Beyond

Eyestral

14/10/2017

M.u.s.i.c. Records

Au-delà, d’accord. Mais au-delà de quoi ? De la vie en elle-même ? Des possibilités artistiques ? Du Progressif ? J’en conviens, il faut du culot en 2017 pour se lancer dans l’aventure, le style ayant probablement tout dit depuis la fin des années 80, se réfugiant depuis dans l’excès, dans l’abus d’arrangements, ou dans le confort d’une production destinée à cacher une pauvreté d’inspiration crasse. Jouer du progressif n’est pas chose difficile, encore faut-il proposer des pistes sinon nouvelles, du moins pas encore trop foulées pour ne pas répéter les erreurs des ainés. Alors, au final, au-delà de quoi ce premier album d’EYESTRAL ? Au-delà de leurs propres capacités, révélées sur Beware the Rat King, publié en 2016 ? Difficile à dire, puisque si les capacités intrinsèques étaient plus ou moins exposées, on sentait que le potentiel n’était pas exploité à fond. Est-ce à dire que Beyond ose justement pousser les possibilités encore plus loin ? Oui, et non. Mais ce qui est certain, c’est que ce groupe a les moyens de jouer sa propre carte, sans se soucier d’un qu’en dira-t-on qui réduit souvent les éventualités comme peau de chagrin. En jetant un coup d’œil au tracklisting de ce premier LP, on se dit déjà que le quatuor (Ant Majora : guitare/chant, David Mouquet : lead, samples et programmation, Nicolas Di Costanzo : basse et Baptiste Collay : batterie) n’a pas fait les choses à moitié en proposant près d’une heure de musique décomposée en huit longs morceaux, qui prennent leur temps pour instaurer des ambiances. Ces dernières sont évolutives, le ton est mouvant, et les ambitions affichées, puisqu’après une très courte intro, nous tombons en plein dans le traquenard Techno Death qui nous ramène bien des années en arrière. Mais une constatation s’impose dès le départ.

Et elle est de taille. Si d’aventure, vous cherchiez depuis des décennies les dignes héritiers d’ATHEIST et du DEATH le plus technique, vous les avez trouvés. Ils s’appellent EYESTRAL, mais ne se contentent pas du costume étriqué de plagiaires ou d’adorateurs sans discernement. Non, ils vont plus loin que ça. Ils vont…au-delà.

Finalement, et sans tomber dans le piège de la formule à l’emporte-pièce, on pourrait concevoir ce premier LP comme le point de jonction entre les deux groupes déjà cités, PERIPHERY et DREAM THEATER, sans qu’on retrouve des accents trop prononcés dans des structures peu usitées. En gros, la synthèse de la complexité ultime et de la puissance légitime, dans un creuset instrumental sans barrières, qui ne tombe que très rarement dans la démonstration gratuite. Depuis longtemps, l’extrême s’est cherché des portes de sortie, histoire de ne pas tourner en rond dans le corridor de la redite, et semble avoir trouvé dans des progressions harmoniques de quoi étancher sa soif de liberté. Le carcan était trop difficile à supporter, et les musiciens ont commencé à se dire que la brutalité la plus crue pouvait aussi s’exprimer via une technique affirmée mise au service d’un ressentiment toujours aussi véhément. Et c’est ce genre de précepte que les rouennais appliquent, en long, en large et en travers, en explorant toutes les possibilités que leur offre leur créativité et leur niveau instrumental. Agressif, ce premier LP l’est. Mais il est aussi redoutablement intelligent. En admettant des accointances certaines avec la cruauté précieuse de la référence ultime GOJIRA, sans occulter leur fascination pour les maîtres du passé (Chuck Schuldiner, Kelly Shaeffer), les EYESTRAL se placent d’eux-mêmes à l’orée du Death et du progressif, ressuscitant pour l’occasion des sensations épidermiques ressenties à l’occasion de chefs-d’œuvre comme Human, ou Elements, et même en taquinant le spectre fugace d’un Focus, en optant pour des volutes de violence statiques, sur l’imparable «Beyond Comprehension », qui en effet, risque de passer au-dessus de bien des crânes.

Individuellement, les musiciens échappent à toute critique. Leurs qualités d’instrumentistes sautent aux yeux dès les premiers instants, et sont confirmées à chaque solo, à chaque break, et à chaque digression, chaque intervention, sans qu’ils n’éprouvent le besoin d’en rajouter à la louche pour nous les faire avaler. Mélodie, brutalité, mysticisme, pour des allusions plus ou moins directes au MEGADETH le plus commercial, noyé dans une véhémence Techno Thrash que le brave Dave à un jour plus ou moins contribué à populariser. Mais loin de jouer la carte de l’endorsing histoire de flatter des marques en multipliant les plans tape à l’œil, ces quatre-là ont décidé de composer de véritables morceaux, qui tiennent debout en tant que tels, et qui résument en une poignée de minutes toute l’histoire de la complexité instrumentale sans oublier de proposer des thèmes accrocheurs et des refrains fédérateurs (« Exotic Wackos »). On retiendra évidemment les dérives de guitares décidément très bavardes, la constance d’une section rythmique volubile aussi à l’aise dans les up tempi malmenés que dans l’assemblage de mesures impaires risqué, mais la mayonnaise ne monterait pas sans le coup de fouet vicieux d’un chanteur qui sait parfaitement moduler sa voix pour l’adapter à l’ambiance, et se rapprocher du brio de conteur d’un Ron Royce. CORONER, la référence n’est pas gratuite, et si les suisses ne se sont jamais lancés dans une entreprise de démolition aussi biscornue, leur façon d’accommoder des restes Thrash dans un contexte classique trouve ici un écho certain et définitif. Pourtant, rien n’est « facile » sur Beyond. Il faut du temps pour s’acclimater à ce déluge de sons et d’idées, mais on en ressort grandi, et certain d’avoir touché du doigt la quintessence de la densité extrême. C’est ce qui arrive, rarement, lorsque des praticiens mettent de côté leur ego pour le fondre dans un collectif, découlant sur une osmose générale impulsive, mais rationnelle.

En version médium, les débats sont d’importance, et « Psychoanalysis » prouve que le Thrash de papa n’est pas encore devenu obsolète, loin de là. En disciplinant le chaos d’un BLIND ILLUSION dans le psychédélisme outrancier d’un VOÏVOD, les rouennais se veulent caressant dans le sens inverse du poil, sans oublier de gratter, pour ne pas laisser le confort de la routine Heavy s’installer trop durablement. Certes, leurs parties sont parfois immédiatement reconnaissables d’un titre à l’autre, mais leurs déviances entremêlées d’intro/intermèdes samplés sont d’une clairvoyance rare, et « Beyond Acceptance » de se muer en épitaphe d’une routine que l’on prend plaisir à enterrer. On pourra reprocher quelques faiblesses de production, des lignes vocales parfois difficilement soutenues, mais on ne pourra souligner aucun manque dans le culot, qui dans les plus grands moments, se joue d’un Hard-Rock de facture classique pour le détourner façon Fusion apocalyptique (« Cryptozoological Quest »). Et si le rythme reste globalement raisonnable, préférant miser sur la polyrythmie plutôt que sur la vélocité, son intensité permet de friser les cimes d’un Death évolutif parfaitement compétitif (« Mechanical Tears », et son chant presque féminin dans les intonations). De l’audace, qui paie, à court, moyen et long terme, pour un premier essai en forme de voyage introspectif, pour une psychanalyse de l’étrange qui ne trouve pas forcément de cause au pourquoi, mais qui n’impose pas le « parce-que » comme seule réponse.

Cette réponse, vous la trouverez dans un au-delà finalement à votre portée. EYESTRAL via Beyond prouve qu’il est encore possible d’aller plus loin, sans vraiment s’éloigner. Ou juste un peu. Suffisamment en tout cas pour rendre le Progressif encore assez fascinant pour accepter de s’écarter un peu des sentiers battus. Des sentiers que tout le monde n’est pas capable d’arpenter.


Titres de l'album:

  1. Beyond Sight (They Are Here)
  2. Cryptozoological Quest
  3. Mechanical Tears
  4. Beyond Comprehension
  5. Exotic Wackos
  6. Pearl and Phillips Street
  7. Psychoanalysis
  8. Beyond Acceptance

Facebook officiel


par mortne2001 le 20/11/2017 à 14:32
85 %    1394
Derniers articles

Walls of Jericho + Get Real

RBD 02/07/2025

Live Report

Voyage au centre de la scène : PARADISE LOST

Jus de cadavre 15/06/2025

Vidéos

Aluk Todolo + Spirit Possession

RBD 10/06/2025

Live Report

SWR Barroselas Metalfest 2025

Mold_Putrefaction 08/06/2025

Live Report

Anthems Of-Steel VII

Simony 30/05/2025

Live Report

Clinic LI-SA X et Paul GILBERT

mortne2001 29/05/2025

Live Report

The Sisters of Mercy + Divine Shade

RBD 21/05/2025

Live Report

Great Falls + Kollapse

RBD 04/05/2025

Live Report

Chaulnes MÉTAL-FEST 2025

Simony 27/04/2025

Live Report

Star Rider/Blaze Bayley

mortne2001 24/04/2025

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
metalrunner

Les chutes de Symbolic

05/07/2025, 08:26

DPD

Pardon pour les fautes, mais quitte à écouter ce genre de trucs, Anna von Hausswolff le faisait beaucoup mieux il y a 10 ans. C'est ce qu'on appelle l'avant-garde je suppose.

05/07/2025, 06:51

DPD

Le problème de de Kayo Dot c'est qu'il dépend de l'envie du moment de Toby Driver et de qui l'entoure, tu peux avoir un album de drone/post-rock suivit d'un album de death metal, il n'y a pas de groupe et aucune identité. C'est dommage parce(...)

05/07/2025, 06:47

DL100

Merci à Clawfinger pour ce grand moment de transgression validée par l’ordre moral dominant. C’est rassurant de voir que la “rébellion” moderne consiste à tirer sur une cible usée jusqu’à la corde, avec des punchlines dignes (...)

04/07/2025, 07:16

Ivan Grozny

Il tourne pas mal chez moi ce disque, et c'était un vrai plaisir de revoir le groupe live récemment après les avoir un peu mis de côté. Un autre concert en tête d'affiche ne serait pas de refus !

03/07/2025, 16:57

Ivan Grozny

Morceau décevant et sans surprise. La présence de Chris Kontos dans le groupe y fait pour beaucoup dans mon intérêt pour ce retour,  mais pour le moment bof.

03/07/2025, 16:47

Jus de cadavre

Je n'ai jamais aimé ce groupe, mais j'étais passé devant durant un Hellfest et en effet c'était juste insupportable toutes ces harangues (littéralement toutes les 10 secondes). Moi je m'en beurre la raie, mais pour les fans ça doit &ec(...)

03/07/2025, 12:55

Buck Dancer

Toujours aussi léger !!! 

03/07/2025, 03:25

Simony

Clairement ! Trop de blabla et de remplissage.

02/07/2025, 18:56

Jeff48

Vu à Toulouse et je n'ai pas du tout accroché,  pourtant vu 2 ou 3 fois depuis 2005. Et j'avais bien aimé. Rien ne surnage, ça bastonne mais pour moi aucuns titres ne sort du lot.Par contre j'ai adoré Slapshot

02/07/2025, 16:01

Jourdain R.

Votre article sur le kintsugi est un véritable hommage à l’art de reconnaître la beauté dans la fragilité et les cicatrices : mentionner son origine au XVe siècle et sa philosophie wabi‑sabi renforce(...)

02/07/2025, 15:38

vomi d\'anus

@Abrioche91 : la canicule t'a trop tapé sur la tête, mon pauvre vieux. Parce que se faire à répondre aux trolls, je n'avais plus vu ça depuis VS.

02/07/2025, 12:25

Benstard

La blague. 

02/07/2025, 10:20

Arioch91

@Ultra Pute, t'es bien limité comme garçon. Et tu dois sacrément bien te faire chier pour venir commenter connement ce que les autres écrivent.Moi aussi, j'aime bien les commentaires gratuits (la preuve) mais je suis surtout là pour commenter l&(...)

02/07/2025, 08:50

Ultra Pute

@senior boomerdo : va changer ta couche, grand-père

01/07/2025, 20:38

Ultra Pute

ok boomer

01/07/2025, 20:36

LeMoustre

Pas trop mal dans l'idée.Vocalement on s'y tromperait aussi.A voir sur tout l'album, le précédent, mis à part l'opener, m'avait bien déçu 

01/07/2025, 15:38

senior canardo

ça tartine ! bien cool cool cette grosse basse @niquetoncul oui ça doit te changer de Jinjer   

01/07/2025, 14:19

Buck Dancer

Prost. Celtic Prost.

01/07/2025, 03:16

Gargan

Quand tes parents écoutaient Bal Sagoth et Demilich   

30/06/2025, 20:17