Þa Sem Skepnur Reika

Hræ

15/09/2020

Goathorned Productions

Encore une fois, il est très difficile de formaliser des sentiments, de les expliquer de façon rationnelle, et je ne suis pas certain que l’art s’accommode de toute façon d’explications mathématiques. Pourquoi certains sont-ils plus touchés par l’art contemporain que par des œuvres de Manet ou Gauguin ? Pourquoi des gens s’épanouissent-ils plus dans la violence que dans la beauté la plus pure ? Tout ceci est éminemment subjectif et ne mérite pas qu’on s’y attarde, à moins de vouloir quantifier et calibrer la sensibilité de chacun. Et en termes de subjectivité, le Black Metal occupe une place à part dans le bestiaire musical, puisqu’il incarne le genre déclenchant les réactions les plus épidermiques. Les réfractaires n’y voient qu’un brouhaha continu de guitares mal accordées ou dissonantes, un exutoire pour une cruauté intérieure que la décence interdit de formaliser de façon trop concrète, et plus simplement, un amas de sons sans queue ni tête, une excuse à la médiocrité instrumentale, une aberration qu’il convient de cacher à l’arrière-plan de la photo de famille comme un cousin handicapé un peu honteux, et qui met terriblement mal à l’aise. Mais certains d’entre nous sont fascinés justement par ces parias que la norme rejette, et éprouvent l’envie irrésistible de les comprendre tout en sachant que le lourd regard du jugement pèsera sur eux. Mais nous n’avons cure de l’opinion des autres, et c’est certainement pour ça que le BM représente pour nous cet asile qui nous protège du formalisme extérieur, si effrayant de ses convenances et de sa routine ridicule. Partant de ce postulat, les possibilités sont infinies une fois plongé dans l’historique du genre. Les plus absolus et puristes prôneront les valeurs séculaires du BM norvégien des nineties, le seul méritant l’intérêt, d’autres, plus superficiels se vautreront dans la fange symphonique, les psychopathes en devenir se rouleront dans la soue d’un BM lo-fi inécoutable, et les plus rêveurs ou torturés préfèreront l’abstraction de l’avant-garde.

Avec l’Islande, tous les camps seront plus ou moins d’accord autour d’un consensus. HRÆ n’est pas un groupe comme les autres, et sonne si personnel qu’on peine au moment de jouer le jeu prévisible des comparaisons. Car il se situe en convergence de tous les sous-genres, sans vraiment les aborder individuellement. Fondé par le seul I, aka Þórður Indriði Björnsson pour l’état civil, ce projet situé aux confins de l’Islande mystérieuse est un premier effort qui résulte pourtant d’une expérience de plusieurs années. Ce musicien opaque aux contours humains indéfinissables a en effet capitalisé sur son passé et présent au sein d’autres formations comme ENDALOK, GUDVEIKI, NAUGHT, pour élaborer un projet en solo au sein duquel il peut exprimer ses ambitions et mettre en relief sa propre sensibilité underground. D’abord édité à compte d’auteur en numérique uniquement, ce premier LP se voit relayé en support physique par le label colombien Goathorned Productions qui a immédiatement senti le potentiel de l’œuvre. Une œuvre qu’il est difficile de situer, sans concessions, mais d’une beauté troublante et hypnotique qui se cache sous des couches de laideur instrumentale. Sans aller jusqu’à parler des sempiternels DEATHSPELL OMEGA, de SHINING, DODECAHEDRON et autres PORTAL, il est indéniable que l’entité islandaise HRÆ occupe un créneau expérimental tout à fait abordable, et semble se plaire à mélanger les époques et les approches pour concrétiser sa vision apocalyptique d’un BM bruyant, discordant, mystique, et pourtant terriblement mélodique. Mixant les dissonances si chères à la scène américaine et la brutalité ouverte de la légende nordique, Þa Sem Skepnur Reika (Où Les Créatures Errent en VF) propose une musique incroyablement riche et brutale, oscillant entre l’avant-garde scandinave et l’efficacité abrupte allemande, sans perdre de sa cohésion ni trahir sa personnalité. Ce qui est intéressant à propos de cette sortie, c’est bien évidemment sa globalité mystérieuse, mais aussi quelques éléments plus précis, dont cette guitare qui louvoie entre riffs classiques et acides, et litanies mélodiques étranges et oniriques.

Luxuriant comme du EMPEROR au sommet de ses moyens, discordant comme du 1349 époque Demonoir, Þa Sem Skepnur Reika est donc une œuvre rare dont les contours sont admirablement bien définis par le long pamphlet évolutif « Tungur Og Eiturský ». En près de dix minutes, I contourne les règles, abuse de cette guitare aux motifs tournoyants comme des vautours, nous inonde de blasts impitoyables, pour mieux casser la progression de violence d’une créativité un peu déviante, laissant transpirer des volutes mélodiques acerbes et inquiétantes. Avec un chant perdu dans les limbes du mixage, le spectre du lo-fi n’est jamais loin, même si les exactions les moins supportables du genre sont tournées en dérision d‘ambitions bien plus intéressantes. Hors du temps et des modes, HRÆ joue à cache-cache avec nos nerfs, aménage des breaks intelligents à l’ambiance malsaine, et dépeint un tableau d’une noirceur sans équivalent, qui se rapproche du décorum de base du Black Metal le plus pur. Evidemment, les non spécialistes trouveront que rien ne ressort de l’ensemble pour le dégager de la masse, mais les initiés sauront immédiatement qu’ils ont affaire à un musicien/compositeur d’exception capable de synthétiser des décennies de courants en une seule inflexion. Et en plongeant leur regard dans les ténèbres de l’impressionnant « Hryllingurinn », ils comprendront que ce premier album possède une aura maléfique unique, qui évite la répétition idiote des figures traditionnelles de MAYHEM, MARDUK, EMPEROR, mais aussi les imbrications les plis inextricables de la vague avant-gardiste. Expérimental tout en étant cohérent et fascinant, aussi violent qu’il n’est beau, ce premier album est donc une énorme surprise et une déflagration aux conséquences immédiates sur l’organisme, mis à rude épreuve par ces passages en mid tempo parfaitement écrasants et traumatisants.

L’album se termine même par un épilogue d’une cruauté superbe au titre plein d’ironie, avec ce « Paradis » qui a tout d’un enfer personnel, dont les flammes chatouillent la sensibilité unique d’un artiste précieux. Beau travail donc que ce premier chapitre d’une saga qu’on espère longue et régulière, mais pas trop pour garder ce nuage de mystère qui l’entoure.                 

                                                             

Titres de l’album:

01. Sköpunarverkið

02. Tungur Og Eiturský

03. Lofsöngur Hinna Rotnu

04. Drep

05. Hafið Yfirþyrmandi

06. Hryllingurinn

07. Paradís


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par mortne2001 le 13/09/2020 à 17:14
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