Front 242 + Gérard Jugno 106

Front 242, Gérard Jugno 106

Rockstore, Montpellier (France)

du 25/03/2023 au 25/03/2023

Cette soirée va clore le cycle des rattrapages du covid. À l'origine, je devais monter voir Front 242 à Paris le quatrième weekend de mars 2020, pour un concert évidemment reporté en catastrophe avec le premier confinement. Au deuxième report c'était toute la tournée qui était redessinée, avec l'ajout de dates dans le Midi non prévues à l'origine et notamment une à Montpellier ! Naturellement, je me faisais rembourser ma place pour Paris au profit de celle à la maison, fixée pour mai 2022. C'est alors que Jean-Luc De Meyer eut un gros pépin de santé en avril précédent, qui obligea le groupe à repousser encore sa tournée d'un an en supprimant quelques arrêts. Tout le monde est remis et enfin, trois ans après quasiment jour pour jour, on y est. Malheureusement cela obligeait à faire un choix, car il y avait aussi du bon Thrash Black programmé ce même soir en ville (Hexecutor et Zoldier Noiz). Mais j'y ai envoyé du monde à ma place.

Il est si rare de voir de la vraie EBM que je suis arrivé parmi les premiers dans notre cher vieux Rockstore, histoire de faire un tour au merch' où il y avait déjà la queue. Progressivement la foule arrivait, et contredisait la rumeur d'un faible nombre de préventes. Ce n'était peut-être pas complet, mais on devait être aux quatre cinquièmes de jauge.


GÉRARD JUGNO 106 est l'autre projet de Lucien dall'Aglio, le Franco-Suisse connu plus anciennement pour son projet Synth-Rock-New-Wave Stolearm qui mérite le détour. Là, j'avoue que je craignais ce choix de première partie, me souvenant d'une Electro cocasse et très kitsch pas franchement dans mes goûts. Entretemps il y a eu un album, et la saveur a effectivement un peu évolué. Son matériel installé sur une table tournée de trois quarts, il joua de l'écho pour introduire le titre emblématique avec son refrain à la voix d'adolescente de synthèse scandant une phrase rimée rigolote. Le reste du set était à l'avenant, un répertoire plus clairement enraciné dans l'EBM traditionnelle sèche à la Nitzer Ebb qu'en 2018, en y greffant des effets comiques : un sample des animateurs de "faites entrer l'accusé", un "Au clair de la lune" métamorphosé en Electro joviale, un refrain "chaussée aux moines" resservi sur des effets et tempos variés, et j'en passe beaucoup. Plus que de simple humour il s'agit d'introduire une part d'absurde, de faire de l'EBM dadaïste et cela rappelle l'esprit de formations secondaires du style dans les années 80 comme À;ghrum ou What's, ou l'éphémère projet Karbu 38 qui vécut brièvement du côté de Béziers, malgré un résultat assez différent.


Le patron a un charisme certain, celui propre aux grands comme Dave Gahan ou Jacques Chirac, et il s'est beaucoup employé à danser en front de scène comme un faux raide, quitte à se cogner durement plusieurs fois au coin de sa table. Ses camarades des premiers rangs mettaient l'ambiance, et pour ma part je me suis dandiné assez volontiers en m'accrochant aux beats sévères, tâchant de ne pas trop prêter attention aux effets burlesques. Je ne suis pas du tout amateur de musique drôle quels que soient les genres, ni de ce mouvement artistique du cabaret Voltaire ; mais Gérard Jugno 106 a glané son petit succès de première partie et d'autres que moi pourraient mieux apprécier – c'est déjà le cas. Il a au moins l'ambition de faire entrer de l'air frais dans le milieu si conservateur de l'Electro Body Music. Mais à quand des nouvelles de Stolearm ?


À la pause, je regardai le public de ce soir composé en grande partie d'amateurs de l'époque aujourd'hui largement quinquagénaires, venus parfois avec leurs enfants. Il y avait même un bon noyau de vrais fanatiques, têtes rases, tout en muscles dans des tenues de combat uniformément noires, les authentiques fondus du genre que des ignorants pourraient confondre avec des skins. Ils sortent rarement mais c'est le cœur de l'EBM historique, un noyau humain qu'on ne voit pas par exemple en Espagne où cette scène reste sensiblement plus populaire mais avec un public pas du tout typé. Voire, ce soir à Montpellier il y avait une minorité significative de gens plus ordinaires et même quelques étudiants. Leur présence confirme l'effectivité du revival EBM par la techno de club : les deux vagues de la fin des années 2000 puis fin des années 2010 marquent une tendance de fond, pas une simple mode, qui a pérennisé le genre probablement pour de bon – tout en le transformant certes.


Après avoir envoyé force fumées pour noyer le logo projeté en fond de scène, FRONT 242 se présenta en délaissant le titre habituellement utilisé en ouverture au profit d'un "First in – First Out" plus old-school et bondissant. La foule était déjà conquise dès les premières sollicitations de Richard 23 pour un set qui suivit cette direction, adoptée depuis la reformation. Les quatre membres de la formation live étaient en combinaison noire, Daniel B. étant néanmoins absent de sa place traditionnelle à la table de mixage. Vu son âge plus avancé que les autres, il ne doit plus suivre maintenant. Des classiques fondamentaux de toute l'EBM s'enchaînaient avec des raretés savoureuses à l'efficacité plus raffinée comme ce "Don't Crash", ou un premier inédit plus rudimentaire et bas du front avec ses paroles amusantes. Car oui, depuis le covid le groupe joue de nouveaux titres alors que le dernier album studio a vingt ans et qu'ils avaient annoncés depuis beau temps ne plus vouloir en faire.

Jean-Luc De Meyer a désormais la tête rasée, lui aussi, et un peu aminci. Il reste globalement en léger retrait par rapport à Richard, sa voix si typique et déjà assez étouffée naturellement étant un peu moins audible que jadis. Mais il était là, il danse, il chante derrière ses lunettes noires et fait la pose sur l'incontournable "Funkadhafi" restitué avec fidélité. Sur la base EBM classique, le groupe recourt toujours à fond aux réverbérations, effet simple mais tiré à son maximum. Certains morceaux étaient aussi bien réarrangés. Richard prenait parfois des percussions électroniques aux côtés de Tim Kroker, le batteur live qui reste indéboulonnable malgré son rôle limité à doubler la boîte à rythmes et les critiques constantes que cela amène de la part de certains fans issus des clubs. Patrick Codenys occupait l'autre côté de la scène avec ses claviers et ordinateurs pour gérer les programmations, lui aussi sous lunettes noires parfaitement inutiles et le crâne enserré dans son gros casque. Dans une salle un peu plus petite que les autres fois, je profitais mieux et d'ailleurs tout le public autour était bien à fond, ça se chamaillait même un instant avant que Richard ne tonne d'un Brusselaire viril ("On est là pour se marrer, pas pour se frapper !"). Régulièrement, un fan torse poil montait sur le côté de la scène et faisait quelques pompes le dos droit avant de se replonger, impassible, dans le premier rang… plus EBM, tu meurs !

Pendant que la setlist oscillait entre tubes, raretés exhumées et compos originales (trois au total), on pouvait aussi s'intéresser aux projections, le groupe ayant toujours travaillé cet aspect également. Des extraits de foules de fans, un clip énigmatique sur la banquise avec ours blanc et esquimaude, des cimetières désertiques, et bien sûr beaucoup de ruines industrielles abandonnées dans des lieux isolés. Un clip extrait d'un film historique Japonais (peut-être "Ran") offrait un décalage intéressant. On passa plus tard à des images de synthèse non figuratives plus classiques. Dans tout ça, seul "Commando Mix" resservit une énième fois comme titre plus lent, malgré la tension qu'il maintient… et ce fut le seul. Toute la discographie antérieure à 1991 resta ignorée mais j'ai trouvé le troisième titre inédit particulièrement bon, ce choix se justifie et il faut espérer que ces nouveautés sortiront un jour, au moins en mini. "Headhunter" surexcita tout le monde avec sa chorégraphie digitale reprise à l'unisson. Qu'il est bon d'être en sueur ! Richard était increvable, sautillant et dansant parfois dans des positions pour le moins originales avec une complicité certaine envers les vieux fans. Après des remerciements un peu plus appuyés, le quartet se retira quelques instants avant d'accorder un rappel introduisant un peu de guitare samplée avec "Agressiva" et pour achever une heure vingt de bonheur l'indispensable et ironique "Welcome to Paradise". Sous les acclamations, Richard recycla une vieille blague de Louis de Funès dans la Grande Vadrouille pour nous chambrer tendrement sur la qualité de notre participation, tandis qu'on déclamait dans un coin une déclaration d'amour enflammée envers le combo. Puis "Tata Yoyo" fut déversée par la sono pour nous inviter à dégager (au moins y'avait du sens, Annie Cordy étant leur compatriote). C'est du Belge !

First In-First Out/ Take One/ Don't Crash/ Funkahdafi/ Generator/ Quite Unusual/ No Shuffle/ Commando Mix/ Red Team/ Deeply Asleep/ Operating Tracks/ Tragedy >For You

Agressiva/ Welcome to Paradise


En nous retirant lentement je retrouvai des gens que je n'avais pas vus depuis quinze ans, puis je rejoignais un camarade qui était allé à l'autre concert pour épancher une soif partagée, et me faire raconter sa soirée : Hexecutor a été excellent aussi et je regrette, cette fois encore, de ne pouvoir me multilocaliser.


par RBD le 28/03/2023 à 18:04
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Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


Humungus
membre enregistré
01/04/2023, 07:58:51

"Le patron a un charisme certain, celui propre aux grands comme Dave Gahan ou Jacques Chirac"

Ah ah ah !!!

"Régulièrement, un fan torse poil montait sur le côté de la scène et faisait quelques pompes le dos droit avant de se replonger, impassible, dans le premier rang"

??? ??? ???

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