Pour un néophyte, le Doom n’est pas vraiment le style le plus facile à aborder. Il faut être capable d’endurer des progressions statiques (l'oxymore est volontaire), des riffs répétés jusqu’à ce que le cerveau ne puisse plus encaisser d’autres informations, cette lenteur caractéristique imposée par le BLACK SABBATH originel, en gros, faire fi de toute exigence trop créative et se contenter de ce qu’on nous donne. Depuis évidemment, le Diable (ou Eric Zemmour) a inventé d’autres genres encore plus insistants et répétitifs, sourds ou cryptiques, comme le Drone, le Doom/Death, le Blackened Doom, j’en passe et des plus saugrenus.
Alors le Doom, en l’état, est difficile à appréhender. Mais lorsqu’en plus, il se passe de chant, l’épreuve devient un sacré défi à relever.
Les américains de KULT IKON et leurs deux « k » ont donc choisi de se dispenser de micro. C’est un choix, qui leur aliène une portion des amateurs du cru, mais qui finalement, n’est pas si handicapante pour peu que l’on se penche sérieusement sur ce deuxième album.
John Vincent (basse), Ryan O'Connell (batterie) et Scott Holthausen (guitare) nous avaient déjà mis au diapason de leurs intentions via Sheet Metal Sessions, premier album qui posait les jalons de l’approche, et qui définissait les règles à suivre. A savoir une certaine ouverture d’esprit sur des considérations plus volontiers Post Metal, un léger feeling Hardcore à la HELMET ralenti au maximum, et quelques mélodies rachitiques tournant comme de pauvres hamsters dans une petite cage.
Black Iron Prison continue donc sur la même lancée, et respecte les plans. Encore une fois, quatre morceaux seulement, donc deux de plus de dix minutes, pour un passage en revue des impératifs. Une solitude musicale non dénuée de lumière, un enfermement créatif qui tend pourtant vers des idées plus libres, et une créativité rythmique qui nous évite les sempiternelles blanches frappées à la Bill Ward.
De fait, l’absence de chant ne se fait pas ressentir. A la manière d’un side-project de NEUROSIS, KULT IKON a travaillé ses évolutions, pour ne pas trop rester sur la même note pendant un gros quart d’heure. Pour agrémenter leur litanie, les américains ont recours au feedback, supportable au demeurant, mais aussi aux arrangements, avec des cocottes de guitare en surimpression, et quelques fantaisies de basse qui gronde comme le tonnerre.
En découle un Doom atmosphérique, presque Ambient par moment, mais toujours pertinent. Très intelligente, cette musique se laisse infuser comme un thé de l’âme, pour diffuser son parfum qui régalera les plus patients. Il faut donc s’immerger totalement dans ce breuvage instrumental, pour en retirer des goûts un peu doux-amers, et des émotions contraires. Loin du morbide qui lancine comme une douleur à la poitrine, Black Iron Prison est une prison un peu particulière, avec droit de visite, balade dans la cour, et activités diverses. Nous sommes donc loin du cachot dans lequel nous isolent les trois quarts des groupes de Doom les moins créatifs, qui se contentent la plupart du temps d’une ou trois notes, répétées jusqu’à l’agonie des sens.
Comme du Post-Hardcore joué par des Doomsters, Black Iron Prison renonce souvent au principe du riff prétexte pour évoquer des harmonies subtiles et claires, et ainsi laisser respirer les passages plus intenses, comme le souligne avec beaucoup d’à-propos « Lost Sea », le titre le plus ambitieux du lot.
Si Nick Drake avait connu BLACK SABBATH dans les années 70, il aurait certainement pu jouer ces airs qui ressemblent à s’y méprendre au ressac de la mer, et au fracas des vagues qui s’écrasent sur la grève. La mélancolie de l’ensemble, sa facilité à éviter les pièges les plus grossiers, et l’inventivité d’un guitariste talentueux font de ce second long une référence du genre, et un Crossover très digeste et savoureux. Je me suis laissé aller à la divagation pendant son écoute, rêvant de grands espaces vierges et de rencontres inattendues. Les quarante minutes ont donc coulé comme un sablier, mais sans faire perdre patience.
Et comme chaque titre à sa philosophie personnelle, le concept reste tendu et passionnant, spécialement lorsque la basse distordue reprend à son compte les recettes des grands maîtres des graves. Ainsi, « Overburden », fermeture plus musclée nous projette dans un après-monde inquiétant mais porteur d’espoir, laissant un goût étrange dans la mémoire, à la manière d’une photo un peu floue qu’on interprète à sa guise, selon son état d’esprit du moment.
Alors, les néophytes peuvent se plonger dans cette aventure, ils ne risquent ni l’ennui, ni l’écœurement. Ils pourront même vouloir pousser plus en avant leurs investigations, et découvrir des artistes essentiels, jouant le Doom avec le cœur, et non sur les nerfs.
Titres de l’album:
01. Normal Fell
02. Untethered
03. Lost Sea
04. Overburden
Voyage au centre de la scène : Le Metal français des années 80' / Seconde partie
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27/07/2024, 08:43
Oui, belle ouverture d'esprit au final. C'est pas tous les jours que cette culture là est assumée chez nous, à vrai dire JAMAIS donc ça procure une sensation étrange et puissante. Gros friss(...)
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