Le Doom et moi, c’est un peu une relation amour-haine, née dans les années 80, et qui n’a cessé d’évoluer depuis. Autant le Death/Doom trouvera toujours grâce à mes oreilles, autant le Doom classique se doit d’être un minimum créatif pour que je daigne en aborder le cas. Tout ceci remonte à ma découverte du premier album de CANDLEMASS, en 1986, le seul à avoir été enrichi par le chant de Johan Längqvist, session-man à la voix incroyable, et qui est devenu mon mètre-étalon en termes de qualité sonore et de construction instrumentale. Et avec un tel point de comparaison, difficile d’encenser des groupes se contentant souvent de reprendre à leur compte les astuces des seventies pour imposer une lourdeur pénible, et des atermoiements insipides.
Mais lorsqu’un excellent disque frappe à la porte de mes chroniques, j’en accepte la charge et la promotion. Ce qui est le cas des chiliens de BLACKFLOW, déjà responsables de deux formats courts dont un live enregistré durant la pandémie.
Víctor Prades (chant), Miguel Canessa (batterie), Frane Franulic & Víctor Silva (guitares), et Felipe Vuletich (basse) sont des passionnés qui depuis 2014 tentent d’imposer leur vision d’un Heavy Metal épique, via le prisme d’un Doom mélodique et fluide, dans la plus droite lignée du BLACK SABBATH des années Tony Martin. Et ce premier album vient à point nommé prouver qu’un Doom joué par des musiciens capables et intelligents peut se montrer aussi perforant que n’importe quel album de Metal emphatique et dramatique.
Comparé à des références diverses dont MY DYING BRIDE, SOLITUDE AETERNUS, ou le SOLSTICE anglais, BLACKFLOW est donc en bonne compagnie, dans son Santiago de résidence, et prêt à mettre le monde à pleurs et à mélancolie, par l’entremise d’un habile jeu d’influences régurgitées de façon personnelle. Et avec un pavé de l’ampleur de « Neo Middle Ages » en ouverture, les intentions sont claires, et le but à atteindre assez relevé.
Très traditionnelle, cette musique lourde mais gracile à la fois séduit par ses intonations mélancoliques, et par sa richesse harmonique, qui fait souvent défaut aux artistes du cru. Entre la pierre de rosette Epicus Doomicus Metallicus, un PARADISE LOST des jours de pluie, un THE GATHERING de jeunesse et un BLACK SABBATH de la fin des années 80 (plus spécialement celui de Headless Cross), Seeds of Downfall est loin d’une chute dans les oubliettes du temps, et plus une ascension abrupte d’une montagne de gravité, avec en premier de cordée un chanteur à l’organe malléable et profond, imposant ses injonctions sans avoir à en rajouter dans le pathos.
Cette lenteur théâtrale qu’on déguste sur l’impérial « Iron To Rust » est donc plus que supportable, et même stimulante. Car les chiliens osent ouvrir leur champ de perception à d’autres genres moins minimalistes, entre Heavy classique de la NWOBHM et Progressif sobre et allusif, ce qui permet de proposer un contenu plus varié, des breaks plus riches, et des digressions plus inventives. Nous sommes donc loin des processions pachydermiques qui traînent la patte durant un enterrement de troisième zone. Et Seeds of Downfall au final incarne plus volontiers le meilleur d’un Heavy Metal opératique et funèbre, qu’une moyenne Doom à peine passable une nuit de pleine lune.
Avec une durée raisonnable de cinq ou six minutes, les neuf titres de ce premier long jouent la concision, mais ne manquent pas de flair. Redoutablement bien produits et masterisés par Seba Puente (AudioCustom Estudio), ces neuf morceaux nous entraînent sur la voie d’une quête pas si impossible que ça, à la recherche des origines d’un genre qui depuis quarante ans ou plus sait se montrer irritant, redondant, balbutiant, et un poil trop insistant. Mais en trouvant le juste équilibre entre Heavy et Doom, BLACKFLOW renoue avec la magie des premières années de CANDLEMASS, et se permet même parfois de tutoyer la grâce de classiques comme « Crystal Ball » ou « A Sorcerer's Pledge ».
Sacrée comparaison donc, que le quintet assume sans fausse modestie. Mais avec des arguments aussi solides que « 1830 », il était évident que les musiciens avançaient à découvert et en pleine confiance, certains de la valeur ajoutée de leur méthode à cheval entre les dogmes, impératifs, et maigres libertés.
Ce Doom-là est donc le bienvenu. Délicatement ouvragé, ne nous prenant pas pour des moutons aveuglés par le Panurge de la gravité musicale, il développe des qualités indéniables, et offre une symphonie superbe en hommage à un genre qui sait encore se sublimer lorsqu’il le faut. Et avec le final grondant et menaçant de « Aspiration Of The Species » qui s’offre un featuring en growls de Claudio Carrasco (POEMA ARCANUS), BLACKFLOW boucle la boucle et lâche un clin d’œil appuyé aux premières années de Peaceville.
La séduction marche donc à plein régime, et me propulse des décennies en arrière, lorsque mon intérêt pour le Doom était validé par quelques formations moins obstinées que la moyenne. On n’est jamais à l’abri d’un retour de flamme, et les souvenirs sont parfois plus agréables que la réalité présente.
Titres de l’album:
01. Neo Middle Ages
02. Egomaniacal Fraternity
03. Society Worm
04. Indifferent To Others
05. Iron To Rust
06. Inhumane
07. Corrupted
08. 1830
09. Aspiration Of The Species (Bonus Track)
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