A partir du moment où on se protège derrière la caution de l’avant-garde, de l’Ambient ou du psychédélisme, on peut tout se permettre et tout excuser. Des débordements, des errances interminables, des agressions sonores le renvoyant à la torture psychologique la plus infâme, de l’approximation en apprentissage d’amateurs. Tout comme le Raw Black permet à ses pratiquants de se planquer derrière le paravent de l’intégrité bruitiste, l’expérimental justifie toutes les horreurs possibles et imaginables, les passages sans queue ni tête qui n’ont d’autre but que de meubler des minutes de non-inspiration flagrante. Dès lors qu’un groupe n’utilise plus des excuses éculées depuis le premier ABRUPTUM, on se perd en conjectures, et la curiosité est piquée au vif. Et en termes de culot et de créativité, les suédois restent les maîtres en la matière, tout comme leurs voisins norvégiens. Et pour cause, ils ont inventé le style. Alors, tout leur est permis dès lors que la caution artistique est viable. Et celle mise en avant par JORDABLOD l’est, indubitablement. Fondé en 2015 et articulé autour d’un line-up énigmatique (seul un membre est mentionné par Metal-Archives, Filip Lundström, guitariste), ce concept de Malmö est une énigme comme seuls les groupes scandinaves les plus étranges peuvent l’être. D’un côté, une propension au BM tel qu’il fut conçu aux origines, de l’autre, des prétentions Folk, Ambient, avant-gardistes, mélodiques et occultes, comme le prouve une fois encore ce second LP au titre révélateur. En utilisant le terme de Numinous, le projet suédois a placé son travail sous des auspices mystiques. Le mot évoquant des qualités religieuses ou spirituelles fortes, et la présence d’une divinité aux alentours, on sait avant d’avoir écouté que le propos ne sera pas simpliste ou allusif. Et dès les premières notes de « A Grand Unveiling », la méthode est validée, et le pont construit entre Upon My Cremation Pyre et The Cabinet of Numinous Song. Il est d’ailleurs étonnant de retrouver les suédois signés sur le label Iron Bonehead, plus volontiers friand d’exactions bordéliques et de paillardise intégrale. Mais le label, conscient de la bonne opération se frotte les mains, sachant pertinemment que The Cabinet of Numinous Song va secouer le monde un peu sclérosé du BM européen.
Quelle est donc la méthode utilisée, et qui laisse admiratif après quelques écoutes ? Elle est simple, en se servant d’une assise BM traditionnelle renvoyant à la seconde vague scandinave des années 90, les musiciens brodent de longs thèmes atmosphériques, à base de riffs amples et majestueux, systématiquement lacérés par des dissonances valides. Beaucoup de violence donc, mais aussi une optique plus volontiers 70’s, à base de Progressif lancinant, évolutif, qui prend son temps pour installer une ambiance, et dérouler ses harmonies pour les laisser respirer. On en prend note sur l’impressionnant « The Beauty of Every Wound », qui après une intro délicate lâche les chiens de l’enfer via un riff incroyablement redondant et catchy, symptomatique d’un Black N’Roll n’ayant pas cédé à la vulgarité putassière d’une accroche trop populiste. On pense évidemment à SHINING, mais aussi à DARKTHRONE, SHINING et DEATHSPELL OMEGA lorsque les expérimentations sont poussées à leur paroxysme, mais cette méthode choisissant de combiner l’efficacité au hasard surprend de la pertinence de ses choix. Pour faire plus simple, on se laisse autant envouter qu’on ne headbangue, comme si JORDABLOD avait enfin trouvé le point de frontière entre la puissance et le culot de composition. Et cet équilibre est délicieux, bien que flou pour les non-initiés. La production en elle-même est révélatrice de ce parti pris. Sèche, mais épaisse, rêche mais fluide, elle torture les guitares qui se mélangent dans un halo aveuglant, intensifie les passages les plus violents, pour mieux offrir de l’espace aux digressions progressives, qui profitent alors du silence pour accentuer leur côté initiatique. On pourrait prendre peur au vu de la longueur des morceaux, mais on se rassure vite en constatant que les idées pertinentes les comblent avec beaucoup d’intelligence. Et en définitive, on comprend assez rapidement que les suédois n’ont choisi d’autre camp que le leur. Un camp qui recoupe les idées Post Black et Post Rock pour mieux les insérer dans un contexte de brutalité déviante, sans sombrer dans la prétention arty des combos les plus élitistes.
Conceptuellement parlant, The Cabinet of Numinous Song combine l’expressionisme d’un Murnau, le sens de l’emphase tragique de Ken Russell, et le minimalisme ascétique de la seconde vague Black Metal suédoise, le tout dans un contexte presque anachronique, tout du moins hors du temps. Il est en effet très difficile de dater cet album qui pourrait indifféremment avoir été composé dans les années 90 ou l’année dernière, mais il est aussi très difficile d’en définir les contours qui hésitent entre brutalité frontale et chemins de traverse, spécialement sur le dantesque « The Beauty of Every Wound », qui visiblement rend esthétique les cicatrices de la vie. Et si les breaks et cassures sont nombreux, ils n’entravent jamais la bonne marche de l’album, qui progresse selon un schéma bien établi, ne refusant jamais quelques arrangements étranges à base de notes claires et joyeuses. Cette alternance de contemplation mystique harmonique et de violence ouverte ne dégagera certainement pas un consensus chez les auditeurs éventuels, mais titillera l’imagination des plus exigeants qui en ont assez de voir le BM ruiné à grands coups de formalisme trop évident. Mais l’expérimentation ici, comme précisé en amont, n’est jamais une excuse pour imposer une originalité déplacée et incohérente. Et lorsque résonne la guitare claire de « The Cabinet of Numinous Song », on pense évidemment à NEUROSIS, qui n’est jamais le dernier à prôner l’économie dans un cadre d’emphase. D’autant plus que les suédois ont le sadisme d’attendre plusieurs minutes avant de nous écraser sous une charge éléphantesque de guitares imbriquées et liées par une basse serpentine qui n’est pas sans évoquer KILLING JOKE ou même les SONIC YOUTH.
« To Bleed Gold » termine donc la course par son étape la plus longue, avec toujours ce chant exhorté et ces riffs qui sinuent comme des serpents, mais accentue la véhémence globale. L’alternance est toujours de mise, mais toujours aussi logique, avec un excès de brutalité qui permet enfin aux blasts de tout exploser. D’une densité incroyable, et d’une créativité indéniable, The Cabinet of Numinous Song incarne en quelque sorte un présent d’actualité pour le Black Metal, qui n’a de cesse de se renouveler et d’incarner l’acmé d’un extrême intelligent, mais pas moins méchant pour autant.
Titres de l’album :
01. A Grand Unveiling
02. The Two Wings of Becoming
03. Hin Ondes Mystär
04. The Beauty of Every Wound
05. Blood and Rapture
06. The Cabinet of Numinous Song
07. To Bleed Gold
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Ben, mince alors, c'est un vieux con Akerfeldt, en fait... dommage... après, tant que la musique est bonne, que demande le peuple ? (Après, je suppose qu'il n'arrivera jamais au niveau de Chris Barnes, mais, bon...)
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