Nous y voilà. La fameuse étape du troisième album, pour les arizoniens de GATECREEPER. Pas la plus facile à négocier, même lorsqu’on a un gros indépendant pour vous soutenir. Huit ans après Sonoran Depravation, cinq après sa suite Deserted, Dark Superstition arrive dans les bacs, où il n’a pas l’intention de faire de la figuration. Pourtant, le registre est sujet à rude compétition. Le Death « à la suédoise » étant un genre très prisé et pratiqué par de véritables orfèvres, il est toujours très compliqué de se faire une place sur le podium. Mais ces cinq-là sont des gens très intelligents, qui ont toujours réussi à se démarquer de la masse.
Chase H. Mason (chant), Eric Wagner & Israel Garza (guitares), Metal Matt Arrebollo (batterie) et Alex Brown (bassiste) ne tarissent pas d’éloges à propos de leur dernier né. Premier album pour le mastodonte Nuclear Blast, et déjà, une envie. Celle de resserrer les rangs, de proposer des chansons plus construites, et d’augmenter la dose de mélodies. Intentions louables s’il en est, mais qui peuvent être dangereuses. Car à force d’adoucir sa musique, on finit par en trahir le crédo extrême. Mais le tour de force de Dark Superstition est justement de se montrer extrême sans avoir à faire plus de bruit que ses concurrents.
On retrouve les idées habituelles du quintet, cet amalgame entre séduction morbide et agression livide, dès le premier riff qui empeste la HM-2. Mais loin du simple plagiat ENTOMBED/UNLEASHED/DISMEMBER, Dark Superstition se veut adaptation des canons scandinaves, sans en singer les boulets. Première impression, l’alternance entre les morceaux vraiment crus et les autres, plus travaillés. Ainsi, l’intensité crasse d’un « Masterpiece Of Chaos » contrebalance parfaitement le caractère catchy d’un « The Black Curtain ». A la manière d’un SOILWORK reprenant les tablatures de NIHILIST, GATECREEPER continue de hanter les cryptes à la recherche des fantômes les plus cruels.
Et le bruit de leurs chaînes donne quand même un peu les foies.
Les arguments promo ne cherchent surtout pas la petite bête, ni la confusion, encore moins l’étonnement naïf. Immédiatement, les influences sont posées, et des albums comme Wolverine Blues et Massive Killing Capacity utilisés comme garde-fou. Le surnaturel, la divination, la peur de l’inconnu et la foi dans le hasard et la magie sont les thèmes choisis par Chase H. Mason qui a incorporé des éléments paranormaux à son expérience personnelle. Mais l’album et sa pochette font aussi référence aux Superstition Mountains, chaîne de montagnes de l’Arizona, réputée pour sa splendeur. Les contrastes sont donc au menu du jour, et le repas est digne d’un festin de roi.
Autant le dire, GATECREEPER est passé du statut de solide amateur, à celui de professionnel poids lourd. Ce troisième album est d’une consistance indéniable, et d’une variété de ton appréciable. Si l’on retrouve en effet les virages négociés dans les années 90 par les groupes de Death les plus ambitieux, on y trouve surtout l’identité d’un groupe qui n’a plus l’intention de jouer les seconds couteaux ou les doublures. Ainsi, « A Chilling Aura » nous permet d’apprécier une grosse tranche de violence très bien coupée, avec son ambivalence contretemps/blasts qui dynamiserait un moteur de 2CV à l’agonie.
En restant quasiment constamment sous la barre des trois minutes, Dark Superstition utilise le format Pop pour s’imposer sur la scène Death. Les riffs, nombreux et ténébreux ne prennent jamais ombrage d’une harmonie glissée en marque-page, et savent très bien accommoder leur humeur de l’ambiance recherchée. « Caught In The Treads » est sans doute l’exemple type de cette démarche, avec son mid tempo martelé comme un mantra et son chant plein de nuances, mais à vrai dire, tous les titres peuvent servir de démonstration. Et « Dead Star » est justement l’ouverture rêvée pour ce genre de sommeil éveillé.
Propre, efficace, Dark Superstition se permet même des incursions en terre Metal plus généraliste, en allant titiller la fibre sensible des amateurs de gothique sombre. « Flesh Habit » tire donc son inspiration de la Suède la plus pragmatique, avec ses accroches volontairement populaires, et son refrain qu’on peut presque chanter sous la douche. Concessions ? Non, plutôt une intelligence de composition qui préfère agencer que tout envoyer valdinguer à travers le cimetière. Car après tout, les cantonniers n’ont pas à nettoyer derrière nous.
Il est certain que les plus durs des puristes trouveront ces aménagements fort peu à leur goût. Cette façon de faire dévier la mort de sa trajectoire pour en offrir un visage plus sélectif et séduisant peut rebuter les fatalistes qui n’acceptent aucun compromis. Mais les plus ouverts d’esprit se rueront sur le massacre « Mistaken For Dead », qui donne simultanément envie de placer un pétard mammouth dans la boîte aux lettres du voisin et de caresser son chat, et surtout, le lourd final macabre de « Tears Fall From The Sky », d’une lenteur abyssale et d’une souffrance presque tangible.
Savoir-faire, originalité légère, et envie d’autre chose qu’une simple litanie de quarante minutes sur le même thème depuis l’orée des années 90. Si Dark Superstition n’a pas encore l’aura des œuvres qui l’ont inspiré, il risque de faire l’objet d’un culte dans quelques années. Il est aujourd’hui un solide album, créatif juste ce qu’il faut pour sortir la tête de l’eau.
La production old-school ayant les défauts de ses qualités, il est parfois bon de tomber sur un produit qui ne vend que ce qu’il peut offrir.
Titres de l’album :
01. Dead Star
02. Oblivion
03. The Black Curtain
04. Masterpiece Of Chaos
05. Superstitious Vision
06. A Chilling Aura
07. Caught In The Treads
08. Flesh Habit
09. Mistaken For Dead
10. Tears Fall From The Sky
Maintenant que je l'ai un peu digéré, je trouve que la chronique est très juste. Ce n'est pas difficile de rentrer dedans tant il s'appuie clairement sur l'héritage de la scène Suédoise du Sunlight. En cela il ressemble plus au premier qu'au deuxième album, je trouve. C'est fou qu'un groupe aussi ricain revendique tellement cette inspiration européenne. Mais depuis l'origine ils l'ont assimilée en l'accrochant à leur propre univers désertique et gentiment halluciné, direction qui s'affirme encore ici et donne une personnalité unique à Gatecreeper.
Reste à évaluer la qualité de ce troisième album, et sa durabilité. Certains plans commencent à me coller aux parois du cerveau (la dure-mère). L'alternance de titres directs et d'autres un peu plus émouvants (on peut oser ce qualificatif) se révèle bien balancée et on ne s'ennuie pas une seconde. Certains reprocheront à Gatecreeper de choisir d'être lisible, accessible. Mais les Arizoniens ont les moyens de se placer parmi les meneurs de la scène et ce n'est pas moi qui vais leur reprocher de le faire : elle a besoin que les figures de proue se renouvellent peu à peu. Et sur le fond on ne peut pas accuser Gatecreeper de trahir quoi que ce soit.
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