Words Waging War

Leviathan

27/11/2020

Stonefellowship Recordings

J’ai connu LEVIATHAN à la sortie de son premier album, Deepest Secrets Beneath, et j’étais assez heureux de constater qu’en 1994 des groupes américains continuaient sur la lancée d’un Progressif précieux, mais plus humble que son équivalent anglais. J’ai poursuivi mon apprentissage avec l’excellent Riddles Questions Poetry & Outrage, et puis, comme dans beaucoup de cas, j’ai lâché l’affaire sans vraiment savoir pourquoi. Ou plutôt si, puisque DREM THEATER et FATES WARNING tiraient alors leurs meilleures cartouches, m’éloignant de la concurrence plus humble, à mon grand dam. Prenant acte du split du groupe en 1998 après le final Scoring the Chapters, j’ai mis du temps à remarquer que le groupe de Littleton dans le Colorado avait repris du service depuis 2011 et At Long Last, Progress Stopped to Follow, et ça n’est qu’en 2018 que j’ai renouvelé mes vœux envers ce groupe toujours aussi intéressant et factuel, épousant la qualité de Can't Be Seen by Looking: Blurring the Lines, Clouding the Truth. Et aujourd’hui, alors que le quatuor revient une nouvelle fois sur le devant de la scène, je constate avec plaisir qu’il a renoncé à ses titres à rallonge qui handicapaient ses précédentes réalisations, revenant à la concision de Deepest Secrets Beneath. Trois mots seulement, mais un album qui une fois encore étire le temps pour frôler l’heure et dix minutes de jeu, proposant un concept intéressant, et surtout, des compositions ciselées, constellées de nappes vocales évanescentes, et se rapprochant du meilleur de FATES WARNING teinté d’une bonne couche de Post-Alternatif des années 90. Car dans le petit monde sclérosé du Metal progressif, LEVIATHAN fait un peu figure de chien dans le proverbial jeu de quilles, avec son attitude noble et ses chansons étranges, sinuant constamment entre les inspirations pour ne jamais singer les tics de ses contemporains.

Ce nouvel album n’échappe pas à une règle immuable, celle de la qualité. Dès « Compromised by Need » et ses sept minutes introductive, le fil rouge est bien visible, et l’optique toujours concise. Pas de délire en quinze ou vingt minutes ici, mais beaucoup de morceaux, parfois largement développés, mais toujours concis et pertinents. Si l’on en croit la parole de John Lutzow (guitare/claviers), l’inspiration de ce septième album ne date pas d’hier, mais bien de la fin des années 90. Car c’est en 1997 qu’un morceau du titre de « Words Waging War » a été écrit, et devait incarner une nouvelle ère pour le quatuor américain. Las, le hasard faisant souvent mal les choses, les musiciens se séparèrent et cette chanson ne vit jamais le jour, jusqu’à sa reprise aujourd’hui pour incarner le visage 2020 du groupe. Mais les titres composés à cette époque ont resurgi sur ce nouveau chapitre, qui sans incarner un véritable renouveau dans l’histoire du combo représente une nouvelle étape dans la confirmation d’un talent que plus personne n’ose remettre en question depuis longtemps.

Très attaché aux textes, John confirme aussi qu’une des thématiques de Words Waging War est sa propre mortalité, et le lien qui l’unit à son fils. Deux chansons lui sont directement adressées, « Cast a Long Shadow »  et « A Legacy Not Yet Defined », ce qui confère à ce nouvel effort une touche très personnelle à laquelle beaucoup de fans pourront s’identifier, spécialement ceux suivant le quatuor depuis ses débuts. Des débuts, nous ne retrouvons justement que John, accroché à son rêve, mais toujours accompagné par deux musiciens présents dans les années 90, Jeff Ward (guitare) et Derek Blake (basse). Le chant est pris en charge depuis deux ans par Rafael Gazal, et sa voix raisonnable sans falsetto excessif ou vibrato exagéré correspond tout à fait à l’orientation prise par LEVIATHAN depuis son retour. Et il serait d’ailleurs facile de prolonger la comparaison avec FATES WARNING, autre groupe qui évite depuis longtemps le piège de la démonstration et de la fatuité des arrangements pour se concentrer sur le cœur des morceaux, et privilégier l’émotion à l’emphase déplacée. Alors évidemment LEVIATHAN n’a jamais été remarqué pour son côté tape à l’œil, rame un peu plus pour émerger dans les magazines, mais n’en tire que plus d’honneurs, ce qu’un morceau comme « Ambitious Stones Overturned » prouve de son côté QUEENSRYCHE accentué d’une plus-value FW. Ici, on pense plus facilement à un Heavy Metal de grande classe enrichi d’une approche seventies, époque durant laquelle les RUSH faisaient passer les prouesses individuelles pour de simples enchaînements logiques et rationnels. Il n’est pas vain d‘ailleurs de dire qu’on retrouve les astuces des canadiens au détour de quelques structures, même si l’ambition de LEVIATHAN n’a jamais été de prendre la place de Geddy Lee et les siens.

Comme d’habitude, le contenu et les secrets de l’album ne se révèlent pas à la première écoute. Les néophytes auraient même du mal à comprendre l’enthousiasme des fans en posant les oreilles sur le plutôt linéaire « Who I’m Supposed to Be », qui pendant presque six minutes traîne son thème comme un boulet. Mais ils se rangeraient plus facilement à notre avis en tombant sur le fameux « WWW », qui lâche enfin la rambarde pour marcher sans garde-fou, et quitter provisoirement la sécurité d’un Heavy Metal précis, mais trop léché. Les riffs deviennent plus agressifs, la rythmique plus frappée et mouvante et le lyrisme parvient enfin à se faire une place.

Mais on ne peut en vouloir au groupe de rester fidèle à une éthique qu’il a lui-même mise en place il y a longtemps. Pas de prouesses, pas de tours de magie techniques pour en mettre plein la vue, mais de la cohésion, de l’osmose, et de la complexité tapie sous une épaisse couche de formalisme Rock. Car comme à l’habitude, LEVIATHAN préfère se placer en convergence des deux mondes, et ne pas s’enfermer dans une époque. On le sent parfaitement sur l’ambivalent « Projecting Feelings », qui pourrait presque parfois passer pour un break amené par TOOL sur un tapis de velours, malgré cette basse ronde et en constant mouvement qui rappelle encore une fois RUSH ou les accompagnements de John Myung.

Et sans être le meilleur album des américains (car chaque segment de leur carrière pourrait revendiquer ce titre futile), Words Waging War excelle encore une fois dans l’art de la précision, et il serait même plus judicieux de parler de Heavy évolutif plus que de Metal progressif à leur égard, « Strength and Limitations » échappant justement à cette étiquette un peu trop encombrante. Et je suis heureux aujourd’hui d’avoir repris contact avec le groupe, car je constate que leur magie n’a pas disparu avec le temps et le lapin du chapeau. Une magie certes modeste et discrète, mais bien réelle pour qui sait regarder et écouter au bon endroit.      

    

                                                                                             

Titres de l’album:

01. Compromised by Need

02. Ambitious Stones Overturned

03. Who I’m Supposed to Be

04. Someone Else’s Art

05. Picture Perfect

06. Strength and Limitations

07. This Order of Things

08. Ten to the Twelfth

09. WWW

10. Blood and Imagination

11. Projecting Feelings

12. Cast a Long Shadow

13. A Legacy Not Yet Defined


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par mortne2001 le 22/12/2020 à 14:47
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