Une intro bizarre et incantatoire de plus de quatre minutes, une caution « expérimentale » mise en avant, une poignée de titres pour un deuxième album cryptique, voilà de quoi intriguer les amateurs d’avant-garde, pour peu qu’ils restent sur les leurs. INCANTVM fait partie de l’underground transalpin depuis quelques années maintenant, et tient à son rang et à son standing artistique. Et Maleficia développe justement ces arguments avec un magnifique pragmatisme musical dissimulant des ambitions théâtrales substantielles. 

Un seul long jusqu’à présent, un mystère bien gardé dans les soutes, et un voyage pour le moins étrange. Voici peu ou prou les conditions d’acceptation exigées par les italiens, qui se regroupent en équipage pour mieux mener leur barque à destination. Laquelle ? Une destination inconnue, sombre, à l’air vicié et à l’atmosphère poisseuse. Une destination qui nous entraîne aux confins du monde connu pour regarder dans l’abysse si la bête ne serait pas déjà devenue nous-mêmes. Et sous une instrumentation classique se cachent des efforts accomplis pour sonner plus original que la moyenne, en plaquant des cassures biscornues et à la limite de l’Ambient.

Ils sont nombreux, c’est un fait. Le line-up est donc dense, et chargé d’une instrumentation riche et ouverte. Vittorio Sabelli (guitare, clarinette, clarinette (basse), saxophone et piano), Nequam (chant), Tenebra (chant féminin), Lorenzo Mastrogiuseppe (basse), Luca Tiraterra   (batterie), Marco Molino (batterie), et Samael von Martin (guitare) se livrent corps et âme pour sculpter cette œuvre plus originale qu’unique, même si le parfum qui exhale de ces cinq morceaux s’apparente à des effluves inconnus du commun des mortels.

En confrontant la violence la plus crue du BM au côté iconoclaste de son pendant plus expérimental, INCANTVM convoque les bon démons aux agapes de l’occultisme, allant même jusqu’à les laisser juges d’un tracklisting faisant la part belle aux déviations inattendues.

Et il n’est nul besoin d’être patient pour prendre note des ambitions italiennes. La seconde moitié de « Donna Prudentia » expose déjà les faits, avec son cheminement progressif, glissant de la bestialité la plus crue au folklore le plus enraciné dans l’histoire italienne. « Gli Esorcismi di Canidia e Sàgana » se calme un peu sur les velléités trad, mais reste quand même hors de portée d’une brutalité classique et prévisible. Mais c’est évidemment le premier coup de semonce historique « Incantvm / Kyrie » qui replace la barre à la bonne hauteur, avec sa clarinette basse mélancolique et sa mélodie amère et subtilement fanée.   

En s’inspirant de Mozart, INCANTVM rejoint les rangs de ces artistes fascinés par l’œuvre classique, et désireux de la transposer dans un langage plus Rock/Metal. Et l’opposition entre ces deux mondes produit un décalage évidemment intéressant, et une confrontation entre délicatesse et rudesse. Aussi progressif qu’un album de Black ambitieux peut l’être, Maleficia cherche la malice et les maléfices, et les trouve assez facilement, puisqu’ils s’insinuent dans nos cœurs comme une malédiction ancienne. Un chant théâtral au possible, un rythme qui se met au service des chansons, une lancinance de fond qui rompt avec l’habituel exercice de blasts omniprésents, tous ces éléments à charge font d’INCANTVM un groupe fascinant, qui n’utilise pas l’instrumentation hors-cadre comme un gimmick. Le talent naturel de Vittorio Sabelli lui permet de proposer des séquences dignes d’un film des années 70, avec vent, cordes et apaisement, mais aussi une agression des sens plus contemporaine lorsque le chant décharné hurle ses invectives à qui peut les supporter.

Quelque part entre la commedia dell'arte et un opéra maudit avant d’avoir été joué, ce deuxième long se montre constant dans ses choix, et d’une plus-value énorme. Alors que souvent, les chantres de l’avant-garde se perdent dans leurs propres pensées (qui n’intéressent qu’eux-mêmes d’ailleurs), INCANTVM sait exactement où il va, utilise la basse comme boussole au nord chancelant, le piano, la clarinette et le saxo comme personnages à part entière, pour brosser un conte noir comme la nuit, mais immersif, et riche en rebondissements.

L’apogée de cette approche est atteinte lors du long final serpentin « Diana ». Entame apaisée et pastorale, montée en puissance progressive du Metal le long de la narration, pour une clôture digne de ce nom, entre boucles de guitare acides et accélération impromptue pour finir à l’heure. Cette suite est une épiphanie en elle-même, qui fait plus que résumer le propos. Elle ouvre des chemins possibles, et développe des qualités instrumentales qu’on croyait réservées aux années 80, lorsque l’exercice était encore un incontournable.

Comme du MAIDEN joué par des troubadours, « Diana » ose l’émotion, la lumière tamisée, tout en gardant en réserve ce chant qui se transforme en diction grave. Passionnant comme une œuvre religieuse revenue d’entre les morts, « Diana » est sans doute l’élément le plus persuasif d’un album qui n’en manque pourtant pas, et prouve s’il en était besoin que le Black Metal n’est pas qu’une messe noire vulgaire donnée en l’honneur de démons fantoches.

INCANTVM n’est pas le groupe le plus diabolique de l’histoire italienne, mais il en est l’un des acteurs les plus investis et passionnés.                 

Titres de l’album:

01. Rinascita

02. Donna Prudentia

03. Gli Esorcismi di Canidia e Sàgana

04. Incantvm / Kyrie (from Mozart’s Requiem K626)

05. Diana

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