MORD'A'STIGMATA n’est pas prêt à renoncer à sa singularité, et c’est un constat rassurant. Avec ce sixième album, le groupe de Bochnia s’enfonce un peu plus dans ses obsessions, et nous livre une suite plus qu’honorable au phénoménal et bizarre Dreams of Quiet Places, qui ne rêvait pas vraiment d’endroits plus paisibles. Retrouver ce chant si théâtral, proche d’un CHRISTIAN DEATH, ces dissonances, cette atonalité permanente et ces arrangements étranges est toujours un plaisir absolu, et en termes de promesses, Like Ants and Snakes tient les siennes, et nous entraîne dans un au-delà biscornu, peuplé de créatures difformes, de fourmis et de serpents qui se disputent le rôle de prédateur apocalyptique.

Pas de mise en jambes, pas de résumé à l’adresse des néophytes, « Blood of the Angels » fonce directement dans la pénombre, et laisse l’initié se repaître de sa propre curiosité. Après tout, dix-huit ans d’existence et six longue-durée sont largement suffisants pour ne plus avoir à se présenter, et si vous avez raté le début comme le disait une célèbre revue au chiffre 7, il n’est pas trop tard pour rattraper votre retard et vous plonger dans l’une des discographies les plus riches du Post Metal.

Le terme est lâché, et les allergiques sentent déjà les irritations et boutons sur leur peau. Post Metal oui, mais pas dans le sens entendu globalement. Ici, le Post Metal signifie quelque chose au-delà du Metal, mais loin des contemplations harmoniques et des longues plages de silence qui peuvent, je l’admets être, irritantes.

Vous pouvez donc faire confiance au quatuor (Static - guitare/claviers/piano, Ion - chant/basse, Golem XIV - guitare et Ygg - batterie),  line-up stable depuis 2017 pour ne pas faire les choses comme leurs petits camarades. J’en tiens pour preuve « Like Ants and Snakes », uniquement basé sur des percussions hypnotiques et une guitare Death Rock des années 50, qui progresse en crescendo traumatique avant d’exploser Cold Wave sur son terme. Un modèle de composition affranchie, une beauté trouble entre l’écurie 4AD et Cold Meat Industry, entre DANZIG et les VIRGIN PRUNES, entre beauté et laideur industrielle, pour une fois encore, assumer sa singularité. Un bon choix, mais qui laisse des traces et fait grimper les exigences d’un ou deux crans.

Qu’à cela ne tienne, les polonais ont toujours un coup d’avance. D’ailleurs, le centre de l’album est extraordinaire de culot, payant une dime légitime à FIELDS OF THE NEPHILIM, SHINING, THE CURE, les SISTERS OF MERCY et quelques iconoclastes de l’écurie Ipecac. De fait « I Am the Arm » va provoquer le « I am the Table » de James Hetfield, et se veut bras armé d’une justice artistique qui conchie la facilité d’une évasion un peu trop bien planifiée. Car être bizarre est une chose, se vouloir bizarre une autre. Les MORD'A'STIGMATA n’ont rien demandé, restent eux-mêmes, et laissent leur inspiration faire le reste. Entre fulgurances électriques et moments d’apaisement mélodique, Like Ants and Snakes construit patiemment dans un travail de fourmi, pour mieux sinuer comme un serpent. Et alors qu’on s‘y attend le moins, on se retrouve avec des crocs plantés dans la cheville et les bras couverts d’insectes. Autre réalité, mais époque contemporaine.     

Cette chronique joue à un petit jeu de dupes. J’ai bien conscience que mettre des mots sur cette musique est dérisoire, et même pathétique. Elle se comprend autant qu’elle ne se ressent, et ma prose ne vous aidera en rien à compléter le puzzle et résoudre l’énigme. Et finalement, on peut presque dire que c’est mieux comme ça.

Seul morceau à se rapprocher de la conception générale du Post Metal, « Constant Sway » offre une pause, un temps d’arrêt dans le film, comme si l’une des bobines n’était pas la bonne. On sent un sax s’époumoner comme aux grandes heures de SHINING, une multitude de couches vocales qui se chevauchent et se nouent entre elles, une guitare monotone et une basse renoncée, et on se laisse emporter comme par un vent puissant qui menace de faire tomber les toits et les pancartes publicitaires.

Mais comme tout album de MORD'A'STIGMATA digne de ce nom, il fallait une conclusion parfaite. Impossible de les quitter à nouveau sans ramener des images, des sons, des couleurs, et « Voluntarily Gone » d’incarner cet épilogue avec force arrangements, écho, delay, nostalgie et teintes jaunies.

Relisant les partitions de BAUHAUS pour mieux les jouer à la sauce de l’est, MORD'A'STIGMATA nous éblouit de son intelligence de composition, privilégiant toujours les longues évolutions logiques aux promenades vers nulle part qui sont souvent le seul destin de centaines de groupes pariant sur une mélodie répétée à l’envi jusqu’au dégoût. Un très gros travail sur les guitares qui permet à la basse de répéter la même boucle, un chant encore noyé dans le mix mais inquiétant lorsqu’il revient en volutes, et une rythmique mouvante, qui avance coute que coûte, et même si le tout peut rappeler un NEUROSIS dissonant, nous sommes quand même à des années-lumière d’une facilité qui finit par donner trop de grain à moudre aux détracteurs.

Beau comme l’étrangeté peut l’être, laid comme le reflet d’un homme moderne dans un miroir fatigué, Like Ants and Snakes est une étude d’entomologiste musical sur le monde microscopique et ses propriétés. Comme une fourmi qui rentre par un minuscule interstice, comme un serpent qui profite d’une minute d’inattention, ce sixième album tend des pièges, mais n’attaque que pour se nourrir.

De votre peur ou votre ignorance.            

Titres de l’album :

01. Blood of the Angels

02. We Dance

03. Like Ants and Snakes

04. I Am the Arm

05. Constant Sway

06. Voluntarily Gone

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