Je suis quand même contradictoire. Et bon client. Je passe mon temps à pointer du doigt la répétitivité de la vague old-school, et j’en chronique la moindre sortie avec bienveillance. Pourquoi ? Parce que je suis si versatile, et parce que ça me replonge dans ma jeunesse, lorsque les grands artistes d’hier brisaient les barrières et exhibaient leur quincaillerie avec une morgue incroyable. Donne-moi du Heavy, je prends du Heavy. Donne-moi du Speed, du Thrash, du Death, je ramasse tout et je rentre à la maison. C’est comme ça. Et cet après-midi, le piège s’est une fois de plus refermé sur moi. J’ai écouté un album que je connaissais déjà par cœur avant d’en apprendre l’existence, et j’ai tourné la tête comme un derviche sur un pont.
Y’a-t-il un mal à ça ? Un nom donné à cette déviance ? A cette contradiction permanente ? Je ne sais pas, mais celui de LEATHERHEAD va résonner dans vos têtes une fois ce premier éponyme terminé.
Je connaissais évidemment Leatherface, mais pas LEATHERHEAD. Venu de Grèce, ce quintet (Thanos Metalios & Zachos Karabasis - guitares, George Bradley - basse, Michalis Zounarakis - batterie et Tolis Mekras - chant) sorti de nulle part a déjà signé avec la référence nostalgique nationale No Remorse. Pas étonnant, au vu de sa musique qui sent bon les eighties, et les débuts de la scène Heavy/Speed, qui déferlait bien sûr des Etats-Unis, mais aussi de Belgique, du Canada, d’Angleterre et d’un peu partout en Amérique du Sud. Personne n’a pu oublier ce soudain emballement qui a transformé le Heavy du grand-frère en Speed du petit, et encore moins enterrer des groupes comme EXCITER, HELLOWEEN, RAVEN, SAVAGE GRACE, ANVIL BITCH, ACID, CROSSFIRE et bien d’autres qui ont acquis un statut culte depuis longtemps.
LEATHERHEAD se présente à nous avec une superbe pochette au squelette indien de toute beauté. D’ailleurs, le chanteur Tolis Mekras tient fermement un tomahawk sur les photos promo, et on se demande quel est le lien entre Leatherhead et les mythes amérindiens…Mais ne cherchons pas la petite bête et savourons à grandes lampées ce premier chapitre d’une saga qui gagne à être connue. Dans un registre évidemment très marqué par la première moitié des 80’s, les grecs manient le tic de langage avec une acuité désarmante, réactualisant des thèmes usés par les années. Entre Heavy torride et légèrement occulte et Speed débridé, entre mysticisme obscur et horreur familiale, LEATHERHEAD s’en remet à la gloire des LIZZY BORDEN, QUEENSRYCHE, KING DIAMOND, et brasse le catalogue des souvenirs avec une passion débordante.
Mais attention. Ces gens-là sont éduqués et ont la politesse des créatifs. Pas question donc de se choisir un modèle et de le copier pour vendre sur le marché. Non, on mélange les références, on les transforme, les modifie, pour accoucher d’un style à part entière, théâtral, dramatique, comme le souligne avec beaucoup d’à-propos le magnifique « When Death Is Near », apologie des ténèbres antiques qui avance comme un zombi assoiffé de cerveau dans la nuit.
Si l’intro « From Beyond » nous plonge dans le marasme d’une mémoire embrumée, « Equinox » explose le vieux décor pour situer l’action dans un contexte de superproduction. Rythmique en caoutchouc brûlé, guitares en lames de rasoir affutées, chant en passion d’opéra hanté, l’intensité est folle et la fête aussi. En plaçant en entame deux morceaux qui sentent bon le bitume, les grecs nous font le coup de l’énergie immédiate, et de la décharge mortelle. Rois de la vitesse, les musiciens alignent les prouesses individuelles et la cohésion collective pour nous traîner quelque part dans les couloirs du temps à attendre que RUNNING WILD et RAGE passent un peu trop près.
C’est people, VIP, c’est carré, bien produit, et parfois immersif, lorsque « Into The Werewolf’s Lair » fouille la tombe du vieil HEATHEN, celui qui cavalait en gardant son costume immaculé. Cette puissance à décorner Lucifer est le moteur d’un album qui s’arrête pile quand il faut, et qui ne supporte ni les approximations ni les erreurs de jugement.
Essayez de pointer du doigt les fautes de goût, vous serez fort marri d’en être incapable. LEATHERHEAD a toujours une bonne idée à caser, comme cette intro sur le terrassant « Judge Steel » qui renvoie Rob Halford et Udo à leurs chères études, ou l’intégralité de « Dressed to Kill », qui profite de l’inspiration d’un batteur touché par la grâce pour s’emballer sur une piste bondée.
Hymne après hymne, le collectif grec se bâtit une petite réputation qui ne tardera pas à devenir grande. Déjà suffisamment rodé pour agencer un disque sans faiblir ni écoper, conscient de son propos pour ne pas trop se prendre au sérieux (« Under Your Bed », et son boogeyman qu’on imagine dentu et velu), tout en n’étant pas dupe. Car les grecs savent de quoi ils sont capables, et le montrent sans complexe sur « Leatherhead », futur tube de concert que le public reprendra en un seul et énorme chœur.
Leatherhead et LEATHERHEAD. Facile à retenir, et facile à aimer. J’ai beau être bon client, ce premier album a du mordant, de l’envie, et juste assez d’inventivité pour se démarquer. Et si je ne suis pas à une contradiction près, j’ai toujours de bons arguments à exposer pour m’expliquer. Ce longue-durée par exemple.
Titres de l’album :
01. From Beyond
02. Equinox
03. Dressed to Kill
04. Vampire’s Kiss
05. When Death Is Near
06. Into The Werewolf’s Lair
07. Judge Steel
08. Under Your Bed
09. The Awakening
10. Leatherhead
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