Brutalism

Mur

23/10/2019

Les Acteurs De L'ombre Productions

On les construit, petit à petit, sans vraiment le savoir ou au contraire, consciemment. La première brique est sans doute celle qu’on remarque le moins. Un mot qu’on ne dit plus. Un sourire qui s’efface progressivement. Et puis les autres s’empilent. Ils ne ressemblent pas forcément à la pièce rectangulaire qui forme l’ensemble, et pourtant, ils en sont indéniablement. Ça peut être un smartphone qu’on utilise un peu trop souvent, un écran derrière lequel on se cache. Un ami à qui on ne donne plus de nouvelles. Des sentiments qu’on cache pour ne pas se révéler dans sa vraie nature. Et puis les mensonges, anodins ou plus cruels qui s’amoncèlent. Une porte qu’on n’ouvre plus. Des yeux qui se ferment sur l’atrocité du monde, mais l’un dans l’autre, l’une sur l’autre, les briques s’imbriquent, la structure monte, et on se retrouve un beau jour de l’autre côté, sans possibilité de retour. On dit que l’amour finit par renverser les montagnes et les faire tomber. Mais si l’amour est une pioche qui casse les briques une par une, encore faut-il avoir l’envie de la manier. Les MUR. Ces MUR qu’on érige pour se protéger de l’extérieur, cet extérieur qui fait peur parce qu’on ne le connaît pas, parce qu’on a peur qu’il s’insinue chez vous, ce joli jardin bien tondu, cette âme sombre qui ne doit être lue qu’en transversale, ces yeux qui ne voient que ce qu’ils ont de plus proche et souvent de moins important…Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi on les construit, alors même que les menaces extérieures se multiplient. Mais il n’est pas non plus difficile de comprendre qu’une fois coincé derrière, on n’existe plus que comme cellule d’une immense prison émotive qu’aucune clé chimique ne pourra ouvrir. D’un autre côté, et artistiquement parlant, le MUR a souvent servi de thématique aux artistes pour expliquer une démarche individuelle, pour formaliser la singularité, le blocage. Roger Waters en avait construit un pour sauvegarder la paranoïa de Rock Star de son alter-ego, Paul Auster en avait utilisé le concept pour donner corps à un absurde et poser les bases d’une logique inexistante, le bloc communiste en avait imposé le gigantisme pour bien marquer la scission entre liberté et surveillance…Mais aujourd’hui, le MUR est plus grand, plus compact, plus noir, et personne ne songerait à y grimper pour voir ce qui s’y cache derrière. Car ce qui s’y cache, c’est une somme d’influences qu’on ne veut pas accepter, ce sont des comparaisons que l’on veut à tout prix éviter, c’est une communication qui s’échappe du ciel pour ne pas être altérée…

Plus prosaïquement, MUR est aujourd’hui un sextet live. Et le groupe avait besoin de cette puissance pour retranscrire en concert la démesure de sa musique qui a atteint un niveau de maturation impressionnant. Quatre ans après un premier EP pris en charge par Dooweet, les parisiens ont subi quelques ajustements, accueilli de nouvelles têtes, mais peuvent toujours se reposer sur une base solide. Leur destin étant cette fois-ci entre les mains d’autres passionnés, ceux des Acteurs de l’Ombre, les musiciens peuvent afficher une confiance tout à fait justifiée. Et en quatre sorties simultanées, le label prouve encore s’il le fallait qu’il est l’un des plus éclectiques de l’extrême et de l’underground. Car Brutalism ne ressemble en rien au reste de leur production, qui elle-même présente des signes de multiplicité et de complémentarisme évidents. Osons le dire, et affirmons quelque peu. MUR est sans doute possible le groupe le moins marqué par le Black Metal de leur écurie. Les instrumentistes (Julien Granger - batterie, Alexandre Michaan - clavier, Thomas Zanghellini - basse, Benjamin Gicqaud - guitare, Jay Moulin - chant et Benjamin Leclere - guitare), venant tous d’horizons différents, n’en utilisent qu’une partie des codes, et notamment cette envie d’amplifier tous les modes d’expression pour abandonner toute concession, mais en toute franchise, la musique qui se dégage de ce premier longue-durée est aussi ancrée dans le Post Hardcore qu’elle n’échappe à une catégorisation trop poussée. On retrouve le langage employé sur l’éponyme début, ces structures mouvantes, ces stridences prononcées, cette façon d’intégrer des sons synthétiques dans un contexte mécanique, mais les progressions, l’ambiance générale, les détails, le chant, tout semble relié à une scène Hardcore vraiment jusque-boutiste qui nous rappelle les COMITY, groupe duquel Thomas Zanghellinia fit partie. On trouve aussi quelques traces éparses du NEUROSIS le moins enclin aux concessions, mais finalement, ce qu’on trouve est terriblement personnel, à l’image sonore de l’impitoyable « Red Blessings Sea » qui nie presque toute notion de musicalité pour emplir l’espace sonore de cris, de distorsion excessive, d’arrangements électroniques savamment dosés, et de hurlements écorchés. Et de fait, MUR prouve avec Brutalism que la violence et le ressentiment peuvent parfaitement s’accorder à la notion d’isolement, isolement sur une scène française qui rejette le cloisonnement, mais qui l’accepte pour ne pas avoir à assumer des influences gênantes. Chez nous, entre les murs de notre hexagone, on tient à sa singularité, et on ne souhaite pas la partager. C’est sans doute pour ça qu’on se repose sur une ouverture inclassable comme « Sound of a Dead Skin », multipliant les cassures rythmiques pour mieux faire valser les harmonies au plafond.

Sans jouer les vieux mystérieux, l’énigme MUR n’est pas des plus faciles à résoudre. Les nœuds des guitares sont solides et inextricables, et les humeurs changent d’un morceau à l’autre. Si le style suit un fil rouge, la façon de le formaliser est devenue différente, comme pour échapper à une facilité. Le groupe de 2015 est toujours là, en parenthèses, en interstices, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il a réussi son pari, à savoir affirmer encore plus son individualité, en s’en remettant à une confiance totale. Ce qui nous donne des dérivations qui pour une fois suivent les tranchées d’un Black intense et sans pitié (« Nenuphar »), tout en acceptant d’autres possibilités Post en brisant l’avancée de façon nette pour imposer des sons clairs et des murmures plus discrets en arrière-plan. Bien sûr, Post ne rime pas forcément avec THE OCEAN ou ALCEST, tout comme Black ne rime pas non plus obligatoirement avec MARDUK ou EMPEROR, et le traitement offert par les parisiens aux références qu’ils citent reste très personnel. Et en presque cinquante minutes de musique, sans en avoir l’air, les instrumentistes/créateurs se permettent justement de repeindre le mur à leur façon. Et s’ils cherchent généralement la déconstruction globale, ils ne se privent pas pour autant d’oser quelques thèmes plus accrocheurs, des motifs mémorisables, avant de les fracasser sur l’originalité d’un crossover global (« You Make I Real »), pour mieux terminer leur course dans les bras d’un Ambient qui apaise les tensions, mais n’éclaircit pas pour autant l’horizon.

Classique quand il le faut, mais toujours en porte à faux entre les extrêmes (« My Ionic Self », Sludge, Post Hardcore, BM, Post Punk), MUR se cache derrière sa façade et hurle. « Rien ne peut être fait sans la solitude. » disait Picasso. Brutalism n’est donc que le reflet de la violence qui émerge de l’absence de communication, lorsque les briques obstruent le ciel de la compassion.

                       

Titres de l’album :

                          01. Sound of a Dead Skin

                          02. I am the Forest

                          03. Nenuphar

                          04. Die Kinder Tanzen Um Das Feuer Desjenigen Der Das Licht Bringt

                          05. Third

                          06. My Ionic Self

                          07. Red Blessings Sea

                          08. I See Through Stones

                          09. Livity

                          10. You Make I Real

                          11. BWV721

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par mortne2001 le 10/11/2019 à 14:22
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labbe

ça va en faire du selfie à la con sur internet... 

09/07/2025, 10:44

Dom

C'est justement peu-être l'affiche 2025 qui a convaincu  :)

09/07/2025, 10:34

Humungus

Si je voulais être méchant, je dirai : "Y a-t-il encore des fans de Metal au HELLFEST ?"

09/07/2025, 10:30

l\'anonyme

Avec qui en tête d'affiche? Radiohead ou Oasis? Plus sérieusement, je me de mande encore comment le festival peut afficher complet avec l'affiche qu'ils ont réalisée pour 2025. Comment les fans de metal peuvent encore leur faire confiance ? 

09/07/2025, 10:13

GPTQBCOV

@DPD : on te vois beaucoup t'attaquer aux groupes de croulants mais on ne te vois jamais la ramener sur tes groupes du moment, ce que tu aimes ou les groupes qu'il faut désormais en lieu et place de ces formations vieillissantes que tu dénonces tant... 

09/07/2025, 06:45

DPD

@Jus de cadavreGenre ils on payés les frais de déplacement et l'hôtel, me fait pas rire, les enfoirés part 2. Au moins le juif Patrick Bruel tiens debout.

09/07/2025, 01:12

LeMoustre

Très bon album avec 3/4 titres vraiment excellent et un bon niveau global.Quelques Slayeries comme sur Trigger Discipline mais rien de méchant. D'autant que le titre Gun Without Groom est vraiment terrible, en effet. Un très bon cru

08/07/2025, 23:59

DPD

Pour moi je vois c'est l'équivalent que de voir 2pac en hologramme (qui était homosexuel), peut-être même pire parce que l'illusion tiens mieux le coup, je reste sur cette position.

08/07/2025, 22:44

Jus de cadavre

Les bénéfices du concert était entièrement reversés à une œuvre caritative. Aucun des groupes présents n'a palpé pour leur concert (en même temps c'était 20 minutes de live par groupe...). Après ça (...)

08/07/2025, 22:42

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@SalmigondisJe sais pas si tu veux quelque chose qui fait plus l'unanimité j'ai vu Morbid Angel au bout et c'était de la merde, une prestation robotique au possible, j'ai pris plus de plaisirs sur des trucs plus locaux à la con. Il faut savoir tourn(...)

08/07/2025, 22:28

Mass

Mais quelle bande de clodos...tout le monde se branle du batteur sans déconner. Se faire du fric de cette manière c'est franchement pathétique. Massacra est mort et enterré...qu'il le reste pour conserver son statut CULTE. Honte &agrav(...)

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Avant d'aller me faire voir ailleurs, je partagerai avec vous cet hommage Fernandelien :"Aux adieux de Black Sabbath, il tremblait pas mal d'la patte.Fais l'Ozzy, assis."

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Ben tu m'étonnes, DPD, d'être passé à autre chose.  En même temps, quand on a eu ces groupes là comme entités fétiches, on ne peut qu'aller de l'avant. C'est comme partir de zéro (je plaisante

08/07/2025, 21:26

DPD

Je comprends juste pas cette envie adolescente permanente de revoir ses groupes de jeunesse. Je veux dire je suis de la génération qui est passé par Korn Slipknot et compagnie mais je suis passé à autre chose.

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Lors du dernier concert de Motorhead auquel j'ai assisté, Lemmy était... pathétique (mais pas loin). Et pourtant il était planté sur ses quilles. Alors jouer assis avec Parkinson en bandoulière ? Business is business, la machine à biftons DEVA(...)

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DPD

@HumungusJe fais une exception pour Motörhead (que je n'apprécie pas plus que ça) parce que Lemmy était sous un haut dosage de drogue/alcool pour tenir le coup et pas s'écrouler sur une chaise.

08/07/2025, 17:31

DPD

Je vois pas ce qui est légendaire à un trubo grand-père qui tiens péniblement sur une chaise. Je dois manquer quelque chose. Pour ma part c'est autant ridicule que les concerts avec des stars mortes en hologrammes. Faut vraiment être con.

08/07/2025, 17:18

DPD

C'est profondément pathétique.

08/07/2025, 17:12

FDP

@LeMoustre : espèce d'abruti... le but du concert, outre le fait que c'était un évènement caritatif, c'était qu'Ozzy puisse faire des adieux en bonne et due forme à la scène, chose qu'il n'avait pas pu réaliser (...)

08/07/2025, 06:08

Buck Dancer

J'ai pas encore tout regarder mais y a t'il un groupe qui a joué le morceau Black Sabbath ?LeMoustre, pour ce concert je pense que l'émotion et la communion entre groupes et public était plus importante que le reste. A voir les vidéos j(...)

07/07/2025, 22:26