Voilà donc un groupe qui n’est pas banal, et dont la musique s’éloigne des canons actuels de production. Je n’irai pas jusqu’à affirmer que les ANCESTHOR sont les musiciens les plus roublards et imaginatifs de la planète, mais ils sont suffisamment joueurs et intelligents pour éviter de heurter de plein fouet les récifs de la nostalgie, tout en pratiquant un Thrash évolutif et salement mélodique. Et en écoutant leur cinquième album, on est immédiatement frappé par cette distance prise avec la concurrence, et cette envie de proposer autre chose qu’un simple hommage à la scène américaine ou à la tempête allemande. D’où cette question anecdotique mais qui sera légitime pour bien des auditeurs : est-ce encore du Thrash que ces mexicains jouent avec autant de ferveur ? Après tout, on peut se le demander, spécialement en tombant sur un morceau comme « The Witch of Ptscholh », si pluriel qu’on l’imagine fort mal rangé dans une petite case pour faire plus pratique. Avec des emprunts au Black, au Symphonique, au Thrash, au Death, au Progressif, ce petit morceau de quatre minutes à peine trace une ligne tout sauf droite sur la carte du Metal ancien et moderne, et nous offre un point de vue différent du haut de la montagne : et cette sensation n’a pas de prix.
ANCESTHOR, c’est avant tout plus de dix ans de carrière, et surtout, quatre longue-durée sortis à la suite, en toute confiance, entre 2011 et 2018. Le dernier en date, Beneath the Mask, lâché dans la foulée d’Oneiric un an plus tôt montrait des signes de confiance inébranlable, et de métissage musical précieux. Mais aujourd’hui, quoique de proportions modestes (sept morceau seulement dont une « reprise », moins de quarante minutes de musique), White Terror fait place à une lucidité incroyable, lâche les watts tout en tissant un canevas très précis, en mode Pénélope qui attend le retour de son héros.
Cette terreur blanche tient d’ailleurs plus du rêve multicolore. Car l’approche imposée par les mexicains (Luis Reséndiz - guitare, Luis Soto - guitare/chant, Oscar Ruiz - basse et Antonio De La Cruz - batterie) est si étonnante et peu en phase avec la réalité musicale actuelle qu’on la devine imaginée et conçue sans tenir compte des impératifs vintage régissant la production Thrash depuis plus d’une décennie. La simple présence au solo du Dieu Josh Christian (TOXIK) ancre ce projet dans un passéisme certain, et pourtant, le roi du lead acrobatique accepte de jouer au présent tout en multipliant les allusions à son propre Think This.
ANCESTHOR se laisse donc porter par sa fertile imagination, et dessine un monde à part, qu’on découvre avec des yeux d’enfant. Si la plupart des morceaux sont portés par deux ou trois idées principales, et enrichis de soli stellaires, certains se détachent du lot, à l’image de l’entame surréaliste de « Lady Lazarus », poème épique de plus de sept minutes, au son cosmique, à l’intro cristalline et au déroulé pur comme du cristal. Violent sans l’être, le quatuor mexicain joue avec les codes de la brutalité pour les confronter à la douceur harmonique, mais rend aussi les frontières floues pour évoluer dans un monde moins rigide. Et si le chant est définitivement ancré dans une culture Thrash née dans les années 80, la paire de guitares explore et revient avec des thèmes moins convenus, à la manière d’un ATHEIST plus accessible et moins démonstratif. Si toutes les accélérations sont justifiées, si tous les breaks sont bien amenés, c’est l’ensemble qui laisse songeur de son envie d’ailleurs. Perdu dans un déluge d’intentions, le public aura bien du mal à se rattraper aux branches, et devra se laisser guider par une imagination débordante qui se manifeste par une accumulation de notes, de croches, de sifflantes, d’harmoniques et autres interventions vocales plus rauques.
Et le tracklisting se permet même une citation via cette reprise de « La Llorona », chanson traditionnelle mexicaine d'auteur inconnu, inspirée de la légende du même nom, et illustrée en film il y a peu. Cette sublime reprise profite de la voix enfantine et éthérée d’Ana Cristina Durán, qui confère à ce morceau une ambiance surréaliste, entre cauchemar éveillé à la DEAD CAN DANCE et échappée nocturne à la SUSPIRIA. Cet interlude, sublime autant qu’étonnant au premier et second degré, confirme la spécificité de White Terror, album qui ne respecte aucun plan ni aucune contrainte trop restrictive.
Mais que les fans de Thrash se rassurent, tout n’est pas conte de fée ou errance sur les chemins de la foi, et certains morceaux nous rappellent que les mexicains savent aussi faire parler simplement la poudre, comme tout bon groupe violent qui se respecte. Ainsi, « Shrouded in Light » singe EXODUS, WARBRINGER, et vient niveler, placé très intelligemment juste avant un long épilogue…
« The Waltz of the Sea », dernier chapitre de ce nouveau tome insiste une nouvelle fois sur le côté mélodique de cette quête, qui à tout moment retrouve la hargne des débuts du groupe. Mais une fois de plus, ce groupe prend la tangente, provoquant les foudres des thrasheurs traditionnels pour se rapprocher des esthètes de la technique évolutive de la fin des années 80 et même des nineties.
White Terror est donc - comme vous l’aurez compris - un disque à part dans la production actuelle, impossible à définir précisément, et qui échappe à toute restriction trop concrète. Un rêve, une autre direction, et surtout une imagination débordante de la part de musiciens qui refusent la facilité, et qui acceptent de s’ouvrir à d‘autres possibles. ANCESTHOR nous fait là un beau cadeau, même si Noël est passé depuis quelques semaines.
Titres de l’album:
01. Lady Lazarus
02. The Witch of Ptscholh (feat. Josh Christian)
03. Mist-Wraith
04. Ghostly Wails
05. La Llorona (feat. Ana Cristina Durán)
06. Shrouded in Light 07. The Waltz of the Sea (feat. Ana Cristina Durán)
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