Si certains disques vous prennent à revers ou vous surprennent une fois la première impression passée, d’autres au contraire affichent leurs options comme on met un t-shirt revendicatif pendant une manif. Pas de doute à avoir, le concept iranien DESESPERE est d’une franchise rare. Un nom qui nous parle à nous, francophones, une optique résolument sombre, un parcours du combattant et une croix que l’on doit tous porter. Quatrième album de ce duo prolifique formé par H. Karnik (instrumentation, BROKEN PILLARS, ERANCNOIR, ETHERALDINE, FORELUNAR, FORESTIONIST, MENAKERET, NEONSCEPTER, URNSCENT, ex-TAURVI, ex-SUN ADDICTED FAMILY) et E.Shade (chant, ASTWIHAD, BROKEN PILLARS, ENSCELADOS, URNSCENT), qui une fois encore se bat pour la cause des pathologies mentales, du désespoir et de la solitude.

On dirait du, et ça sonne comme. Comme quoi ? ABRUPTUM évidemment, du latin de ce titre interminable en passant par une unique composition de plus d’une demi-heure, l’analogie est flagrante, et même peut-être recherchée. Et pour être plus précis, on pourrait envisager cette douleur à une association entre le duo expérimental et morbide suédois, et la lancinance macabre d’un ENCOFFINATION, tant la lenteur est reine et délicieusement poisseuse.

Le message est clairement indiqué sur le Bandcamp du duo, qui ne tourne pas autour du pot. Ainsi, ce nouveau chapitre est résumé en ces mots :

De Maledictione Vitae et Cycli Vitiosi Aeterni Cruciatus est un témoignage de la vanité de la vie que nous chérissons tant et sa monotonie qui ne porte avec elle que l’apathie et l’état ultime d’isolement. DESESPERE a toujours été notre refuge pour exprimer les tumultes intérieurs et toute la misère et l’austérité qui nous accable chaque jour, et cet album est l’exposition la plus pure de ces recoins sombres de nos âmes. Ce n’est pas de la musique que vous entendrez, mais plutôt la fréquence de notre tourment.  

Voilà qui est limpide et obscur à la fois, mais qui a le mérite de résumer en quelques mots la portée artistique de la démarche. Si l’intention était de traduire musicalement l’ennui, le renoncement, la solitude et la maladie mentale, l’objectif est atteint et de la plus franche des façons. Basé sur une rythmique qui consiste en quelques coups de grosse caisse/crash, à peine égayés d’une caisse claire éparse et timide, De Maledictione Vitae et Cycli Vitiosi Aeterni Cruciatus brode des thèmes Ambient par l’entremise d’un synthé à l’économie, et d’une guitare qui n’intervient que par plaquage funèbres. Le parallèle avec ABRUPTUM était dès lors assez explicite, d’autant que notre duo fait partie du collectif Ardawahisht Kollective, qui abrite en son sein des fans d’extrême varié.

La question la plus importante et qui exige réponse est la suivante : peut-on tenir une grosse demi-heure lorsque les musiciens n’ont de cesse de repousser les limites de la lenteur et de l’oppression ? Oui, puisque DESESPERE va jusqu’au bout de ses idées, sans (trop) tomber dans l’excès, mais jouant avec pour mieux transposer les traumas en musique. Si tant est que cet album en contienne.

Mais à qui s’adresse ce disque finalement ?

Aux amateurs d’un Funeral Doom pesant, aux curieux qui pensent que le DSBM peut creuser encore plus profond, et plus simplement, à ceux qui conçoivent le Black Metal comme un style dérangeant, qui oblige à se regarder en face pour voir toute la laideur se refléter dans le miroir. Entre Dark Ambient et souffrance grave, De Maledictione Vitae et Cycli Vitiosi Aeterni Cruciatus (La malédiction de la vie et le cercle vicieux du tourment éternel traduit en VF) est une longue marche vers l’absolu qui met en avant un chant plus graveleux qu’un râle de plaisir d’un dépressif qui sent la corde se serrer autour de son cou.

Rien de très plaisant donc, rien qui n’est fait pour vous permettre d’échapper au malaise, le but étant de vous immerger dans un monde de douleur, sans échappatoire, et sans guérison possible. Le duo, qui propose cet album en NYP sur son Bandcamp, affirme que les quelques deniers éventuellement collectés iront alimenter les caisses d’organismes de soutien aux maladies mentales. Une sage décision, bien que j’imagine assez mal un quidam mettre la main à la poche après avoir subi trente-quatre minutes de torture.

DESESPERE est un pur produit de son époque cauchemardesque, isolationniste et mortifère. La pire prison est celle sans barreaux de l’âme qui prévient toute évasion. La suffocation est aussi mentale, et l’asphyxie encore plus douloureuse lorsque personne ne vous jette de bouée.       

Titres de l’album:

 01. De Maledictione Vitae et Cycli Vitiosi Aeterni Cruciatus

Bandcamp officiel