Le Samsara, pour ceux qui ne seraient pas initiés à la religion bouddhiste, représente le concept de renaissance dans un cycle de vie et de mort permanent, et la souffrance qui en résulte de devoir évoluer dans un monde matériel entièrement dénué d’empathie. Ce concept peut évidemment se voir comme théorie gnostique globale, mais aussi comme application prosaïque d’une routine qui nous détruit chaque jour un peu plus, et surtout, comme la somme de douleur qui en résulte, d’une machine capitaliste implacable qui transforme le vivant en objet, le divin en matérialisé, et la pureté en donnée commerciale viable ou non, nous condamnant à un statut de monnaie d’échange dans les cas les plus bénéfiques, ou comme simples sujets d’étude et de labeur dans la pire des situations. C’est ce contexte qu’on choisit les anglais de VENOM PRISON pour encadrer leur second LP, contexte déjà abondamment abordé dans des ouvrages mais aussi des œuvres artistiques, et qui convient parfaitement aux angles choisis par Larissa Stupar pour aborder ses textes et les thèmes qu’elle souhaite mettre en avant. Alors, tout y passe, des mères porteuses exploitées dans des conditions déplorables, à la souffrance qu’on s’inflige volontairement pour échapper à celle de l’extérieur, en passant par le ressenti de femme-objet des victimes de viol qu’on traite comme de vulgaires morceaux de viande, et qui doivent prouver leur innocence au lieu de voir leur tortionnaire condamné sur des faits. Et dans les faits, Samsara, second LP des anglais est d’un réalisme incroyable, et se pose comme cri primal d’une génération extrême qui n’en peut plus de constater l’érosion de la civilisation dite « moderne » et de subir les méfaits de l’ultra-libéralisme, le totalitarisme d’une société patriarcale, le rejet des parias, et l’imposition permanente de règles commerciales devant répondre à des problématiques humaines. Et musicalement, le tout s’incarne dans une brutalité de fond et de ton qui risque fort de laisser la concurrence à des années-lumière d’efficacité et de concision.
Je l’avoue sans détour, le premier effort du quintet (Larissa Stupar - chant, Ash Gray & Ben Thomas - guitares, Mike Jefferies - basse et Joe Bills - batterie) m’avait laissé dubitatif. J’en avais reconnu les qualités les plus évidentes, cette façon de détourner la noirceur à des fins de puissance, cette versatilité de ton, mais j’y avais aussi décelé des faiblesses évidentes. Un manque de projet porteur, une tendance à tergiverser entre rugosité Hardcore et profondeur Death, et pas mal d’autres petites choses qui m’empêchaient d’y voir le renouveau d’une scène Death anglaise qui avait toujours eu du mal à faire de l’ombre à ses homologues américaine et suédoise. Mais les choses ont changé, en pire selon le point de vue, mais en mieux sous un angle artistique. Non que les VENOM PRISON aient renoncé à cette pluralité, mais ils l’ont domestiquée pour lui faire épouser les contours d’une optique globale, qui cette fois-ci est parvenu à fondre le Death et le Hardcore sans tomber dans les travers de jeunisme du Deathcore, et Samsara, plus qu’une continuité, se pose en renaissance d’un groupe qui finalement, pourrait bien incarner l’avenir de la scène extrême nationale. Car chaque riff, chaque mot, chaque break rythmique, chaque accélération a sa propre raison d’être, et répond à une logique de colère que les NAILS eux-mêmes pourraient envier.
Pour autant, pas question de décalque ou de copie, les cinq anglais possèdent leur propre identité, forgée pendant deux ans sur les routes de l’Angleterre et du pays de Galles, et on sent à chaque impulsion que ce temps passé à arpenter le pays leur a offert une cohésion globale que « Matriphagy » démontre de sa puissance assourdissante et de sa colère ouverte. Adoubés d’un son qui frise la perfection, avec une rythmique épuisante de précision et étouffante d’ampleur, un duo de guitares qui comme à la grande époque du Crust anglais tirent tous azimuts, et des lignes vocales placées pile au centre du mix qui haranguent l’auditeur de leurs textes revendicateurs et désespérés de haine, les VENOM PRISON ont gommé toutes les aspérités qui plombaient leur premier effort et qui le maintenaient au sol, et s’envolent vers un ciel de violence moderne que la tradition valide pourtant. Comprenez bien que ces gens-là sont bien dans leur époque, mais savent reconnaître le legs de l’ancienne génération. Ils souhaitent juste apporter leur pavé de colère pour briser les restes de vitrine de passéisme, et le font avec une cruauté confondante de réalisme. Et le réalisme est le maître-mot de cette réalisation. Tout comme son humanisme. Et comme la seule possibilité de révolte constructive qui nous reste est le renversement par la violence des restes de conservatisme, Samsara se pose en hurlement du désespoir d’une génération qui broie du noir.
Manifeste de brutalité ouverte, ce second LP se montre sous un jour imperfectible, ce qu’on comprend très bien une fois passés les trois premiers morceaux. Les dissonances, les blasts impitoyables, cette façon qu’a Larissa de hurler sa peine et son acrimonie à la face de la société font certes peur, mais sont nécessaires, et rapprochent le groupe d’une version combinée des forces dévastatrices de FULL OF HELL, MISERY INDEX, NAPALM DEATH et TRAP THEM. Mais ce qui étonne par-dessus tout, c’est cette intelligence dans l’efficacité, qui ne bride pas les idées mais leur permet de se développer. Ainsi, les motifs accrocheurs sont toujours présents, mais plus actifs et prenant, à l’instar du développé/couché « Megillus & Leana », qui combiné à la boucherie « Uterine Industrialisation » pointant du doigt le scandale sanitaire des mères porteuses représente un diptyque écrasant de puissance immédiate, et pas seulement à cause de l’union rythmique concassante/chant exhorté. Les guitares n’hésitent plus à s’affirmer, et plaquent des riffs instinctifs, et l’ensemble à des airs de condamnation globale qui fait froid dans le dos. Avec en exergue des soli propres et précis, et une volonté de ne jamais trop s’éloigner du Metal pour se rapprocher du Hardcore, les VENOM PRISON ont trouvé le compromis parfait, et proposent un équilibre stable entre l’épaisseur et l’abrasivité, calibrant leurs titres tout en les laissant s’exprimer sans suffoquer. Souhaitant matérialiser une souffrance qui n’en peut plus de rester sous couvert d’injustice, le quintet anglais transcrit en musique et bruit tout le poids de la douleur que la plèbe subit jour après jour, et n’hésite pas à pousser le bouchon de la révolte toujours plus loin, frisant les cimes d’un Death/Grind compressé à outrance, mais sans indécence (« Self Inflicted Violence », un maelstrom de sons qui formalise très bien ce qu’une victime consentante peut ressentir au moment de s’infliger des coupures et autres lacérations).
Et alors que ce genre d’album - qui semble excessif au prime abord - s’essouffle rapidement une fois sa première moitié passée, Samsara maintient la pression, quitte à aérer mélodiquement (« Asura's Realm »), et nous offre un dernier tiers qui se paie le luxe d’un intéressement encore plus grand, avec des compositions finales épiques mais toujours aussi véhémentes (« Implementing the Metaphysics of Morals », les larmes d’une victime de viol transformées en haine viscérale sur fond de Death contemporain, « Naraka », épilogue à la suédoise qui appuie sur les tempes et fixe du regard). C’est donc un véritable achèvement que les anglais nous livrent, et qui incarne mieux que n’importe quelle autre œuvre la répétition d’une époque qui prend un malin plaisir à multiplier ses erreurs de jugement en les assumant d’une ironie sadique, imposant au peuple des sacrifices que l’élite refuse de faire elle-même. Le monde est une prison, mais nous en sommes les gardiens. Il est temps maintenant d’ouvrir les cellules et de réclamer notre dû. Et les revendications ne s’étant jamais faites dans le calme et la tempérance, autant laisser les VENOM PRISON mener le cortège.
Titres de l'album :
1. Matriphagy
2. Megillus & Leana
3. Uterine Industrialisation
4. Self Inflicted Violence
5. Deva's Enemy
6. Asura's Realm
7. Sadistic Rituals
8. Implementing the Metaphysics of Morals
9. Dukkha
10. Naraka
Superbe ce papier avec un chroniqueur qui, ça se sent, a vécu l'époque Roadrunner et sa superbe compilation (a la non moins superbe pochette) Stars on Thrash.Achat obligatoire.P.S : Euh moi une ex m'appelle pour prendre de mes nouvelles et me proposer (...)
19/03/2024, 12:13
Très cool de découvrir ce groupe ! La présentation est plus fluide mais il faudrait laisser la place à un extrait à mon avis et ça permettrait de mieux rythmer la vidéo.
19/03/2024, 08:17
Perplexe également.Dehydrated et Out of the Body (Out, pas Ovt sans déconner ! C'est quoi leur manie de remplacer les U par des V ?) sans Martin Van Drunen, j'ai même pas assez de curiosité pour écouter ce que ça peut donner.
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19/03/2024, 07:43
Tant mieux pour ceux qui aiment moi ils me font chier avec cette fétichisation du metal old school.
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J'aime bien le principe de réenregistrer des classiques pour voir ce que ca donne avec un son actuel. Le problème est double ici : réenregistrer des morceaux récents n'a que peu d'intérêt, et surtout en me basant sur le titre mis en é(...)
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Oui, et non. Dans le sens que s'ils veulent vendre leur compile qui sent très fort le réchauffé, il vaut mieux qu'ils écoutent un minimum la base de fans qui seraient potentiellement intéressés par l'objet (et ils ne sont pas Maiden qui peu(...)
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16/03/2024, 11:55
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13/03/2024, 07:24
groupe de petites gauchiasses qui crisent si on n'emploie pas le bon pronom. FOUR
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Commande faite direct au label.Hâte d'écouter les nouvelles versions de The Song of Red Sonja ou The Thing in the Crypt.Meilleure nouvelle de la semaine,Merci pour la chronique en plus hyper favorable
11/03/2024, 15:32
Terrible.Déjà que le EP envoyait sévère dans la veine Wotan, early Blind Guardian ou Manowar, voici l'album !Achat obligatoire
11/03/2024, 14:55
toujours pas de Phobia à l'affiche.... j'y ai cru pour les 25 ans et tout ...
11/03/2024, 07:39