Perception

Fragile Vastness

31/03/2017

Autoproduction

D’ordinaire – ce que vous savez si ma plume vous est familière – je ne m’attaque jamais à la rédaction d’articles concernant le Metal Progressif dans son ensemble. Mis à part le cas, unique je le crains, de DREAM THEATER, je laisse ça aux spécialistes de la gamme que je ne suis pas. Non que je déteste le genre, ce qui est faux, mais je ne m’estime pas suffisamment concerné par la chose pour y consacrer deux ou trois heures de mon temps, et soyons franc, admettons que très souvent la plupart des groupes du créneau recyclent des idées déjà exposées par leurs aînés, dans des versions plus ou moins reliftées.

Ce que je reproche en général aux combos ayant choisi de propager des idées illimitées dans le temps et la technique est toujours la même chose. De se contenter de laisser divaguer leur esprit créatif en espérant que le public comprenne leur démarche et y trouve son compte.

N’y trouvant pas le mien, et estimant leurs digressions un peu trop pompeuses et emphatiques (« pompier » serait le terme adapté), je préfère passer mon tour pour laisser mes oreilles traîner sur des constructions moins instables.

Sauf que de temps à autres, une surprise surgit, un peu de nulle part il faut bien le reconnaître, et me force à empoigner mon clavier pour vous convaincre du bien-fondé de mon changement d’opinion.

Ce fut le cas aujourd’hui en écoutant au hasard le troisième album des Grecs de FRAGILE VASTNESS, que je ne connaissais ni d’Athènes ni de Sparte, et qui pourtant existent depuis fort longtemps, suffisamment pour gagner quelques prix et un nombre conséquent de fans.

Troisième LP donc pour ce Perception, mais précisons d’emblée que son prédécesseur ne date pas d’hier…Sorti en 2005, A Tribute To Life, qui permit au groupe de se faire remarquer par le Metal Hammer local (qui avait élu le groupe « Greek Band of the Year »), avait malheureusement précédé de peu un gigantesque hiatus de près de huit ans.

Formé à l’orée des années 2000, le quintette avait alors pris une paire d’années pour préparer son premier LP, l’excellent Excerpts, qui malgré son nom, développait de belles qualités progressives intégrales. S’ensuivit une très belle première partie de carrière, jusqu’au départ inopiné de Haris Tsoumos, premier vocaliste du combo, vite remplacé par George Ikosipentakis, pendant une dizaine d’années, mais qui a lui aussi fait ses valises il y a deux ans pour rejoindre INNERWISH, entité Power Metal nationale à la réputation certaine.

Puis le silence se fit, avant que Vangelis Yalamas, bassiste et tête pensante ne se décide à réfléchir à un nouveau concept susceptible de redonner une impulsion à la créature protéiforme FRAGILE VASTNESS. 

 

Pour ce faire, l’homme et ses deux anciens complices (Babis Tsolakis – batterie et Evi Katsamatsa – claviers) recrutèrent donc une paire de guitaristes en remplacement d’Alex Flouros (George Thanasoglou et Vasilis Batilas), mais aussi une nouvelle vocaliste, en la personne de la flamboyante Elena Stratigopoulou. Après cette stabilisation, le bassiste se mit donc au travail pour offrir une digne suite à l’acclamé A Tribute To Life, qui a donc pris la forme de ce Perception, aussi progressif qu’il ne l’est pas, et qui nous offre un nouveau point de vue sur un groupe décidément à part sur la scène, qui n’a pas oublié qu’une bonne chanson l’était quoi qu’il arrive, agrémentée de fantaisies techniques ou pas.

Si Vangelis admet que ses influences se situent loin du créneau de son combo, et cite allégrement NINE INCH NAILS, Peter GABRIEL ou DEAD LETTER CIRCUS (sans occulter quelques références plus typiques comme ANGRA ou SHADOW GALLERY), ainsi que quelques bandes originales qu’il affectionne, c’est pour mieux mettre les choses au point dès le départ.

Non, FRAGILE VASTNESS ne ressemble ni à DREAM THEATER, ni à PORCUPINE TREE, PERIPHERY ou PAIN OF SALVATION, mais se veut personnel, fouillé, intime, et aussi Pop qu’il n’est Rock, Metal ou Jazz-Rock Fusion light.

Et c’est certainement ce qui fait sa force, même si certains accents ressemblent à s’y méprendre à des tics de Petrucci & co. L’ambiance est certes puissante, mais pas Power Metal pour deux sous, les structures sont complexes, mais pas absconses, et les mélodies plus franches que la plupart des ensembles du cru qui parfois se perdent dans les méandres de GENESIS ou Neal Morse.   

D’ailleurs, si je devais comparer les Grecs à une influence qui n’est pas forcément leur, j’emploierais l’exemple du QUEENSRYCHE de transition, celui capable de passer de Hear In The Now Frontier à Dedicated To Chaos, sans perdre de son aisance ou paraître déplacé.

Pour les puristes, l’expérience risque de se montrer un peu trop soft, et manquant cruellement d’épices de guitares, souvent noyées dans des arrangements smooth amplifiés par une production vraiment soignée. L’approche est parfois à la lisière de la Pop ou du Metal Alternatif un peu Jazzy (« A Wall of Glass » et son solo de basse exotique à la Pastorius, un vrai bijou d’ailleurs illustré d’une vidéo), et attaque rarement de front, préférant les chemins de traverse un peu synthétiques qui groovent avec panache (« World Distorted », évoquant un peu le GATHERING élastique de How To Measure a Planet, en moins spatial).

Musicalement, les individualités sont évidemment notables, et les deux petits nouveaux six-cordistes assurent dans les grandes largeurs, tant en solo qu’en rythmique.

La voix nouvelle d’Elena s’est parfaitement intégrée à l’optique de renouvellement dans la continuité de Vangelis, qui a peaufiné de magnifiques écrins aux digressions de sa nouvelle front-women (aussi à l’aise dans le feutré que dans le lyrique démonstratif, ce qui est assez rare pour être souligné), qui s’en donne à cœur joie sur des morceaux en constante opposition de couplets électro-métal retenus et de refrains directs et convaincus (« Heaven On Mars »).

Perception a donc beaucoup à offrir, et y compris en termes de visuel et de contexte. Car sous sa sublime pochette sujette à interprétation se cache un concept travaillé, volontairement laissé dans le vague par son créateur, qui préfère parler d’une histoire tragique de perte, celle d’une famille dans un accident de voiture laissant une femme affronter seule son destin par le deuil.

Et pour mettre en relief ce thème somme toute assez universel, Vangelis  n’a pas hésité à voir plus loin que le bout de son nez Metal, affirmant avec conviction « expérimenter et oser explorer tout ce qui est en dehors des limites du métal typique d'aujourd'hui ». Cette assertion est confirmée par des compositions libres et léchées, à l’image de ce title-track « Perception », qui se permet une structure n’ayant que peu de choses en commun avec les digressions du Metal tel que nous le connaissons, autrement qu’au travers d’un solo homérique. Rythmique souple et aux accents électroniques, chanteuse qui n’a pas oublié de chanter au lieu de vocaliser Castafiore, guitares qui servent le morceau et non l’inverse, pour un résultat homogène réfutant tout débordement démonstratif roboratif.

Utilisant toutes les armes à sa disposition, FRAGILE VASTNESS use même d’intermèdes dignes d’une BO de fiction (« The Portal »), mais aussi d’un métissage entre un Post Metal à la VATTNET VISKAR et un Metal progressif soft et mélodique à la FATES WARNING (« Frequencies », aux harmonies oniriques) pour dessiner les contours d’un Rock moderne, à l’aise dans son époque et qui ne doit rien à personne.

Et finalement par son refus du cloisonnement, ce sextette décidément excentré représente sans doute une certaine acmé du Progressif contemporain, censé représenter un parangon de liberté créatrice, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour un groupe qui en refuse toutes les contraintes.

L’album du mois, et de loin !


Titres de l'album:

  1. I Am Fire
  2. Heaven On Mars
  3. World Distorted
  4. Daydreams
  5. The Portal
  6. Frequencies
  7. A Wall of Glass
  8. A Face In The Mirror
  9. Perception
  10. Vivacious Turns of Thought

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 23/05/2017 à 17:37
92 %    1068

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