Rien ne Suffit

Plebeian Grandstand

19/11/2021

Debemur Morti Productions

Je n’ai jamais vraiment su ce que les toulousains de PLEBEIAN GRANDSTAND jouaient comme musique, et je m’en suis toujours moqué. Certains parlent de Black avant-gardiste, d’autre de Mathcore sans vraiment savoir de quoi il en retourne, on évoque même le terme très galvaudé et imprécis de Powerviolence lorsqu’on écoute leurs albums. Or, on sait pertinemment que les groupes détestent les étiquettes, spécialement celles trop précises et qui plus est, fausses. Alors, je me contente depuis longtemps d’accepter le fait que cette musique en appelle au ressenti extrême le plus extrême, le plus chaotique, et si j’ai accolé au nom du groupe un ou plusieurs genres définis, c’est par lisibilité, pas par conviction.

Ma rencontre avec le collectif français date de 2007, lorsque j’ai chroniqué leur premier EP, The Vulture’s Riot. A l’époque, le groupe cherchait encore ses marques, avançait un peu gauchement, comme dépassé par les contours d’une philosophie encore brouillonne, mais aux dogmes précis. Je les ai rencontrés à nouveau lors d’un split avec CORTEZ, mais étrangement, je ne me suis jamais mêlé de leur discographie longue-durée, sans savoir vraiment pourquoi. Alors, comme pour réparer une faute admise, je me penche aujourd’hui sur leur quatrième album, intervenant cinq longues années après le terrorisant False Highs, True Lows, qui en quatre simples mots rodait encore une fois le leitmotiv de la formation. Des hauteurs aux allures de précipices, et des précipices en forme d’abysses insondables. Mais j’ignorais que ces musiciens seraient capables de creuser encore plus profondément pour enterrer le cadavre du conformisme. Chose faite à grands coups de pelle avec Rien ne Suffit, qui se suffit à lui-même mais à qui rien ni personne ne suffit.

Rien ne Suffit ne déroge à aucune règle établie par les toulousains, sauf celle de titres en français, qui permettent au public de mieux comprendre le désespoir qui les anime. Superbement traduit en image par Olivier Lolmède, qui de cet enfer de mains tendues dans le vide transpose admirablement bien la déconstruction musicale et le message d’appel à l’union qui résonne dans le fracas des grandes villes déshumanisées. Car sur cet album, PLEBEIAN GRANDSTAND a choisi la difficile méthode du puzzle mélangé, que l’on redessine à loisir selon le nouveau motif que l’on souhaite exprimer. En prenant ses racines les plus profondes (Jazzcore, Hardcore, Black, Post, Expérimental), PLEBEIAN GRANDSTAND leur fait adopter une nouvelle courbure, comme les japonaises s’enferment les pieds dans des souliers trop petits pour souffrir et leur offrir une nouvelle forme, plus restreinte. Sauf qu’ici, c’est l’expansion qui règne. L’expansion des sons, des cris, des approches, des styles abordés qui couvrent l’Ambient, le Black Jazz, et à la manière d’une tragédie du Vésuve revue et corrigée lave du vingt-et-unième siècle coulant sur les pays comme un acide humain, Rien ne Suffit souligne le fait que la destruction ne suffit pas. Et donc, que l’annihilation totale est de rigueur, sans rien reconstruire derrière que ce paysage désolé aux reliefs chaotiques.

Sept ans sans changer de line-up, avec toujours en rôle de pivot Simon Chaubard (guitare) et Adrien Broué (chant). La section rythmique composée d’Olivier Lolmède (basse) et Ivo Kaltchev (batterie), fidèle au poste elle aussi se permet des exactions magnifiques, à l’image de l’entame hautement déséquilibrée de « Masse Critique ». En plein fill jazzy-électronique, Ivo Kaltchev se sert de sa frappe instable et irrégulière pour instaurer un climat de défiance et de pression, augmentée par les cris désespérés d’un chanteur qui a abandonné la narration linéaire depuis longtemps pour se livrer au petit jeu de la catharsis vocale.

Après ces trois minutes et quelques de concentré d’abus, de dérives humaines nous menant à la perte d’un gigantesque chaos que nous avons-nous-mêmes provoqué, « À Droite du Démiurge, à Gauche du Néant », prend les choses en mains arthritiques et aborde la véritable entrée dans l’album après ce choc frontal. Plus de sept minutes d’ultraviolence décomposées en trois actes, avec des allusions plus que poussées à la scène BM française, des hurlements à faire pâlir le pire haut-parleur Hardcore de la création, avant de sombrer dans l’Indus/Electro le plus glauque et désespéré, à faire passer EINSTURZENDE NEUBAUTEN et IN SLAUGHTER NATIVES pour des clowns de l’apocalypse à peine bons à faire peur aux enfants de moins de six ans. Sur cette longue évolution, le quatuor ose tout, se permet toutes les audaces pour perturber, nous sort de notre zone de confort pour nous montrer la réalité blafarde telle qu’elle est : un vieux néon à l‘intensité chancelante peinant à illuminer les derniers vestiges de notre civilisation, ces tours de béton qui se tassent sur elles-mêmes avant de s’écouler sous le poids de l’indifférence.

Se sortir de la zone de confort, et regarder la réalité en face : telle est justement la mission de Rien ne Suffit, qui peut être compris de bien des façons. Rien ne suffit plus pour rétablir la barre, Rien ne Suffit plus pour éviter le naufrage, Rien ne Suffit pour faire semblant d’être heureux, Rien ne Suffit pour cacher la vérité.


Rien ne Suffit       

 

De là, l‘expression revêt bien des costumes, sans illusions, sans fard. « Tropisme » torture MINSITRY sous les yeux de FRONT 242, « Part Maudite » se cale sur la ligne du parti BM le plus cru, avec une pluie de blasts incessante d’Ivo Kaltchev, le poumon de l’album. Et si les musiciens semblent chacun jouer une partie différente n’ayant rien à voir avec le tout, cette sensation ne fait qu’appuyer un peu plus le désir de l’album de nous malmener, et de nous obliger à déconstruire notre audition pour la reconstruire différemment.

« Espoir Nuit Naufrage », introduit façon Super 8 par des voix fantomatiques et quelques notes éparses nous enfonce encore un peu plus dans le cauchemar Ambient que le groupe développe. Lancinance éprouvante, itérations irritantes, chant de plus en plus grave, le chemin est encore long vers une rédemption qui ne sera jamais accordée. Mais chaque son, chaque intervention, chaque lamentation exhortée par Adrien Broué, chaque non-riff joué par Simon Chaubard nous permettent d’appréhender la réalité des faits : l’horreur ne suffit plus à PLEBEIAN GRANDSTAND, qui atteint aujourd’hui les sommets de l’abomination.

L’album le plus déprimant et souillé de l’année, et peut-être même plus. Et si Rien ne suffit, il n’est pas non plus recommandé de se contenter du minimum.

Pourrir encore vivant pour mourir plus vite.

                                                                                                                                                                                                        

Titres de l’album:

01. Masse Critique

02. À Droite du Démiurge, à Gauche du Néant

03. Tropisme

04. Part Maudite

05. Angle Mort

06. Espoir Nuit Naufrage

07. Nous en Sommes là

08. Rien n'y Fait

09. Jouis, Camarade

10. Aube


Facebook officiel

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 04/12/2021 à 14:59
98 %    663
Derniers articles

Defeated Sanity + HM 2

RBD 09/07/2025

Live Report

Walls of Jericho + Get Real

RBD 02/07/2025

Live Report

Voyage au centre de la scène : PARADISE LOST

Jus de cadavre 15/06/2025

Vidéos

Aluk Todolo + Spirit Possession

RBD 10/06/2025

Live Report

SWR Barroselas Metalfest 2025

Mold_Putrefaction 08/06/2025

Live Report

Anthems Of-Steel VII

Simony 30/05/2025

Live Report

Clinic LI-SA X et Paul GILBERT

mortne2001 29/05/2025

Live Report

The Sisters of Mercy + Divine Shade

RBD 21/05/2025

Live Report

Great Falls + Kollapse

RBD 04/05/2025

Live Report

Chaulnes MÉTAL-FEST 2025

Simony 27/04/2025

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
DPD

Deafheaven > Black Sabbath d'ailleurs, aucune hésitation. quelle chanson de Black Sabbath atteint le niveau d'intensité de Dream House ?

10/07/2025, 21:43

DPD

T'aimes ça hein le cuir et le metal salace, je préfère Patrick Sébastien, je le trouve moins pédé. Le petit bonhomme en mousse on s'en rappelle, ça c'est une chanson qu'on oublie pas, comme ce que te chantais ta maman..

10/07/2025, 21:36

DPD

Désoler si j'en ai rien à foutre du dernier groupe Brésiliens de war metal.

10/07/2025, 21:29

Alain Akbar

@DPD : putain, cette merde de Chat Pile, de la noise bâtarde gay friendly qui pompe Godflesh et Korn. Et dans un autre post, tu parles de Deafheaven. Mais mec, arrête de donner des leçons et va donc faire une Bun Hay Mean.

10/07/2025, 21:20

DPD

Et ce qui s'est fait de marquant question death c'était le dernier Dead Congregation et le surprenant Reign Supreme de Dying Fetus. Et qu'on me parle pas de Blood Incantation tout est impeccable, il y a beaucoup de travail derrière, mais aucune symbiose entre les part(...)

10/07/2025, 15:17

DPD

L'underground est pas une qualité en lui-même, le dernier concert que j'ai vu t'avais les groupes qui enchaînent les plans thrash-death-black sans aucune cohérence, du sous Deathspell Omega (désolé mais dans le black dissonant tu seras toujou(...)

10/07/2025, 15:09

Ivan Grozny

Oui très bon groupe, je recommande également !

10/07/2025, 14:36

Ivan Grozny

C'est à peu près le constat que nous sommes plusieurs à faire me semble-t-il, mais je mettrais tout de même Converge, The Dillinger Escape Plan ou Botch ailleurs que dans le metalcore. Mais pourquoi pas. ;-)@Jus de cadavre "Je crois qu'il faut acce(...)

10/07/2025, 14:34

DPD

Sinon j'aime beaucoup Chat Pile comme groupe récent.

10/07/2025, 14:27

DPD

@GPTQBCOVJe suis  horrifié par l'idée de finir comme ça, voir Darkthrone se réduire aux lives jouant la fameuses trilogie pour payer les affaires courantes notamment des frais de santé, la social-démocratie m'en sauvera j'imagin(...)

10/07/2025, 14:16

DPD

Non mais même le metalcore t'avais la grande époque de Converge, Dillinger Escape Plan, Botch et compagnie...certains parleraient de hardcore chaotique mais bon. T'avais pas que de la musique lisse à refrain, ce n'est pas le diable que certains veulent peindre.&(...)

10/07/2025, 13:47

Humungus

Si le Metalcore était à la mode il y a 20 ans, disons alors que (malheureusement) cela perdure car 1/4 des groupes jouant dans de gros et moyens fests ont un qualificatif se terminant par "core".

10/07/2025, 13:22

RBD

Cela m'espante toujours de voir des festivals complets (ou presque) un an à l'avance sans avoir annoncé aucune tête d'affiche.Le public est devenu très friand des gros festivals. Je pense évidemment à toute cette frange de festivalier(...)

10/07/2025, 12:23

DPD

Certains commentaires sont à côté de leur pompes, la grande mode du metalcore c'était il y a quoi ? 20 ans ? la bizarrerie c'est que pas mal de ces gens sont passés au black-metal pour une raison que j'ignore ce qui donne toute cette scene en -post(...)

10/07/2025, 12:04

Gargan

Dans le clip tu as ceux en civil avant le Hellfest, puis pendant ☝

10/07/2025, 08:58

Simony

Ce groupe est une pépite. Je reste encore sous le choc de The Crowning Quietus par exemple !

10/07/2025, 08:38

Dede

Et oui le Fall of que c'était dingue mais pas de monde pour pouvoir continuer 

09/07/2025, 23:09

Dede

Je vais au Hellfest l'année prochaine depuis 2010 et je sais pertinemment que le métal extrême n'y a plus trop sa place et dieu sait que j'adore le black et le death mais je suis fan de musique et musicien avant tout et j'aime aussi cette diversité. (...)

09/07/2025, 23:07

NecroKosmos

Cette année, j'ai fait le Anthems of Steel et le Courts of Chaos. A l'automne, ce sera probablement le Muscadeath. Les festivals, ce n'est pas ce qui manque. D'ailleurs, plus ils sont passionnants dans la programmation, moins la fréquentation est importante. Biza(...)

09/07/2025, 21:39

Salmigondis

Content de ne plus perdre mon temps, mon argent, mes nerfs et mes espoirs avec ce fest qui est devenu une totale foire aux neuneus.J'ai souvenir d'un site avant 2010/2011 avec encore peu de déco (c'est relatif mais comparé à ce que c'est devenu....)(...)

09/07/2025, 20:31