis

15/03/2024

Les Acteurs De L'ombre Productions

Je pense qu’au bout d’un certain temps, on sait qui on est, ce qu’on veut, et ce qu’on vaut. S’il est aussi possible de rester dans le flou toute son existence, la plupart du temps, un individu aura fait le tour de sa question, et résolu toutes les énigmes. Il en va de même pour les artistes, qui mettent parfois longtemps à trouver leur voie, mais qui une fois la satisfaction artistique assurée, perdurent dans un état de grâce qui permet toutes les audaces, même les plus étranges.

Depuis 2008, CORPUS DIAVOLIS a largement eu le temps de roder sa recette. En plus de quinze ans d’existence, le groupe marseillais est passé du statut d’espoir à confirmer à celui de valeur sure de la scène européenne, finissant même par signer sur la référence Les Acteurs de l’Ombre à l’occasion de la sortie d’Apocatastase, chroniqué en ces colonnes.  

En trois ans, CORPUS DIAVOLIS n’a guère changé, mais s’est légèrement assombri. Apocatastase était déjà une œuvre maîtresse, et peut-être même le pinacle d’une carrière encore verte. Mais une fois digéré l’énorme repas servi par Elixiria Ekstasis, les constats changent et les avis divergent. Ce cinquième longue-durée serait-il celui de l’apogée ? La question méritera qu’on s’y arrête dans quelques mois/années, et en attendant, il est très simple d’apprécier un disque enregistré la haine au cœur et la misanthropie en bandoulière.

Toujours aussi friand de décalage, CORPUS DIAVOLIS nous hypnotise une fois encore de ses mélodies acides superposées à une rythmique massive. Doté d’une production de proportions babyloniennes, Elixiria Ekstasis est une ode charnelle aux plaisirs du même nom, un blasphème poétique récité d’une voix grave et rauque, un essai sur les impies qui brûlent en se délectant de la chaleur des flammes, et plus prosaïquement, une œuvre qui combine la grandiloquence du Black Metal et la sècheresse agressive du Death des années 2000.

She raises high her Chalice and offers her blood, the Elixir of Ecstasy. 

 

Babalon, la grande prostituée, liée à la nature et sa fertilité orne donc cette pochette noir et blanc au sang bien rouge. Les deux cuisses ouvertes pour accepter le coït et enfanter d’un monstre, pour que le cycle naturel se poursuive. Pour en décrire l’état d’esprit et le mythe, les cinq marseillais (King HaD - batterie, Analyser - guitare, Dæmonicreator - chant, Funeral - basse et Kericoff - guitare) n’ont pas lésiné sur les moyens ni économisé sur le décor. On est immédiatement happé car cette célébration d’une violence rare, mais d’une majesté indéniable.

Cette hybridation trouve sa plus belle incarnation dans la diversité des pistes. Il est en effet impossible de reprocher au groupe d’avoir composé un morceau avant de le photocopier jusqu’à ce qu’il en devienne inécoutable, tant les approches, les atmosphères et les humeurs changent, sans perdre de leur cohérence. « Cyclopean Adoration », gros morceau placé en première partie, propose par exemple une longue litanie funèbre entre Death suffocant et Doom grandiose. La lancinance rythmique, ces guitares qu’on croirait empruntées au flight-case de MY DYING BRIDE et CANDLEMASS, ces voix de ténor qui se perdent dans le brouillard, le tableau dépeint est sombre, mais l’ensemble dégage une vitalité morbide assez impressionnante. Si les effets ont une part à jouer dans ce maelstrom, ils ne servent que de glaçage, tant le gâteau est nourrissant par lui-même. Imprévisible, quoique très proche des travaux de 1349 lorsque la vitesse grimpe, CORPUS DIAVOLIS tient à sa singularité, et incarne en quelque sorte la vitrine du BM français que les européens et américains nous envient tant.

Le fond est certes classique, la trame parfois simple à suivre, mais la forme est époustouflante. Loin d’un ballon de baudruche qui se dégonfle au moindre choc, Elixiria Ekstasis est un élixir rare qui procure une extase des sens, et qui vous enivre plus efficacement qu’un filtre d’amour ou qu’un alcool fort. La gueule de bois est donc évitée, mais la luxure suinte par tous les pores. Et les sentiments, contraires, complémentaires, permettent des chevauchements intéressants, et des transitions culottées. Ce qu’on note sur le maléfique et insidieux « Vessel Of Abysmal Luxury » qui une fois encore accentue le côté théâtral pour mieux décrire les agapes chéries par cette prostituée de la mythologie.

Aussi amer qu’il n’est sucré, aussi épicé qu’il n’est doux, ce cinquième album est un modèle de menu au choix vaste. Il y en a pour tous les goûts, que vous soyez porté sur l’efficace et immédiat, ou sur le surprenant et le durable. Entre bestialité clinique nineties et décorum de péplum des années 2000, Elixiria Ekstasis est une cérémonie donnée en l’honneur de l’horreur, et de la communion avec la nature la plus profonde et luxuriante. On se rend compte que cette pochette qui à la base ne sert que d’ornementation est finalement l’image qui hante vos rêves lorsque la musique prend corps, et le cauchemar dissonant, expérimental, avant-gardiste et presque symphonique transforme la nuit en bête sauvage prenant possession de votre âme.

Une seconde partie d’album plus humble rétablira un équilibre instable, avec des titres plus formels et moins alambiqués, mais avec un final de la trempe de « Chalice of Fornication », CORPUS DIAVOLIS insiste sur ses ambitions, et refuse de baisser pavillon. Epique, traumatique, sensationnel et très actuel, Elixiria Ekstasis garde le niveau de qualité atteint par les deux albums précédents, mais ne s’en contente pas. Il va beaucoup plus loin, beaucoup plus fort, et beaucoup plus longtemps.

On embrasse cette instrumentation aux choix étranges et aux sonorités parfois orientales, pour mieux se perdre dans ce mysticisme de fornication, de stupre et de liquide séminal. La saillie est violente, les partenaires nombreux, et l’orgasme de proportions mondiales. Ce qui coule n’est pas toujours très ragoutant, mais les sens réclament parfois une essence particulière pour être stimulés.

Et l’écoute de cet album laisse exsangue, comme un rapport si long que la moindre goutte de transpiration a été évaporée par les chairs bouillantes. Soyez prêts, l’union va se célébrer dans l’excès. Ce qui sied le mieux à ce groupe unique et sans aucune pudeur.       

 

    

Titres de l’album:

01. His Wine Be Death

02. Key To Luciferian Joy

03. Carnal Hymnody

04. Cyclopean Adoration

05. Vessel Of Abysmal Luxury

06. The Golden Chamber

07. Menstruum Congressus

08. Enfleshed In Silence

09. Chalice of Fornication


Site officiel

Facebook officiel

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 05/04/2024 à 17:40
90 %    470

Commentaires (0) | Ajouter un commentaire

pas de commentaire enregistré

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Ratos de Porão + All Borders Kill

RBD 22/07/2024

Live Report

HELLFEST 2024 / Clisson

Jus de cadavre 15/07/2024

Live Report

Escuela Grind + BMB

RBD 08/07/2024

Live Report

The Mandrake Project Live 2024

Simony 05/07/2024

Live Report

Hatebreed + Crowbar

RBD 18/06/2024

Live Report

Nostromo + Nwar

RBD 03/06/2024

Live Report

Dvne + My Diligence

RBD 29/05/2024

Live Report

Anthems Of Steel VI

Simony 24/05/2024

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Satan

Moi qui me fout royalement des J.O., je dois bien avouer que c'est un vrai tour de force de la part de Gojira, avec une scénographie pas piquée des vers. Bravo à eux!Par contre, j'espère qu'ils diffuseront la prestation sans commentaire et avec juste(...)

27/07/2024, 11:02

Simony

Qu'il est bon de voir ces commentaires ! C'était énorme ! Bravo !

27/07/2024, 10:07

Simony

Qu'il est bon de voir ces commentaires ! C'était énorme ! Bravo !

27/07/2024, 10:07

Buck Dancer

J'ai enfin pu voir la prestation ( décalage horaire oblige) et clairement c'était énorme. Du Gojira bien vénère et avec un son qui claque. Ça fait sincèrement plaisir a voir et entendre. Chapeau !!

27/07/2024, 08:43

Tourista

Oui, belle ouverture d'esprit au final. C'est pas tous les jours que cette culture là est assumée chez nous, à vrai dire JAMAIS donc ça procure une sensation étrange et puissante. Gros friss(...)

27/07/2024, 07:23

Buck Dancer

J'y pensais un peu a leur présence. On parle d'un groupe connu et reconnu a l'international et pour une cérémonie qui mettait en valeur la culture française, c'est qu'il ne soit pas présent qui aurait été malvenu.(...)

27/07/2024, 05:45

Saddam Mustaine

Magnifique ! Magistral ! Des monstres ! 

27/07/2024, 05:12

Totoro

Voilà, Chair de poule pour moi ! Et énormément de fierté ressentie pour le groupe, pour le Metal français, et la scène Metal dans son ensemble. J'ai adoré ! Et la scénographie était top ! Puis c'était du Gojira pur ju(...)

27/07/2024, 01:13

RBD

Pas tout regardé, pas tout aimé mais... ce truc-là était historique.

26/07/2024, 23:12

Jus de cadavre

C'était fou, point barre.

26/07/2024, 23:01

Wildben

Il y aura toujours des pisse-froid pour critiquer mais putain, quelle carrière !

26/07/2024, 20:01

Saul D

Et Lars jouera dans un film d'art et essai de Glen Danzig? Just joking...

26/07/2024, 14:21

Capsf1team

A retrouver en live au Puy du Fou

26/07/2024, 10:24

Humungus

La drogue c'est mal, m'voyez... ... ...

23/07/2024, 07:58

Humungus

J'ai rien contre Agell, mais passer après Wagner, c'est une putain de gageure...A voir (ou plutôt à entendre) ce que cela vaut avec Reagers... ... ...

23/07/2024, 07:43

RBD

L'intermède du projet parallèle Corrupter annonçait assez bien cette suite pour le principal. C'est une forme de retour aux sources du Death le plus obscur, mais par un chemin un peu différent que les premières publications du groupe Cévenol au (...)

22/07/2024, 19:23

totoro

ce serait sympa un nouvel album de Tiamat !Tiens d'ailleurs, quelqu'un aurait-il un retour à faire de leur concert au Hellfest ?Merci d'avance !

21/07/2024, 13:53

Gargan

La signature chez Prophecy laissait supposer un changement de style, on n’est plus en effet sûr du black up tempo. Pas sûr qu’ils aient dû garder le même nom.

20/07/2024, 14:45

Ivan Grozny

Ah mince alors :(

20/07/2024, 11:20

petite catin

En même temps, fallait pas espérer qu'ils reprennent 666 millions d'esclaves et de déchets de Peste Noire.

19/07/2024, 15:49