A force de se bouffer du Thrash rétrograde qui recycle les idées comme un politicien en campagne, on finit par se demander s’il reste encore un peu de fantaisie et d’imagination dans ce monde en plastique. Heureusement pour nous, entre les légendes toujours bien vivantes et créatives (VOÏVOD) et les héros de l’underground qui veillent à garder la flamme allumée, on reprend régulièrement espoir en cette musique qui a peut-être encore des choses à dire.
Malheureusement, les chevaliers de l’ombre évoluent dans un monde d’anonymat aux frontières méchamment gardées, et doivent compter sur le bouche à oreilles pour répandre leur bonne parole. Le net leur a donné les armes pour faire leur promotion, encore faut-il que les webzines s’intéressent à eux. Ainsi, les espagnols de BRUTALFLY peuvent compter sur moi pour diffuser leur message musical, leur premier album étant l’une des grosses surprises de ce premier trimestre 2022. Alors que le prochain CRISIX affole déjà les hordes violentes, I Was an Experiment reste une expérience digne d’intérêt, capable de faire patienter tous ces affamés de brutalité new/old-school incarnée par la jeune génération.
BRUTALFLY, la mouche violente, bat des ailes depuis 2012, mais n’a pour l’instant pas pondu grand-chose. Un simple EP éponyme en 2015, puis le silence, jusqu’à un single en 2019, et trois ans d’hibernation. Mais ce temps a été mis à profit pour composer une musique véritablement inventive, culotée dirais-je même, qui nous éloigne enfin des sempiternelles litanies révérencieuses de la Bay-Area et de la Ruhr.
I Was an Experiment en est une, ne le cachons pas. Ainsi, le quatuor de Siero, dans les Asturies, a refusé le principe de photocopie pour développer sa propre copie, qui avouons-le a de quoi interpeller. En jouant une sorte de proto-Thrash des années 70, évolutif et construit comme un gigantesque labyrinthe, le groupe espagnol donne une leçon de bravoure à ses homologues, sonnant parfois comme une version imperfectible et contemporaine de l’insaisissable BLIND ILLUSION.
A-coups rythmiques, voix versatile, morceaux longs et complexes, on pourrait croire à un Techno-Thrash facile d’accès, mais il n’en est rien. Parfois proche des magiques PSYCHOTIC WALTZ, les ibères s’éloignent des facilités de genre, proposent des idées étranges et une violence perverse, à l’image sonore de cet intraduisible « Thrashtorm », tempête Thrash emportant les maisons respectives d’ANACRUSIS, VOÏVOD, SADUS et DEATHROW. On se pose quelques questions sur la santé mentale des gus, on prend en pleine face une bourrasque de brutalité, mais on encaisse sans dommages cette ode à la créativité. La production subtilement claire permet d’apprécier les performances individuelles et les soli de guingois, mais aussi le caractère volubile d’une guitare qui n’hésite pas à bricoler des interventions bancales, mais attachantes.
Très difficile à cerner, le Thrash des BRUTALFLY virevolte comme une mouche en été, se pose sur votre système nerveux pour vous agacer de structures cassées, brisées en plein vol, avant de reprendre le sien d’une vitesse conséquente. Ainsi, « I Was An Experiment », entre Crossover branque et Thrash progressif d’allumés, se souvient des mélodies amères et des boucles jazzy de WATCHTOWER, sans en adopter l’académisme pédant. Ici, tout est ubuesque, comme ces parties opératiques de cirque qui viennent présenter leur numéro bourrées, et la sensation est grisante : soudainement, de nouvelles portes de perception s‘ouvrent pour nous faire admirer un paysage moins prévisible que celui dessiné par la nouvelle génération.
Et si l’album se déroule sur plus de cinquante minutes, les plans et idées ne manquent aucunement. Concentré de fantaisie sérieuse, I Was an Experiment est Heavy, fluide, débridé, totalement fou dans ses expérimentations, mais très crédible artistiquement. De fait, une tuerie de l’ampleur de « Until Your Breath Flows » sonne comme un snuff tourné par des clowns sous un chapiteau bondé de pervers dangereux, tandis que l’interlude improbable « The Papership » nous prend pour des imbéciles joyeux en ruinant sa mélancolie d’embardées furieuses.
Chaque morceau contient donc son lot de cadeaux, de farces et attrapes, mais l’affaire est aussi sérieuse qu’un album novateur peut l’être. Entre franchise rythmique et fausses fenêtres débouchant sur une autre dimension, I Was an Experiment s’amuse de sa propre folie, et pourrait avoir été signé par les canadiens de VOÏVOD et les branques de MR BUNGLE pendant un séjour en HP payé à crédit (« Evil Room »).
Rarement disque m’aura enthousiasmé au point d’y retourner de nombreuses fois pour capter l’indicible. Blindé de petites trouvailles toutes plus folles les unes que les autres (l’intro de « Distortion For This » rendrait complètement maboules les OBLIVEON), et achevé par un triptyque encore plus barge (« Alienstorm », ubuesque mais épais comme du KILLING JOKE Metal, « Brutalfly » agressif comme un renard enragé, « What Time Is It! It´s Time To Die », comme si Captain Beefheart découvrait le Metal par le biais d’une démo de M.O.D), I Was an Experiment est un bidouillage sensoriel foutraque, mais plus jouissif que n’importe quelle sortie actuelle.
L’underground, toujours. L’affranchissement des codes est donc salvateur pour l’âme. Achetez ce disque sous peine de vous ennuyer ferme. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve, même dans un futur proche. Et celui décrit par les espagnols de BRUTALFLY est décidément plus enthousiasmant que la réalité.
Titres de l’album:
01. Pandemic Dreams
02. I Was An Experiment
03. Thrashtorm
04. Until Your Breath Flows
05. The Papership
06. Evil Room
07. Distortion For This
08. Alienstorm
09. Brutalfly
10. What Time Is It! It´s Time To Die
... une musique véritablement inventive ... qui nous éloigne enfin des sempiternelles litanies révérencieuses de la Bay-Area et de la Ruhr.
Voilà, c'est exactement ça ! Et ça fait du bien, bordel ! Ca change de tous ces pseudos ersatz qui pompent la scène de San Francisco, ou du côté allemand, ou de la scène Sud Am', voir parfois les trois à la fois...
Et le batteur ne se prend pas pour Tom Hunting !
Et j'ai pas trouvé de riffs piqués chez Exodus !
Bon, je vais voir leur Bandcamp
Voyage au centre de la scène : chronique We Are French Fuck You! III
Jus de cadavre 17/09/2023
Thank you (Stéphane Bellehumour) for listening and Thank you (mortne2001) for the review..
25/09/2023, 04:01
Bonjour, l'album est déja sorti sur digital le 15 Aout, le 13 Octobre est la date du release CD
24/09/2023, 19:20
à bientôt le 30 septembre à Chalons-En-Champagne avec MASSIVE CHARGE, CHABTAN et PUTRID OFFAL, ça promet !
24/09/2023, 17:45
Merci pour l'élogieux commentaire, ça fait grand plaisir !!! Nous tenons à remercier ici toute l'orga, autour de Jo, Rémy et Fabrice, qui s'est investie corps et âme dans cette belle journée ! Salut à toutes et tous, à bient&oc(...)
24/09/2023, 11:58
Il aurait parlé de brûler un flic blanc de plus de 50 ans, il auraient enregistré une seconde fois ses pistes de chant. Nan ? Va ptêtre aussi falloir qu’ils changent de nom, pour un truc plus léger.. thy art is to make napperons ?
24/09/2023, 08:59
J'ai mal lu le nom du groupe au début... y'a une sacrée contrepètrie quand même.
23/09/2023, 12:52
D'accord, les gens ont vieilli, mais on est loin, très loin du punk (et encore plus loin du hardcore), avec ce titre en tout cas....période emo 84-86 de la scène de DC plutôt, non?
22/09/2023, 16:23
Très bon groupeIls sont exceptionnel un DM comme on aime !J'économise un peu et hop j'achète cet EP qui déchire !Superbe article
22/09/2023, 07:30
Comme l’a si bien dit Tourista, « un véritable bonbon cet article ».Et à l’instar d’un calendrier de l’avent, je m’étais donc juré en le débutant de ne pas regarder en amont qu’elles étaient les group(...)
21/09/2023, 07:08
L'attente en valait la peine. Très bon morceau dont l'influence Morbid /Immolation est moins présente que par le passé.
20/09/2023, 17:31
Un véritable bonbon, cet article ! Super plaisant à lire, des phrases qui font mouche à tous les coups... De l'humour et une analyse hyper fine et juste ! BRAVO ET MERCI !Et ça parle sans doute à chacun d'entre nous car on a tous un "(...)
19/09/2023, 21:17
Pour les formats physiques il faut juste patienter jusqu'au 13 octobre. Il faut dire qu'il est arrivé vraiment sans prévenir.
19/09/2023, 19:07