Il se passe des trucs bizarres en Australie. Jusqu’à présent, j’en étais resté au Thrash, au Hardcore, à l’Alternatif, mais la scène BM nationale n’est pas en reste et semble s’incarner autour de groupes bizarres, aux desseins néfastes et aux objectifs nuisibles. Il est certain que je ne peux faire une généralité d’un cas isolé, mais celui du sombre projet PLOUGHSHARE n’incite pas à la bienveillance. Je n’ai évidemment aucune information à faire circuler à leur (son ?) sujet, les données étant encore une fois plus que rares sur la toile et même sur les pages officielles du groupe. Je peux tout au plus vous dire que ce combo nous en vient de Canberra, qu’il a sorti un premier EP en 2017, subtilement intitulé Literature of Piss, et que les sites recensant son existence parlent d’un mélange de Black, de Death et de Doom, ce contre quoi je m’inscris en faux. Sans prétendre détenir la vérité absolue quant aux démarches artistiques des musiciens mondiaux, je tiens à préciser que les PLOUGHSHARE sont purement et pleinement BM, de la tête cornue jusqu’aux pieds fourchus, et que leur premier longue durée est une œuvre définitivement nihiliste quelle que soit l’approche que vous lui accordiez. Difficile toutefois d’affilier cet album à une extension noire particulière, puisqu’il semble prôner une pluralité qui lui confère justement une aura particulière, passant sans vergogne de blasts ultrarapides à des atmosphères beaucoup plus délétères, avec un flair indéniable et une aisance mortifère. Mais attention, point d’avant-garde là-dedans, ni d’expérimental, ou alors jusqu’à un certain point, puisque le tout est cohérent, progressif et tout à fait logique, et d’une musicalité que les plus retors ne pourront contester. Dès lors, comment parler d’un travail qui la plupart du temps échappe à toute catégorisation ? Les comparaisons devenant futiles et donc sujettes à caution, il convient de ne parler que de ce qu’on connaît bien, et de rester calé sur une ligne objective prenant en compte les seuls paramètres proposés par les morceaux en eux-mêmes.
Et ceux-ci partagent leur temps et leur philosophie entre des passages sans pitié, et des recherches plus occultes, ne semblant s’inspirer d’aucun dogme nordique pour élaborer leurs funestes plans. Certes, au détour d’un riff, on peut sentir le parrainage inconscient d’un DARKTHRONE ou d’un MAYHEM, mais ces sensations sont fugaces et certainement induites par un réflexe naturel plus que par un réel désir de coller aux principes de base. Ici d’ailleurs, la base est mouvante, très libre, et semble plus puiser dans le legs du BM allemand le plus rude, sans vraiment en proposer un démarquage net et précis. Sans autre informations sur le line-up de PLOUGHSHARE, je ne saurais dire qui fait quoi et comment, même si l’on sent une osmose instrumentale semblant découler d’un partenariat plus que d’un one-man-project. Globalement, In Offal Salvation est furieux, autant que le Black peut l’être lorsqu’il se veut radical et franc. Les guitares sont rigides et leurs licks glacés comme des lèvres en hiver pendant un enterrement, la rythmique est massive, la plupart du temps calée sur un nombre conséquent de BPM, et la voix, écorchée, mais loin des turpitudes agonisantes du genre. On dirait en effet que le résultat obtenu découle d’une fusion de multitudes de styles, qui une fois mêlés donnent cette ode à la brutalité, à l’obscurantisme musical, sans pourtant se départir d’un raisonnement terriblement cartésien. Et cette dualité intrigue, au moins autant que les titres les plus opaques, qui développent de beaux arguments ténébreux, contrastant de fait avec ceux privilégiant une optique plus directe.
Et après une intro glauque comme une exploration sous-terraine en version found-footage, « Flesh Cleft Upon Writhing Altars » nous heurte de plein fouet avec son BM âpre et compact, nous aiguillant sur la voie d’un Black classique, aux déviances notables. Déviance, pour ce son global massif, mais légèrement diffus, pour ce chant un peu sournois et mixé en avant, et à cause de ces riffs trempés dans la glace norvégienne et congelés ensuite sous la rigueur hivernale d’un mois de janvier à Berlin. Mais aussi à cause de ces mélodies acides et ces tics maladifs, cette raideur de ton, et de cette outro étrange et presque grotesque à base d’effets intrigants, menant directement à la boucherie intégrale de « Subterranean Vestiges Dragged Forth », sorte de copie non-conforme du MARDUK le plus impitoyable et retors, celui de Rom 5 :12, soit la quintessence d’un Black qui souhaite s’extirper de sa condition de polichinelle horrifique. Un Black qui n’aurait retenu de la violence que son sadisme et son immédiateté, un supplice infligé avec condescendance, un cri guerrier émanant de nulle part et qui résonne dans la mémoire meurtrie des défenseurs de la musicalité la plus évidente. Des ralentissements en forme d’écrasement, un pilonnage systématique des sens, et une vilénie de ton qui profitent aux meilleurs efforts discographiques qui refusent la facilité de fond pour travailler l’atmosphère de ton. Et encore une fois, la transition est menée avec une pertinence rare pour nous mener au croisement « The Urinary Chalice Held Aloft », long de plus de huit minutes, et mixant des influences Ambient, Noise, avant de nous frapper d’une harmonie insidieuse préfigurant un aplatissement Doom du plus bel effet. Ce morceau est sans doute la quintessence de l’art des australiens, qui distillent leur étrangeté avec une parcimonie particulièrement intelligente, dosant leur effort avec efficience, pour ne pas sombrer dans les affres de l’expérimentation et perdre leurs auditeurs en route. C’est donc lourd, glauque, strié d’arrangements d’arrière-plan tous plus cacophoniques les uns que les autres, avant que la machine ne s’emballe de nouveau pour nous bousculer de blasts impitoyables.
Crossover ? Le mot est lâché, à condition de le considérer comme un art et non une facilité ou une tergiversation. Car In Offal Salvation est homogène dans sa pluralité, et nous offre une démonstration de force nuancée ne perdant jamais une once de son impact. Mais avec des thématiques centrales d’une violence et d’une méchanceté inouïes, et des trouvailles de mise en place toutes aussi malsaines les unes que les autres, les PLOUGHSHARE signent un manifeste de haine d’un nihilisme effarant, sans pourtant céder aux sirènes faciles de la malséance gratuite. On tremble, mais pas à cause d’effets cheap ou de scare-jumps musicaux factices, on ressent la colère monter mais jamais gratuitement, et les stridences, les dissonances, palpables, disputent le peu d’air frais à des mélodies de guingois qui elles-mêmes doivent jouer des coudes avec des bruits incessants, des ronflements, des éclairs de mauvais contact, le tout emballé dans un concept terriblement lucide. Et « Salvific Putridity Bestowed » de persister dans cette voie en consacrant quelques minutes d’intro à un Drone/Ambient étrange, avant de distordre une fois encore le BM pour le sortir de sa condition prédéfinie. C’est évidemment brutal, éminemment bruyant, mais aussi viscéral, démoniaque, et certainement l’incarnation la plus infernale disponible sur le marché actuel. Entre des morceaux qui n’hésitent pas à jouer la concision (« Essence Expurgated; Reconstituted »), des interludes en trait d’union assourdissant (« Natality's Divinity Through Defilement »), et un final éponyme synthétique, In Offal Salvation s’avère d’une richesse incroyable pour sa petite demi-heure, et case plus d’idées que beaucoup d’autres groupes ne l’ont fait dans toute leur discographie. Un groupe étrange pour une musique ne l’étant pas moins, et un mystère qu’on n’a pas forcément envie de percer pour le laisser et l’apprécier en l’état. Souhaitons que la suite soit tout aussi bizarre, car les groupes comme PLOUGHSHARE sont rares. Et précieux.
Titres de l'album :
1.Carnal Revelation Unfolding
2.Flesh Cleft Upon Writhing Altars
3.Subterranean Vestiges Dragged Forth
4.The Urinary Chalice Held Aloft
5.Salvific Putridity Bestowed
6.Essence Expurgated; Reconstituted
7.Natality's Divinity Through Defilement
8.In Offal, Salvation
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