On a l’habitude de dire que certains groupes font partie des meubles. On dit d’autres qu’ils font partie intégrante du paysage. Quelles formulations sont plus adaptées pour décrire l’importance de PAYSAGE D’HIVER ? Ce concept existe depuis si longtemps, a été responsable de tant d’achèvements définitifs qu’on en oublie presque à quel point il reste important sur la scène BM européenne. Depuis la fin des années 90, Tobias Möckl aka Wintherr secoue l’underground de sa colère hivernale, et de ses sorties toutes plus confidentielles les unes que les autres. Parlons-en d’ailleurs. Plus de vingt-six ans d’existence, et trois longue-durée seulement. Mais le following du groupe ne doit rien à ces albums, et découle plus de l’énorme quantité de démos mises sur le marché sous des packagings séduisants et monochromes. D’ailleurs, PAYSAGE D’HIVER est un one-man-band qui doit tout, ou presque, à ses jeunes années rachitiques, décharnées et désespérées.
Régulièrement citées dans les tops des albums les plus effrayants de leur temps, les sept premières maquettes sont d’une valeur cruciale. Elles représentent la quintessence du Black le plus sauvage, le plus incorruptible, et le plus attaché aux racines. Quiconque a écouté Steineiche ou l’éponyme Paysage d'Hiver sait de quoi je parle. Une trame usée jusqu’à la corde du pendu, un chant noyé dans les effets et le mix, et une guitare qui lamine des congères jusqu’à s’en casser les cordes de froid. Mais surtout, des strates, qui s’empilent comme les couches de neige devant votre perron, et qui se rigidifient à une vitesse hallucinante.
Les hivers passent donc, quoi qu’il arrive, mais la solitude reste, et l’isolement aussi. Et qu’il est délicieux dans ces chaînes montagneuses suisses…
Im Wald et Geister affichaient la non couleur. Deux heures de métrage pour le premier, juste une heure et dix minutes pour le second, des repères que Die Berge utilise pour se situer entre les deux. Une heure et quarante minutes de chaos sonore, sans écho, comme si les cimes amortissaient les sons pour ne pas causer d’avalanche. En restant fidèle à son approche, Wintherr flatte ses fans dans le sens du poil, et leur offre un nouveau chapitre aussi rigide que les précédents. Mais le son de PAYSAGE D’HIVER a changé depuis ses débuts. Plus massif, plus grave, plus profond, loin des captations distantes et improbables en forêt qui constituaient la moelle du groupe dans les années 90/2000. On peut regretter cette âpreté, on peut être nostalgique de ce minimalisme, mais on ne peut pas accuser le musicien suisse de rester planté sur le chemin de sa cabane.
Die Berge n’est sans doute que le prolongement de ces années de disette de production, qui réduisaient le Black Metal à son essence la plus pure. Si le son s’est épaissi, le propos n’a pas vraiment changé, et peu importe la durée excessive des morceaux. Chaque chapitre de la saga n’est qu’une suite de découpages plus ou moins claire, mais les segments ne s’appréhendent que comme une partie d’un tout. Ainsi, Die Berge n’est qu’une interminable litanie en l’honneur de la nature sauvage, qui lutte de son silence contre le boucan assourdissant des hommes. Ce qui est parfaitement retranscrit par cette musique intense.
Je comprends les réfractaires qui n’y voient qu’un poisson à noyer. Qu’une arnaque à l’assurance ne payant pas les dégâts occasionnés ou le temps perdu. Mais je me fonds aussi dans la masse des fans qui soutiennent Tobias depuis ses débuts, et qui ont vu en lui la quintessence d’un genre qui ne devrait pas se montrer charmeur, encore moins mainstream. La question en suspens est de fait toujours la même : doit-on rester figé et intraitable pour défendre des valeurs originelles, ou peut-on évoluer sans perdre de sa crédibilité ? Les deux, et PAYSAGE D’HIVER en est l’illustration la plus parfaite.
Rien que le triptyque central « Transzendenz » est suffisant pour imposer une écoute attentive. Trois morceaux qui une fois collés bout à bout forment une symphonie de plus de trente minutes, berçant les Alpes sauvages de leur nature profonde, entre vide qui ne doit surtout pas être comblé, et désir de rejeter l’humanité au profit de cette faune et de cette flore qui sont les fondements même de la vie.
Alors, nihilisme ou humanisme déguisé ? On peut se poser la question, mais elle n’explique pas le pouvoir attractif d’une telle réalisation qui tient lieu d’une réussite globale. Et inutile de chercher à savoir lequel des trois albums de PAYSAGE D’HIVER est le plus significatif. Ils le sont tous, et eux aussi doivent être imbriqués pour comprendre cette histoire entamée il y a plus de deux décades.
Die Berge ne vas pas plus loin, mais ne recule pas non plus. Si les détracteurs pointeront du doigt les similitudes flagrantes entre les idées, les fans s’enfermeront dans leur plaisir masochiste qui leur permet de supporter des charges virales de plus en plus puissantes. La force de Wintherr est de n’avoir jamais dévié de sa ligne de conduite, et de continuer en 2024 à penser comme en 1997.
Vous détestez ? Passez votre chemin. Vous adhérez ? Restez avec nous, et célébrons la fin d’un monde qui ne peut plus respirer. No human lives matter. Un leitmotiv comme un autre.
Titres de l’album :
01. Urgrund
02. Verinnerlichung
03. Transzendenz I
04. Transzendenz II
05. Transzendenz III
06. Ausstieg
07. Gipfel
Un bouquin est sorti là-dessus, "The Tape Dealer" de Dima Andreyuk ( fanzine Tough Riffs)...
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