C’est sans doute un peu subjectif, mais dès que je lis le nom « Profound Lore Records », je saute sur la nouveauté comme l’affamé sur le buffet gratuit. Subjectif, mais pas tant que ça, puisque le label canadien nous offre depuis des années des denrées non périssables de première qualité, entre chaos absolu roboratif et bruitiste sans concession très digeste. Et une fois encore, Profound Lore ne nous a pas dupés d’un vulgaire sachet de purée déshydraté en allant chercher les japonais de KRUELTY.
Bien installé depuis 2017, ce collectif de Tokyo propose l’une des mixtures les plus immondes du circuit nippon, à base de Death, de Doom, de Hardcore, de Beatdown, histoire de faire monter les blancs en neige. Et le coup de fouet de ces marsouins est rapide et précis, et propose une mayonnaise onctueuse fabriquée avec des œufs pas franchement pondus du jour.
Disgusting music from Tokyo, Japan.
Entrée en matière légèrement péremptoire, mais proche d’une réalité indéniable. Quatre ans après sa première distinction dans l’underground, KRUELTY revient nous bousiller les oreilles avec son barouf de titan, quelque part entre un Death floridien des années 80 et un Doom/Hardcore anglais puissant et nauséeux. Les japonais, comparés à plein d’autres artistes plus ou moins recommandables (CRAWLSPACE, JESUS PIECE, FUMING MOUTH, COFFINS, CIANIDE, j’en passe et des plus fréquentables) continuent donc de saper les fondations de la civilisation moderne pour la faire chuter dans les sous-bassement d’un monde enterré depuis des siècles, et peuplé par des créatures difformes, peu affables, qui n’ont qu’un seul but : vous les niaquer toutes crues et vous laisser l’âme en désarroi total.
Untopia mérite donc bien son titre, et évoquerait plus volontiers une dystopie du vingt-et-unième siècle à base de dictature bruitiste et autres exactions gravissimes. Quelque part entre GRAVE et MAUL, sous le regard hagard mais bienveillant de HOUKAGO WARFARE, KRUELTY frappe l’enclume avec une conviction admirable, en admettant que la dite enclume n’est rien d‘autre que votre pauvre crâne, fracassé comme une citrouille d’Halloween.
On soulignera évidemment et immédiatement cette production incroyable et caverneuse, qui laisse une caisse claire matte rythmer les attaques incessantes, et le vice suintant de ces guitares manipulées avec sadisme par MCD et Zuma. Quant au chant de 02, son classicisme désarmant fait le lien entre les différents plans, pour cimenter le tout et le rendre encore plus solide.
En gros comme en détail, tout ceci est laid, vilain come un pou, méchant comme une teigne, et entre divers courants aussi peu dotés d’empathie qu’un scientologue cacochyme. On mange chaud, et si le tout se présente de façon assez monolithique, le résultat n’en est pas moins assourdissant et avilissant. Rythmique en perpétuelle reconstruction, mélodies en langue de vipère, agression constante et systémique, pour un Death/Doom certes plus versé sur le Death que l’inverse, mais qui sait se faire lent et oppressant pour en rajouter dans l’horreur.
Basse Grind à la Shane Embury, reprises à la BOLT THROWER chafouin, groove irrésistible avant plongée dans les geôles humides de l’ultraviolence sourde, KRUELTY maîtrise tous les secteurs de jeu, et restitue une bouillie compacte qui coule dans la gorge comme un poison létal. On se laisse séduire - en bons masochistes que nous sommes - par ces ambiances poisseuses et étranges, par cette glue humaine qui colle aux basques comme un vieux chewing-gum craché par un tuberculeux, et on accepte le manque de déviations, puisque les plans sont suffisamment nombreux pour agiter tout le répertoire.
Statique mais souple, ce second longue-durée ne réserve aucune grosse surprise, et n’est certainement pas ce que le Japon peut nous présenter de plus immonde. On pourrait même dire que le pays du soleil levant s’est bien inspiré de son ennemi juré les Etats-Unis, tant ce brouet dégage un fumet connu des amateurs de Sludge/Doom des états du Sud.
Mais ne faisons pas la fine bouche, puisque le tout tient largement debout, et réserve quelques mauvais tours assez remarquables. Ainsi, « Untopia » offre un final horrifique à l’entreprise, histoire de nous laisser sur une note dépravée. On a connu plus violent, on a connu plus sourd, plus tranchant, plus maladif, plus bousculé et allumé du bulbe, mais la moyenne des ingrédients utilisés permet une homogénéité au-dessus de la moyenne, et Untopia reste donc un cauchemar très appréciable pour tous les insomniaques des nuits de torture.
Donc, beurk, mais pas tant que ça.
Titres de l’album:
01. Unknown Nightmare
02. Harder Than Before
03. Burn The System
04. Reincarnation
05. Maze Of Suffering
06. Manufactured Insanity
07. Untopia
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