J'ai déjà eu l'occasion de rappeler les souvenirs que nous devons à Head Records, quand la structure s'occupait au moins autant de l'organisation de concerts que du label et de sa distro'. Depuis le COVID et l'arrêt des festivités dans la petite salle qui accueillait habituellement sa programmation, l'activité s'est réorientée surtout vers les deux derniers domaines. Mais il nous sort encore de temps à autre quelques belles affiches. Je n'ai pas pu être là pour Pneu plus tôt cet hiver, mais cette fois c'était bon et en plus ça collait mieux aussi avec mes goûts personnels.

Et pourtant, cette soirée a failli ne pas avoir lieu en raison du faible nombre de préventes, le maintien du concert étant finalement confirmé quelques heures avant seulement. Je ne m'attendais pas à ce que cette menace ressurgisse pour un plateau de Hardcore Sludge, style qui avait ses fans à Montpellier. Ayant déjà subi jadis des annulations pour cette cause sur de jolies tournées Death ou Grind de niveau international mais underground, je ne connais que trop les conséquences de long terme de ce genre de péripétie qui éclaire cruellement le manque de public dans telle ville, et les tourneurs et programmateurs s'en souviennent longtemps. Cela signifie ensuite des famines de plusieurs années où il faut se satisfaire de groupes locaux, de petites tournées purement françaises, et se déplacer plus souvent entre quelques passages de gros noms de Metal pas du tout extrême. Autrement dit tout type d'affiches où, pour des raisons propres à chacune, on ne se pose pas la question de la rentabilité que des groupes étrangers plus confidentiels sont obligés de prendre en compte date par date nonobstant la passion.

Devant et dans la salle, se retrouvait effectivement le niveau d'assistance habituel dans le temps pour ce type d'affiches, dans des caves plus modestes et moins confortables que l'Antirouille. Et pour dire vrai, c'était composé de pas mal de gens que l'on côtoyait déjà il y a quinze ou vingt ans, avec quelques autres plus jeunes néanmoins. Nous avons été tellement habitués dans les temps anciens à prendre nos places à l'entrée que beaucoup d'entre eux avaient cru pouvoir faire de même, certainement. J'arrivai vanné après une quinzaine stressante, et un même titre de Viagra Boys passait en boucle pour meubler l'attente.

Finalement c'était le trio Danois KOLLAPSE (coucou Breach !) qui tirait le premier, avec une intro plutôt Indus rituel et le guitariste comme premier chanteur. Ils sont signés chez Head Records, justement, et défendaient leur dernier album de 2024. Le propos reprenait un Hardcore Noise (NoiseCore ?) aux relents Post-Metal, avec des paroles dans leur langue qui passait aussi bien que l'Anglais habituel. C'était dur comme les frappes du batteur aux cheveux longs, qui bastonnait un kit réduit quant aux caisses. Les riffs restaient classiques dans le style, mais les compos étaient pensées, avec des architectures variées où les effets Indus de la vieille école renforçaient l'arrière-goût sinistre d'un répertoire d'abord méchant, comme l'éclairage bleu virant parfois vers les blancs, froid et cru. Le chant était assuré majoritairement par le bassiste, au timbre plus rauque, les deux hurlements étant complémentaires. Le public adhérait. Explosif mais sombre, le répertoire lui imposait une tension touchant à l'emprise, décidant quand il pouvait se relâcher un peu pour se reprendre une tarte. Les deux musiciens debout s'engageaient physiquement, mais sans se détourner de leurs micros. En bons Scandinaves, la seule tentative de communication se limita à quelques mots chuchotés comme s'ils avaient peur de réveiller les enfants (!), pour nous remercier et féliciter un fan du premier rang pour son t-shirt d'Unsane. L'influence de cette formation sur les Aalborgiens est évidente, comme on pouvait penser aussi à un Helmet des débuts radicalisé… et impossible de ne pas ajouter à ces comparaisons, de nos jours, certains titres de Chat Pile. Une séance de tripotage des pédales et vibrato, à genoux, termina le set selon une chute là encore classique, mais cohérente avec cette part Noise et Indus qui avait traversé toute la démonstration d'une quarantaine de minutes seulement. Je l'aurais prolongée volontiers car, comme par miracle, la fatigue physique s'était faite oublier.

En fait, c'était surtout GREAT FALLS qui était attendu par un public remonté par les circonstances. Les membres de cet autre trio avaient largement fait leurs preuves dans d'autres formations comme Jesu (!), Deadguy et surtout Playing Enemy qui était passé nous visiter il y a pile vingt ans. Les trois Américains (de Seattle…) entamèrent leur set l'air de rien comme en enchaînement des dernières balances, le guitariste Demian Johnston criant les premiers vocaux en dehors de son micro sur des notes faussement calmes qu'on aurait juré empruntées à Neurosis comme un avertissement de la seconde dérouillée à venir. Les vétérans balancèrent un Hardcore Noise encore plus agressif, dont la puissance d'impact était alourdie par ces quelques passages presque acoustiques plutôt Sludge qui formait un contraste redoutable. La production aussi était plus lourde que pour la première partie, légèrement plus sale par une insistance sur le fuzz. Un fan de Metal extrême ne peut rester indifférent à ces étalages contrôlés de violence cathartique, brute et bourrue, émanant d'un autre continent. D'ailleurs, Johnston avait un t-shirt de Blood Incantation. Là encore le batteur tapait très dur, avec des parties parfois brillantes si l'on peut prendre ce terme dans une atmosphère qui s'était encore assombrie. Le bassiste était intenable dans son coin, hurlant silencieusement les paroles entre deux bonds sur les retours. Bien des groupes pourraient envier cet engagement, cette cohésion qui ferait croire que le trio formait une seule personne. Cette sauvagerie passablement obscure exprimait une rage existentielle qui confinait par moments aux sanglots, suivant certaines inflexions du chant. Johnston communiqua moins timidement, mais dans un anglais tellement mâché et vraisemblablement marqué par un accent régional que j'ai eu du mal à le comprendre. Un titre plus long incluant une boucle enregistrée de guitare plutôt claire, répétée jusqu'à l'obsession, laissait deviner le terme qui échut par la basse légèrement frappée contre l'un des baffles suspendus de côté. Le groupe prit son temps pour apprécier les vivats et applaudissements finaux largement mérités, faisant espérer un rappel d'autant que le bassiste paraissait encore hors de lui – je m'attendais presque à ce qu'il fracasse son instrument. Mais ce second set s'arrêta là après une cinquantaine de minutes qui avait paru plus longue tant c'était intense.

Satisfait mais fourbu, je n'ai pas beaucoup traîné en dépit de la proximité de la salle avec mon domicile, ma douche et mon lit m'attiraient beaucoup plus maintenant que tout était accompli. Nous rediscuterons une autre fois avec les uns ou les autres.

On se serait presque cru revenu à l'ère bénie des légendes Américaines du genre dans une cave en ville pour 7 €. Ces temps sont bien finis, l'inflation ayant frappé sèchement le coût de revient des concerts indépendants, qui a dû notamment s'ajuster à la hausse des charges pour les salles. S'il semble heureusement que le la hausse des prix de billets pour ce type de plans ne dissuade pas encore significativement le public, penser à réserver facilitera aussi la pérennité de la scène.