Rabbits

Brume

22/11/2019

Magnetic Eye Records

Je ne surprendrai personne ici en disant que le Doom n’est clairement pas mon acide préféré. Il suffit de faire le ratio de mes chroniques pour comprendre que je ne m’y attarde que très rarement, et pour cause. Je n’ai rien contre la lenteur, et certains des artistes que j’affectionne le plus ne sont pas des foudres de guerre loin de là, mais les cordes de mi (accordées en ré, do, voire si selon l’humeur) grattées avec torpeur jusqu’à l’agonie alors qu’un percussionniste s’acharne à faire durer les blanches au-delà de leur propre limite, montrent justement celles du style. Avec un peu de mauvaise foi et de méchanceté gratuite, on pourrait même affirmer que le style est né et mort avec ses concepteurs, du moins son esprit d’innovation, la seule variable étant le nombre minimal de riffs par morceau, le chant plus ou moins plaintif/caverneux, et la parcimonie d’une batterie décidément très pingre avec ses frappes. Mais je ne suis pas non plus totalement obtus, et je sais reconnaitre un groupe qui cherche à aller plus loin que ce que les impératifs de son créneau lui dictent, sans avoir forcément à écouter un disque en profondeur. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis intéressé assez vite au cas des californiens de BRUME, dont le premier album laissait présager d’une envie autre qu’une simple litanie oppressive et martelée jusqu’à l’écœurement. Rooster en 2017 nous présentait donc un trio différent, originaire du Los Angeles californien, et mené de voix assez particulière par Susie McMullan. Si le fond de leur air était encore assez frais et humide, leur propension à utiliser plus de mélodies que la moyenne, leur tendance au crossover entre les genres, et leurs propositions plus variées que leurs concurrents achevaient de les transformer en espoir du Doom à long terme, bien que la concrétisation des promesses exigeait un résultat. Ce résultat est aujourd’hui obtenu par leur second LP, Rabbits, qui pousse le concept le plus loin possible et se montre plus fertile que quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la production.

Dès le départ, la pochette surprend. Bien loin des codes du style, avec ce mignon petit lapin blanc isolé sur fond gris, l’absence de logo et de titre, on sait d’avance que l’on a affaire à quelque chose de différent. Et pour cause, puisque les influences du trio (Susie McMullan - basse/chant, Jordan Perkins-Lewis - batterie et Jamie McCathie - guitare) ne se cantonnent pas à l’univers moite de la lourdeur excessive, et s’étalent des MELVINS à PORTISHEAD, de SLEEP à BJORK, et de YOB à BLONDE REDHEAD. Soit une jolie sortie de route qui attise la curiosité, curiosité vite satisfaite par une musique unique, aussi lourde qu’éthérée, aussi Heavy qu’elle n’est légère, et aussi mélancolique qu’elle n’est source de lumière. Produit par Billy Anderson (ACID KING, SLEEP, NEUROSIS), Rabbits est donc une sorte d’inclusion/exclusion, une incursion/excursion dans et hors des limites d’un genre qui souvent se satisfait très bien d’une simple démarque des anciens. Plusieurs facteurs entrent en jeu, d’abord, et l’un des plus importants, la magnifique voix de Susie. Car Susie chante, et ne se contente pas de se plaindre d’une vie morne de désolation, et nous évoque Beth Gibbons, Anneke van Giersbergen, avec ses lignes vocales semblant émaner d’un ailleurs plus poétique, planant au-dessus d’un instrumental intelligent et pluriel. Certes, la base de BRUME est solide et bien définie. Elle colle au nom même du groupe, et suggère une lande désolée, perdue quelque part en Ecosse ou en Irlande (on a du mal à imaginer Los Angeles sous une brume autre que celle de la pollution), d’où s’échappe des stries de lumière, un matin d’automne. Cette image sied particulièrement bien à certains morceaux, dont le très beau « Blue Jay », aussi mystique que le « Blue Jay Way » de George Harrison, et aussi romantique que l’OPETH des grands soirs de pleine lune. Mais loin d’être un cas isolé, ce morceau est en fait la scission d’un disque clairement scindé en deux camps/parties, avec deux premiers titres qui jouent le jeu, un final en forme de synthèse, et un aparté central qui aère l’ensemble. Mais loin de nuire à la cohésion d’ensemble, ce schéma un peu brisé renforce l’unité en variant les climats, ce qui n’est pas la moindre des gageures à relever.

En parcourant les arcanes du net, vous trouverez un nombre considérable de noms utilisés pour situer la musique du trio. Les exemples recensent YOB bien sûr, influence avouée, mais aussi NEUROSIS, SUBROSA, KYLESA, AMENRA, HOLY GROVE, WITCH MOUNTAIN, et même GIANT SQUID, ce qui vous en dira moins qu’on pourrait le penser au vu des différences séparant tous ces ensembles. Mais la perte de repères n’est pas une mauvaise idée au moment d’aborder Rabbits, qui sort plus d’un lapin de son chapeau pour laisser sa magie opérer. Disposant d’un son évidemment massif, ce second chapitre s’accorde très bien avec ses humeurs, et la production n’avantage pas forcément le côté le plus lourd du groupe, laissant vivre les passages les plus positifs avec des silences et des respirations qui ne paraissent pas forcés. Le fan lambda se sentira à l’aise dans l’univers de BRUME dès la seconde moitié de « Despondence », qui use quand même d’une longue intro mélodique repoussant l’instant fatal du riff énorme qui écrase tout sur son passage. Mais il préfèrera sans doute le monstrueux et cosmique « Scurry », plus traditionnel, et sorte de pont tendu entre YOB et le GATHERING d’Anneke, avec toujours ce chant unique qui sublime des atmosphères cotonneuses, un peu comme si la Hammer rencontrait David Lynch au coin d’un scénario aussi gothique que biscornu. Et les trois instrumentistes ont l’intelligence de leur ouverture d’esprit, et jouent avec le système pour mieux le corrompre, atteignant des sommets de beauté pour mieux séduire les réfractaires, sans se vendre ni trahir les fans. Et malgré cinq petits morceaux pour quarante-trois minutes de musique, un minimum pour le genre, le but est atteint et le quota d’idées largement respecté.

Tous les titres méritent une attention particulière. Qu’ils s’ingénient à brouiller les pistes entre le Post Rock, le Sludge, le Doom et le Post Hardcore, ils disposent tous d’une accroche ferme, et d’extensions valides. Le plus bel exemple pourrait cependant être incarné par le sublime « Lament », qui en plus de dix minutes s’ingénie à réconcilier NEUROSIS, RADIOHEAD, OPETH, avec juste quelques notes se répétant à intervalle régulier, et un crescendo savamment agencé pour nous offrir un final orgiaque en adéquation avec les lamentations du titre. « Autocrat's Fool » profite quant à lui des percussions tribales de Jordan Perkins-Lewis pour une fois encore se lover au creux du souvenir de NEUROSIS, alors que le chant de Susie McMullan épouse d’autres contours Folk, dans une transe chamanique élevant l’esprit. Nous restons donc sur une superbe impression, le groupe maintenant son effort jusqu’au bout, et Rabbits finit par s’imposer, non comme l’album Doom de cette fin d’année, mais plus simplement comme l’un des meilleurs albums de cette fin d’année tout court. Alors non, je n’aime pas le Doom, pas plus que ça. Mais j’aime les artistes qui savent le transformer sans le dénaturer et offrir autre chose. Et puis un lapin qui avance à la vitesse d’une tortue, c’est un beau pied de nez à la légendaire fable non ?        

    

Titres de l’album :

                       1. Despondence         

                       2. Scurry        

                       3. Blue Jay     

                       4. Lament      

                       5. Autocrat's Fool

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par mortne2001 le 24/12/2019 à 17:18
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