Il est rare qu’un morceau expose à lui seul plus d’idées que quatre-vingt pour cent de la production actuelle. C’est pourtant le cas de « Suspended », qui ouvre le troisième album des italiens de MESSA, magiciens musicaux qui à chaque sortie nous bluffent encore un peu plus. Mais il ne s’agit pas ici d’un bluff vulgaire, il s’agit d’un véritable étonnement face à la richesse de l’inspiration du collectif de Cittadella, commune de la province de Padoue, qui d’année en année brouille de plus en plus les pistes au point d’empêcher les journalistes de leur accoler une étiquette trop restrictive.

Le groupe lui-même fournit quelques pistes, et parle de genres disparates assemblés en mode créature de Frankenstein. On trouve selon eux dans leur musique des traces évidentes ou pas de Progressif, de Black Metal, de Punk, de Dark Ambient, de Jazz, de Blues et de Doom, le tout mixé sous la bannière absconse de Scarlet Doom. Une appellation comme une autre, qui vaut bien des discours, mais qui résume assez bien cette optique ouverte adressée à tous les esprits libres amateurs d’art sincère et authentique.

Quatre ans après Feast for Water qui a laissé des séquelles irréversibles sur les organismes les plus impressionnables, MESSA continue donc son exploration du champ des possibles, et réconcilie des écoles de pensées assez individualistes. On sent du Metal extrême dans leurs impulsions les plus nerveuses, du Doom lorsque la contemplation se fige comme les congères en décembre, et entre Psychédélisme modulé et Metal embrumé, Close ouvre les portes de la perception pour nous faire découvrir un monde étrange, fait de mélodies et de dissonances, de lignes de chant évanescentes et de reprises rythmiques abruptes.

Mistyr (batterie), Alberto (guitare lead), Mark Sade (guitare/basse) et Sara (chant) proposent donc en 2022 d’enjamber le fossé qui sépare l’avant-gardisme de la créativité, et nous offrent plus d’une heure de musique riche, pleine, et incroyablement fertile. Ici, les astuces et autres tours de magie ne répondent pas à un besoin de singularité forcée, mais résultent bien d’une expression personnelle, qui trouve son achèvement dans les passages instrumentaux les moins liés au Metal. Ainsi, « Orphalese » s’épanouit dans un saxo époumoné avant de laisser les guitares reprendre les premières lignes, entre Doom onirique et Post Metal magnifique, tandis que le court instrumental « Hollow » nous offre une orchestration orientale, avec cordes pincées et minimalisme harmonique.

Dulcimer, oud, mandoline, Rhodes, basse Moog, tout y passe, et l’ambiance se rapproche d’une amitié profonde entre BAT FOR LASHES, THE TEA PARTY, Nusrat Fateh Ali Khan et MUSE, pour un concert unique sous la pâleur de la lune. Entre romantisme sombre et luminosité aveuglante, MESSA trouve son équilibre, et nous offre de longues processions aussi graves que poétiques. Ainsi, le décalage entre le chant et l’instrumental sur « Pilgrim » évoque la souffrance du pèlerin épuisé qui continue coûte que coûte son chemin, tandis que l’illogique « 0=2 » propose de traduire les mathématiques les plus bizarres en sons les plus étranges.   

Lorsque le Doom est à ce point sublimé pour ne plus y ressembler, on sait qu’on fait face à des artistes qui sont capables de prendre des sons communs pour les travestir avec habileté. Entre envie d’ailleurs et constatation contemporaine, ce troisième album incarne évidemment l’acmé de la jeune carrière de MESSA, mais développe aussi des perspectives passionnantes. On aurait donc tort de considérer Close comme un aboutissement ou une fermeture définitive, et mieux vaut le voir comme un nouveau chapitre écrit avec l’âme et les tripes, qui juxtapose la rigueur des rythmiques Rock et les harmonies sublimes d’un Orient délocalisé en Italie.

Je ne me souviens pas avoir écouté album aussi intrigant depuis de longs mois. Certes, les concessions sont parfois manifestes, comme sur le lourd et emphatique « If You Want Her to Be Taken », aussi romantique qu’un meurtre passionnel, mais la folie lapidaire du très agressif et bruyant « Leffotrak », exutoire Crust qui fait clairement tâche dans le paysage permettent de comprendre que Close n’a logiquement aucun équivalent sur la scène, qu’elle soit Doom ou plus simplement extrême.

Et malgré sa durée, l’album tient la barre et maintient la pression, s’achevant dans une mer calme de sonorités seventies, soudainement pulvérisées par un riff simple, mais que BLACK SABBATH aurait pu chérir avant d’influencer CATHEDRAL.

MESSA se distingue donc une fois de plus, et signe son témoignage le plus poignant, mais aussi le plus mystique. Cette musique, ce Scarlet Doom ne craint pas la concurrence, parce qu’il n’en a pas. Trop singulière, trop pure, trop belle, dominée des accents fragiles et forts de Sara, qui une fois encore nous étreint le cœur jusqu’à en arrêter les battements, et évidemment malmenée par une imagination sans limites, et des crises de colère assez impressionnantes.

Un disque qui exige un investissement conséquent, et une immersion totale. Des respirations entre deux crises de panique en claustrophobie, et des chansons qui soignent le moindre détail. Et je vous mets au défi de pouvoir citer un groupe aussi allusif et ouvert ayant sorti un chef d’œuvre en 2022. Réfléchissez-y.   

Titres de l’album :

01. Suspended

02. Dark Horse

03. Orphalese

04. Rubedo

05. Hollow

06. Pilgrim

07. 0=2

08. If You Want Her to Be Taken

09. Leffotrak

10. Serving Him

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