Breaking the Trauma Bond

Voices

26/11/2021

Church Road Records

Regarder vers l’avenir, de nos jours, fait peur. Parce qu’il ne laisse rien augurer de vraiment positif. Ce fait, la vague old-school l’a bien compris et nous renvoie sans cesse à notre enfance, adolescence, comme si nous avions besoin à nouveau de nous isoler dans notre chambre, les watts à fond, lorsque l’insouciance et les quelques chagrins d’amour peuplaient notre quotidien, et lorsque les devoirs et contrariétés parentales étaient les seuls problèmes à affronter. Mais une fois atteint un âge respectable, est-il encore raisonnable de se réfugier dans les souvenirs, au risque d’occulter le présent et les belles années qui nous restent ?

Regretter, célébrer, honorer, regarder dans le rétro sont des attitudes tout à fait normales quand une époque ne répond plus aux attentes que par d’autres attentes, rarement satisfaites. Mais la politique de l’autruche n’a jamais aidé personne à avancer, plutôt à faire un surplace complaisant, pensant sans doute que les problèmes vont en faire de même avant de rétropédaler et s’en revenir de là où ils étaient venus. En musique, l’attitude est la même puisque la musique n’est que le reflet de la vie en général. Les artistes l’ont bien compris, et gèrent les modes comme la société impose les attitudes de sa violence, et c’est pour ça qu’on ne compte plus les groupes reproduisant jusqu’à l’écœurement des sonorités usées jusqu’à la corde. Mais cette politique a ses limites aussi, et si les années 80 nous attirent comme des aimants, les pôles finissent par s’aligner et nous repousser jusqu’à un aujourd’hui qu’il faut bien accepter.

Et aujourd’hui, certains artistes se souviennent que les années 80 étaient aussi une décennie de découvertes, de prospection. Un réflexe créatif que les plus doués prenaient à leur avantage, en connaissant les pièges, mais aussi les récompenses. Et depuis ses débuts, le collectif anglais VOICES, dérivé d’AKERCOCKE via ses deux/trois représentants David Gray (batterie), Sam Loynes (guitare) et Peter Benjamin (guitare/chant) n’a de cesse de refuser de tourner le dos aux possibilités encore existantes, résultant de ce métissage si chéri par les groupe de Post, de Black, et toute autre extension susceptible d’offrir autre chose qu’une longue litanie funèbre en hommage à un passé révolu.

Ne le cachons pas, depuis le premier brouillon From the Human Forest Create a Fugue of Imaginary Rain, les londoniens sont devenus la coqueluche des médias et des fans, pour une raison simple. Ils font partie de cette caste de groupes refusant les simples limites de genre pour proposer le leur, à base d’ingrédients disparates miraculeusement mélangés de façon homogène. Il et d’ailleurs très difficile de décrire leur art sans avoir recours à des raccourcis lénifiants comme « avant-garde », « expérimental » ou « progressif ». Les sites référentiels osent le Black/Death progressif, pas si éloigné de la réalité des faits que ça, mais les exégèses musicaux savent que leurs albums cachent plus qu’une dénomination générique et « aguicheuse ».      

 

D’ailleurs, avec un peu de bon sens, et en découvrant le quatrième album du quatuor (toujours complété de la basse de Dan Abela), il est tout à fait possible de se contenter d’une étiquette type « Metal extrême » pour qualifier la démarche des anglais, et se rendre compte qu’elle n’a rien d’élitiste, bien au contraire. Les musiciens n’aiment rien tant que nous bercer de mélodies sombres, soutenues par une rythmique lourde et quelques notes de piano évanescentes, comme sur ce magnifique « Ghost City », qui aurait pu avoir sa place sur un album de PARADISE LOST ou OPETH. L’autre preuve à charge est ce rythme franc et mid martelé par l’efficace et dansant « Petrograph », qui nous ramène aux grandes heures du Dark Rock des années 80, lorsque les FIELDS OF THE NEPHILIM ou THE CULT jouaient eux aussi avec la frontière séparant le Goth Rock du Hard Rock le plus simple.

Ce laïus pour tenter de percer non le mystère de la musique mais celui de sa perception. Car la musique jouée sur Breaking the Trauma Bond n’a rien de fondamentalement complexe en soi, si ce n’est par sa multitude d’influences régurgitées avec intelligence. Nul besoin d’être élitiste ou musicologue pour apprécier le groove étrange de « Methods of Madness », qui malgré son faux-rythme se montre trépidant dans la gravité. Nul besoin de connaitre des milliers de groupes pour savourer le chaloupé doux-amer de « Running Away », au romantisme fané et aux couches vocales aussi embrumées qu’un matin londonien. Et l’art de VOICES est justement de vulgariser le complexe, de rendre l’expérience la plus ardue populaire, et de permettre à des milliers de personnes hermétiques aux innovations d’apprécier une musique riche, dense, en ayant le sentiment de faire partie d’une famille Pop Rock beaucoup plus accueillante qu’un cénacle de spécialistes.

Les gimmicks, comme d‘habitude, sont inutiles, et si les arrangements sonnent aussi luxuriants, c’est parce qu’ils sont comme les intentions, purs et vrais. Ceci dit, au milieu de ce déluge de notes apaisées et de constructions fluctuantes, VOICES n’a pas perdu ses réflexes les plus violents que l’on retrouve en plein rendement sur le terrible et raide « Absent Equilibrium ». Mais malgré les blasts épars, malgré le chant sourd se souvenant parfois de sa raison d’être, ce nouvel album prône une sorte de trêve tacite entre la brutalité et la souplesse, ce qui a le mérite d’offrir un équilibre presque parfait.

Mais la perfection n’existe pas, même lorsqu’on s’appelle VOICES. Et en optant pour une durée déraisonnable et un tracklisting non-épuré, les anglais ont joué contre leur propre créativité, balancé une somme d’informations trop conséquente, et finalement, loupent encore le coche de quelques minutes. Débarrassé de certains titres qui n’ont pas la majesté funèbre de « The Widower », ou la folie instrumentale du final homérique « Photographs of a Storm Passing Overhead », Breaking the Trauma Bond aurait évité la redondance, mais se montre encore trop grand, trop confiant, et finalement, un peu complaisant.

Mais en le synthétisant, en le démontant pour le reconstruire, il reste une nouvelle étape majeure dans le parcours du groupe, jonché d’électronique ludique, de Black Metal moderne, et de Post-Pop assez éthérée. Il reste surtout une porte du présent ouverte sur l’avenir, une porte qui cache des secrets bien plus fascinants que ceux que nous connaissons déjà depuis plus de trente ans pour les avoir répétés d’oreille en oreille.

  

                                                                                                                                                                                                        

Titres de l’album:

01. A Field Without Crows

02. Breaking the Trauma Bond

03. An Audience of Mannequins

04. Lilacs In-Between

05. Ghost City

06. Petrograph

07. Methods of Madness

08. Running Away

09. Absent Equilibrium

10. Beckoning Shadows

11. My Sick Mind

12. Whispers

13. The Widower

14. Kaleidoscope of Thorns

15. She Speaks to Him in a Dream

16. Photographs of a Storm Passing Overhead


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par mortne2001 le 09/12/2021 à 18:28
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