Y

Borgne

06/03/2020

Les Acteurs De L'ombre Productions

Au pays des aveugles, les borgnes sont rois parait-il. Encore faut-il s’avoir comment interpréter cet adage dans un contexte concret. Au sens premier, on sait que la vue, même partielle, est un atout de taille dans un monde de cécité. Au sens figuré, disons que les âmes les plus averties sont reines entourées d’esprits fermés et obtus. Et Dieu sait si le Black Metal abrite les âmes les plus ouvertes, mais aussi les esprits les plus fermés du Metal extrême. Beaucoup de fans s’amusent de la pluralité de leur style de prédilection, d’autres au contraire conchient l’ouverture et ne jurent que par le lo-fi, le War Metal, la vague originelle, BATHORY, la scène canadienne, les Black legions, et j’en passe, volontairement. Alors dans ce contexte, comment aborder le nouvel album des suisses de BORGNE, qui depuis plus de vingt ans tracent leur propre route sans se soucier des chemins les plus communément empruntés ? Créée par Bornyhake en 1998, cette créature de Lausanne n’a même pas attendu quelques mois avant d’offrir au monde sa vision d’une réalité sombre, noire et poisseuse, et s’est même permis de suivre la trajectoire de LED ZEPPELIN en lâchant consécutivement quatre LP, sobrement baptisés de leur ordre romain. C’est ainsi que la tétralogie d’origine s’est étalée jusqu’en 2009, alors même que le groupe accusait dix ans d’existence au compteur. Depuis, quatre autres œuvres sont venues enrichir le catalogue, Entraves de l’Âme en 2010, Royaume des Ombres en 2012, Règne des Morts en 2015, et [∞] en 2018, respectant à chaque fois une pause de deux ou trois ans dans l’avancée. C’est donc en toute logique que Y vient rompre le silence instauré depuis 2018, avec sept nouveaux morceaux qui encore une fois, ne prônent ni l’économie, ni la discrétion.

Ce qui est admirable avec Bornyhake, c’est sa constance dans la prolixité. L’homme est connu pour mener de front des dizaines de projets (on l’a vu live avec CRYFEMAL, SERPENS LUMINIS, DARVAZA, SCHAMMASCH, KAWIR, DEATHROW, ENOID, et sa bio studio mentionne ANCIENT MOON, ASTRAL SILENCE, CAKEWET, CRYFEMAL, DIURNAL, ENOID, EXCRETA, LYPEKTOMY, MANII, PORIFICE, PURE, SERPENS LUMINIS, entre autres), mais ne perd jamais le fil de sa pensée créative. On aurait pu croire son inspiration BORGNE légèrement tarie après vingt ans d’activité, mais il n’en est rien, et même si Y ne propose rien de vraiment neuf en comparaison des travaux antérieurs, il assure une continuité dans la logique de progression, tout en amenant quelques éléments nouveaux permettant d’éviter la redite. Mais BORGNE factuellement, est plus qu’une simple musique, c’est un package, un concept. Un subtil mélange d’image, de tonalités, de mots et d’ambiances, qui une fois en osmose entre les mains de leur créature, prennent une dimension presque christique. Pourtant, le Black Metal aux connotations Indus n’est pas la fragrance la plus aisée à manier, les erreurs de dosage et de manipulation étant nombreuses. Dans le style, on pratique volontiers le statisme, le monolithisme, l’excès et la redondance. Mais l’implication du musicien dans une kyrielle de projets lui permet justement de s’inspirer de divers courants pour créer des strates qu’il empile avec flair, ce que cette nouvelle heure passée en sa compagnie prouve. Et si Gérald des Acteurs de l’Ombre se félicite tant de cette collaboration, c’est à juste titre. BORGNE est une curiosité ajoutée à son catalogue, mais une curiosité de valeur. Et c’est avec « As Far as My Eyes Can See » que l’aventure commence, abrupte, massive, proche de l’abîme et dangereuse, mais salvatrice. Tout comme la pochette, étrange mais belle, la production fascine. Massive, ample, grave et vibrante, elle se met en place dès cette intro grandiloquente, et enrobe tous les morceaux dans une majesté emphatique irrésistible. Et après quelques minutes de mise en place, la violence la plus outrancière peut enfin exploser : elle est déjà justifiée.

On retrouve donc tous les éléments qui ont fait de ce concept la référence qu’il est aujourd’hui, ces rythmiques martiales empruntées à la scène Indus et EBM, combinée à des blasts purement BM, ce chant nihiliste écorché, ces couches de guitares qui agissent plus comme une ondulation que comme des structures porteuses, l’ensemble reposant sur un équilibre des forces parfait. Ce qui est invariablement mis en valeur, c’est l’atmosphère générale, et non les détails, malgré leur présence indéniable. On les retrouve dans ces arrangements toujours aussi précis, dans ces cassures soudaines, dans ces transitions souples entre les morceaux, et dans cette facilité à passer d’une humeur à l’autre. Et malgré la longueur déraisonnable des titres, on se sent happé par ce chant scandé dont les mots français résonnent dans la mémoire. « Je Deviens Mon Propre Abysse » à l’ambition des poésies les plus cruelles, et son mélange subtil de BM traditionnel et de puissance Indus est si parfait qu’on en vient à croire à une troisième voie, moins diplomatique qu’à l’ordinaire. En ce début d’album, BORGNE se pose en leader, aménage quelques instants d’efficacité autour d’un riff haché, traité et tronçonné, avant de briser l’élan en pleine course d’une halte électronique incongrue. Le tout à des allures de bande-son d’un cauchemar en plein Berlin la nuit, mais c’est bien de Suisse que nous viennent ces beats martelés. Très intelligemment, l’artiste a placé ses deux morceaux les plus courts et abordables en entame de parcours, pour mieux amadouer. Mais il n’hésite pas soudainement à nous assommer d’un assassin et lancinant « A Hypnotizing, Perpetual Movement That Buries Me in Silence », qui évoque le MAYHEM de Grand Declaration of War, les YOUNG GODS, mais aussi BLUT AUS NORD. Bornyhake n’a donc rien perdu de sa faculté à jouer avec les formats longs sans provoquer l’ennui, et il enchaîne d’ailleurs avec « Derrière Les Yeux De La Création » qui le prouve de son début acoustique du meilleur effet. Mais la trademark de BORGNE, ce sont toujours ces instants de lourdeur intense, qui évoquent le BATHORY le plus amplifié, avec cette majesté de lenteur qui écrase les préjugés, et impose le respect.

En sublimant la puissance de grandiloquence, se veut opéra de démesure et de bruit, et une telle œuvre qu’il serait inutile de décrire dans le détail se devait de s’achever dans l’excès le plus assumé. C’est ainsi que Bornyhake nous gratifie d’un final orgiaque et dantesque de près de vingt minutes, avec ce magistral « A Voice in the Land of Stars » qui synthétise plus de vingt ans de Black Metal et autant d’années de passion. Sans refuser l’héritage d’une violence traditionnelle, le compositeur/auteur et interprète pousse à son paroxysme toutes les qualités hideuses de sa créature difforme, imposant la beauté dans la laideur Heavy, travestissant la mélodie pour mieux la rendre fielleuse, et laissant ses mots vénéneux lancer des messages en forme d’avertissement. Cette ultime intervention, aux proportions épiques valide le cheminement d’un album qui risque d’effrayer les plus modérés, mais que les passionnés embrasseront de toute leur âme. Et si au pays des aveugles, les borgnes sont roi, au pays du Black Metal, les vrais créateurs sont depuis longtemps des demi-Dieux.        

            

    

Titres de l’album :

                       1.As Far as My Eyes Can See

                       2.Je Deviens Mon Propre Abysse

                       3.A Hypnotizing, Perpetual Movement That Buries Me in Silence

                       4.Derrière Les Yeux De La Création

                       5.Qui Serais-Je Si Je Ne Le Tentais Pas?

                       6.Paraclesium

                       7.A Voice in the Land of Stars


Bandcamp officiel

Facebook officiel


par mortne2001 le 02/03/2020 à 17:43
82 %    1122
Derniers articles

Voyage au centre de la scène : PARADISE LOST

Jus de cadavre 15/06/2025

Vidéos

Aluk Todolo + Spirit Possession

RBD 10/06/2025

Live Report

SWR Barroselas Metalfest 2025

Mold_Putrefaction 08/06/2025

Live Report

Anthems Of-Steel VII

Simony 30/05/2025

Live Report

Clinic LI-SA X et Paul GILBERT

mortne2001 29/05/2025

Live Report

The Sisters of Mercy + Divine Shade

RBD 21/05/2025

Live Report

Great Falls + Kollapse

RBD 04/05/2025

Live Report

Chaulnes MÉTAL-FEST 2025

Simony 27/04/2025

Live Report

Star Rider/Blaze Bayley

mortne2001 24/04/2025

Live Report

LOUDBLAST : 40 ans de carrière !

Jus de cadavre 20/04/2025

Vidéos
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Simony

MON groupe de chevet, la voix de Nick et le touché de Greg sont pour moi les clés de mes émotions musicales. Bizarrement, "The Plague Within" et "Believe In Nothing" sont les 2 albums que j'écoute le moins. J'ADORE ce groupe ! Tout simplem(...)

16/06/2025, 21:25

MorbidOM

Si ça intéresse quelqu'un ils ont mis l'album en intégralité sur bandcamp :https://agoniarecords.bandcamp.com/album/tetrad-mj'ai pas encore tout écouté(...)

16/06/2025, 19:22

Nico

Merci pour cette vidéo qui rend bien hommage à Paradise Lost, qui est un de mes groupes préférés depuis presque 32 ans. Découvert à l'époque grâce à l'émission Headbangersball, j'avais 15 ans et j'&eac(...)

16/06/2025, 12:30

Humungus

Clairement l'un de mes groupes de chevet.Un talent plus qu'indéniable et malgré ce creux de la vague entre 99 et 2007, des gonzes qui se tiennent encore à ce jour bien droit dans leurs bottes.A propos de cette période que je pouvais, comme beauc(...)

16/06/2025, 11:51

Oliv

Oui comme ils le disent sur le site officiel, bonjour les prix des concerts aujourd'hui avec l'inflation ,Désolé mais je ne peux plus suivre. Trop chère les concerts 

15/06/2025, 08:42

Seb

Je me demande comment fait Rogga Johansson, avec autant de groupes, il arrive toujours à sortir des trucs vraiment bons !! Quelle energie !!

13/06/2025, 00:29

Styx

Bonjour. L'album paraîtra ce vendredi 13 Juin 2025.

12/06/2025, 20:35

Moshimosher

je voulais dire vidéos plutôt que clips...

12/06/2025, 01:07

Moshimosher

En fait, ce qui me pose problème, ce n'est pas le fait d'aimer ou pas ce genre de vidéo (lyrics video), c'est les remarques dépréciatives (condescendantes) d'Akerfeldt à ce sujet. Bien sûr, c'est super d'avoir un bon clip, seu(...)

12/06/2025, 01:04

RBD

Author & Punisher est aussi annoncé à Montpellier le 23 octobre 2025 avec Wyatt E et Yarostan à la place de Bong-Râ.

11/06/2025, 12:53

michael scott

god no please no lol

11/06/2025, 11:37

Licks0re

Ça vaut vraiment le coup d'écouter ce qu'ils font, j'aime beaucoup et c'est vraiment bon ! 

09/06/2025, 21:35

Jus de cadavre

Super report mec ! Le genre de fest qui me plairait de malade !

09/06/2025, 10:53

Salmigondis

  Cry for the fallen trouser ?

08/06/2025, 13:34

ALK putain de POTE

SIDA visuel et auditif

08/06/2025, 10:08

DCD

Le clip du premier single :https://www.youtube.com/watch?v=JSAlEVzLhDc

07/06/2025, 09:18

Arioch91

Je comprends son raisonnement car je le partage en partie. Je déteste le mot "contenu" quand on parle de vidéo. Ca ne veut pas dire grand chose. Les lyrics video, je trouve que c'est une solution de facilité. On se contente de coller une(...)

07/06/2025, 09:04

stench

J'suis probablement trop vieux, je trouve ça atroce, autant à écouter qu'à regarder.

07/06/2025, 08:32

Humungus

On en cause de la chemise trop petite qui laisse dépasser la panse ?

07/06/2025, 07:39

Drina Hex

On se retrouve en live

07/06/2025, 01:23