On The Air

Sleep In Heads

01/03/2018

Noizr Productions

Je ne suis pas homme à me lancer à corps perdu dans l’analyse et l’appréciation du Metal Progressif à tendance planante. Cette preuve d’honnêteté étant faite, je reconnais au style d’indéniables qualités, mais je suis aussi suffisamment lucide pour savoir qu’à l’instar de son homologue Rock, cette scène a probablement dit tout ce qu’elle avait à dire depuis la publication des chefs d’œuvre du genre. Si les chantres de la progression interminable que furent YES, KING CRIMSON, PINK FLOYD (mais peut-on encore sérieusement leur accoler l’étiquette ?), ELP, RUSH et consorts ont gravé les tables de loi depuis les années 70, les éternels DREAM THEATER, OPETH, THE GATHERING, Steven WILSON, PORCUPINE TREE, et pourquoi pas (et d’ailleurs, oui) Devin TOWNSEND se sont servis de leurs enseignements en les durcissant pour les adapter à une sémantique agressive, sans dénaturer le propos d’origine. Au menu, les mêmes digressions sans fin et la même habileté technique, souvent dénuées de sens et d’émotion chez les suiveurs les plus régressifs, et la plupart du temps, osons-le dire, plutôt vaines tant les directions suivies ressemblent à des impasses vers un infini qui n’existe pas. Je ne suis pourtant pas contre la longueur, la célérité et une certaine forme de démonstration, pour peu que ces arguments servent le verbe et non le remplacent. Le principal étant à la base d’offrir à l’auditeur éventuel des chansons, aussi simpliste et lénifiant soit ce constat, ce que les groupes du cru ont souvent tendance à oublier pour privilégier le tape-à-l’œil ou l’égarement sur les voies impénétrables de la consécration instrumentale. Seulement voilà, tout n’est pas aussi compliqué pour tout le monde, et certains musiciens voient encore dans le progressif une progression, se basant sur un thème fort et des mélodies heureuses, histoire de ne pas déambuler dans les couloirs exigus de la stérilité mélodique et des labyrinthes rythmiques. Les ukrainiens de SLEEP IN HEADS font partie de cette caste, et leur humilité est presque touchante. Mais elle ne doit pas faire oublier pour autant qu’ils sont d’excellents musiciens, ainsi que d’habiles compositeurs, sans pour autant viser le paroxysme ou la plénitude, autrement que par l’appréciation de leur propre nature.

SLEEP IN HEADS, c’est d’abord un patronyme né de la traduction du nom de la chanteuse de ce quintette surprenant et attachant (Sonya - chant, Serj - guitare, Roman - batterie, Fann - basse et Natalia - violon), qui se présente à nous via cette première offrande discographique, On The Air. D’une durée respectable de quarante minutes, mais traité comme un EP, cet enchainement de six titres se révèle fort jolie carte de visite, et surtout, une preuve que le Progressif peut être pluriel dès lors qu’on ne l’entrave pas de considérations egocentriques. C’est aussi un premier témoignage assez séduisant de versatilité, qui ose une poignée de compositions faussement simples, mais réellement riches, qui butinent les fleurs du mal alternatif pour l’insérer dans un contexte purement Progressif (pas vraiment Rock, mais pas foncièrement Metal non plus). Le cocktail évoque un merveilleux mélange entre l’univers onirique des THE GATHERING (et d’Anneke en solo aussi parfois), et la scène Post-Metal de l’Est, pour un mélange d’agressivité/douceur en saveurs sucrées/salées parfaitement délicat. Inutile donc de traquer les accès de violence qui font partie du cahier des charges (même si la mini-tempête de blasts discrets sur « Time Like The Sand » peut en faire office), et mieux vaut plutôt se focaliser sur la capacité du quintette à trousser des ambiances vraiment envoutantes, en demi-teinte la plupart du temps, mais qui parviennent à générer des émotions assez tangibles pour peu qu’on en appréhende toute la subtilité. Les modulations sont évolutives, et amenées avec beaucoup d’intelligence, et si le discours se rapproche plus du Metal/Rock de la fin du millénaire précédent que du progressif pur et dur à la PORCUPINE TREE/Steven WILSON, nous ne nageons pas pour autant en plein populisme de vulgarisation, mais nous évitons aussi l’écueil de la surintellectualisation. Et ça, c’est un très bon point. S’il est certain que les fans hardcore du genre auront du mal à accepter l’adoubement de la troupe au sein de la confrérie (leur musique est plus construite en paliers que réellement progressive), les plus ouverts et même les réfractaires pourront y trouver leur compte, tant les morceaux sonnent, et utilisent avec beaucoup de flair des harmonies simples qui se retrouvent enrichies d’arrangements sobres. Et l’un dans l’autre, après quarante minutes d’écoute, la lassitude reste tapie dans l’ombre tandis que la curiosité se trouve stimulée, ne sachant pas très bien quel conseil prodiguer au cerveau pour lui indiquer une jolie case ou ranger le groupe.

Techniquement, les protagonistes tiennent largement la route, et se montrent affutés, mais surtout pertinents. Si la section rythmique s’amuse parfois beaucoup (le pattern bancal de « Blue Fear » que Mike Portnoy aurait pu nous coller à sa grande époque Awake), elle suit le mouvement et n’en fait jamais trop, à l’image de cette vocaliste au timbre très proche de la belle rousse hollandaise Anneke van Giersbergen, sans cette mauvaise habitude de partir en vrille dans des arabesques en circonvolutions qui rendaient certains morceaux de THE GATHERING assez difficiles à supporter. Sonya, sans en faire trop, s’impose comme meneuse de troupe, et son timbre de voix un peu voilé s’accommode très bien du canevas tissé par ses camarades de jeu, et s’intercale parfaitement entre les breaks, et les interventions de violon de sa consœur Natalia qui frotte ses cordes avec discrétion, pour souligner, et non transpercer. Pas d’influences classiques à craindre, mais de belles volutes slaves qui parfois nous enchantent de leurs accents Folk (« Blue Fear », toujours, le meilleur titre selon mon humble avis…), et qui s’intègrent à merveille à l’ensemble. Mais surtout, de la délicatesse, comme une politesse de l’âme qui empêche ces conteurs harmoniques de tomber dans le poujadisme de solfège, et qui les fait toujours choisir la solution la plus idoine (« Secret Shelter », dont les ondulations de clavier évoquent le passage des nuages dans un ciel d’été). Une modestie de ton et de son qui n’occulte pas les ambitions, mais qui leur confère une dimension humaine, comme ces instants de vie que les musiciens souhaitent nous faire partager. Une couleur pastel qui devient monochrome, pour des photos qu’on regarde avec tendresse, suggérant des souvenirs de quiétude et de bonheur, et une communion parfaite entre le pratiquant et son instrument, et entre le croyant et ses convictions personnelles. Et On The Air de progresser à son propre rythme, sans se hâter, justifiant chaque note, chaque vers, pour nous proposer un ailleurs décidément très attrayant.

Mais les SLEEP IN HEADS l’affirment dès l’entame de leur EP via ce sublime « Pacifying », ils sont là pour vous apporter la paix, sans fermer les yeux sur la violence du monde. Ils se permettent simplement de l’occulter, le temps de quelques chansons, qui, si elles ne changeront pas le cours des choses, vous auront au moins apporté une esquisse de bonheur l’espace d’un instant.


Titres de l'album:

  1. Pacifying
  2. Vagrant
  3. Deceiver
  4. Time Like The Sand
  5. Blue Fear
  6. Secret Shelter

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 25/02/2018 à 18:19
85 %    1226

Commentaires (0) | Ajouter un commentaire

pas de commentaire enregistré

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Peter Hook and the Light

RBD 14/03/2025

Live Report

Fanzinat - Projection du Documentaire

mortne2001 23/02/2025

Live Report

Voyage au centre de la scène : HOLY RECORDS

Jus de cadavre 23/02/2025

Vidéos

Obscura + Gorod + Skeletal Remains

RBD 17/02/2025

Live Report

Doom, Rock'n'Roll & Vin rouge

Simony 10/02/2025

Interview

Voyage au centre de la scène : le tape-trading

Jus de cadavre 09/02/2025

Vidéos

Carcass + Brujeria + Rotten Sound

Mold_Putrefaction 28/01/2025

Live Report

Carcass + Brujeria + Rotten Sound

RBD 23/01/2025

Live Report

Antropofago + Dismo + Markarth

RBD 16/01/2025

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
LeMoustre

Sans Sy Keeler le groupe a perdu son identite

17/03/2025, 07:56

RBD

C'est le groupe du chanteur de feu Paean. Il faut que j'essaie l'album de 2022.

15/03/2025, 15:41

DPD

Franchement Alcest mérite mieux qu'un de ces énièmes groupes de post-rock ou post-metal à la con ou tout est recraché.

15/03/2025, 11:50

Tourista

Korsakov ?? Comme le groupe Néerlandais ?   Choix original.

15/03/2025, 08:31

Parize

Très bon groupe de Death grind,que je viens de découvrir moi qui aime la musique extrême je ne suis pas déçu !Je le conseille à tous 

12/03/2025, 10:09

Gargan

Va vraiment falloir arrêter ces commentaires politiques systématiques, c'est d'un redondant, même si, je conviens que pour le présent groupe ce soit peu évitable. Mais un peu de sérieux, le capitalisme honni se réjouit justement des luttes (...)

12/03/2025, 08:01

Jus de cadavre

Oui il y avait des tensions je pense. Hinds voulait clairement une orientation moins "Metal" depuis quelques temps pour Masto... Et dernièrement il était très critique sur le concert d'adieu de Black Sab' auquel Masto va participer. Il avait po(...)

11/03/2025, 20:35

Humungus

Du tout bon ça !!!PS : L'intro de la chro c'est pour de vrai mortne2001 ou juste pour la beauté du texte ???

11/03/2025, 19:29

Metal heart

Sans doutes leur meilleur album !

11/03/2025, 09:28

Buck Dancer

Apparemment Hinds était moins impliqué dans le groupe ces derniers temps mais c'est vraiment dommage cette séparation. 

11/03/2025, 07:47

Simony

 

10/03/2025, 17:21

LeMoustre

Merci

10/03/2025, 17:16

Buck Dancer

Non, Buck Dancer...

10/03/2025, 08:11

NecroKosmos

Perso, à part leurs deux premiers albums qui sont vraiment géniaux, le reste est quelconque et prétentieux.

08/03/2025, 16:08

Humungus

Tout comme Gargan, bien plus ADIPOCERE que HOLY à l'époque.HOLY étant bien trop atmo-avant-garde-mélo-musique-du-monde pour moi.Pout autant, GLOOMY GRIM et TRISTITIA  ont été de très grandes révélations au mili(...)

08/03/2025, 10:09

Capsf1team

Le catalogue était culte avec ses descriptions d'albums !!! ("la batterie va à 1000 km/h", "l'album de la maturité",...) Ma discothèque s'est constituée au début en grande partie grâce à eux.

07/03/2025, 16:48

Humungus

Miam miam !!!L'album hein...Pas la pochette... ... ...

05/03/2025, 20:30

Jus de cadavre

La boucherie encore bordel... 

05/03/2025, 15:33

Saul D

Ca m'évoque vaguement Terrence Trent d'Arby.....

04/03/2025, 15:24

Humungus

@ Mortne2001 :J'ai maté les films que tu conseillais et que je n'avais pas encore vu (voir même entendu causer...) :- ODDITY : Mouuuais... ... ...Idée de base pas mal mais des incohérences scénaristiques qui gâche totalement t(...)

04/03/2025, 12:25