Asabiyya

But The Shadows Have Foes

22/04/2017

Autoproduction

Avec un nom de baptême pareil, nous étions en doit de nous attendre à la dernière sensation Post Hardcore underground, un truc du genre A DAY TO REMEMBER, FROM FIRST TO LAST ou FUNERAL FOR A FRIEND, mais au final, rien n’est plus inexact. Car en effet, bien qu’influencés par les sonorités du Post, les BUT THE SHADOWS HAVE FOES seraient plutôt du genre entité Darkcore sans concession, qui ouvre toutefois ses horizons à des influences externes.

Formé il y a peu (2016 ou 2017 selon l’absence totale d’informations), ce groupe énigmatique (pas de formation ni de photos à se mettre sous les yeux) s’épanche au travers d’un Crust vraiment sombre et nauséeux, parfaitement en adéquation avec son patronyme qui semble chercher dans les ténèbres des menaces encore plus inquiétantes que de simples silhouettes dans l’obscurité.

Et force est de reconnaître qu’ils les ont trouvées, et qu’ils nous prouvent leur existence au travers des neuf chapitres de ce premier longue durée, qu’aucune démo ou EP n’ont pris la peine d’annoncer.

C’est donc une sortie surprise venue de nulle part à laquelle nous sommes confrontés, d’autant plus que quasiment aucun site n’a pris la peine ni le temps d’aborder le cas pourtant très intéressant de cet Asabiyya. Si mes confrères de Dead Air At The Pulpit ont consacré un paragraphe à la sortie en question, ils sont bien les seuls isolés sur la toile à l’avoir fait. Ils en profitent d’ailleurs pour poser quelques comparaisons assez heureuses, citant les sempiternels ANCST, SYNDROMES, GEIST, et JUNGBLUTH comme points de repère, alors même que les natifs de l’Illinois parlent quant à eux de TRAGEDY, ARCHIVIST, FALL OF EFRAFA, ou THE SECRET en tant qu’influences notables.

Et admettons qu’avec ces noms en tête, vous avez de quoi aborder ce premier LP en toute quiétude d’analyse. Car le Hardcore DIY des Américains se veut aussi sombre qu’une nuit sans lune, et aussi Crust qu’il n’est Post Metal. On pourrait même parler sans avoir peur de se planter d’un genre de D-beat vraiment poisseux et ténébreux, si on omettait de prendre en compte les nombreux passages en downtempo qui viennent ralentir le rythme à intervalles réguliers.

En définitive, Asabiyya est plus grand que la somme de ses parties, et peut dériver Doom tout en accélérant Crust, sans jamais se départir d’une tonalité générale vraiment pessimiste et quasi nihiliste, utilisant la mélodie pour mieux la détourner de ses ambitions initiales.

Difficile toutefois de se montrer précis à l’égard d’un album plutôt compact, dont toutes les pistes s’enchaînent avec logique, dans une progression dramatique constante. Il faut d’ailleurs atteindre le cinquième segment pour que la tension se densifie, au travers d’un cathartique « V » qui ose enfin dépasser le cadre un peu restrictif des trois minutes, pour se répandre dans un Darkcore vraiment prenant. Les quatre premiers morceaux sont plus volontiers Crust, et semble avoir puisé leur inspiration du côté des côtes scandinaves, rappelant les meilleurs méfaits Crust/D-beat locaux, ceux-là même qui n’ont jamais tourné le dos au rigorisme et à la froideur du Death Metal local.

Il arrive parfois que tous les ingrédients soient mélangés au sein d’une même structure (« VI », aussi CULT OF LUNA qu’il n’est TRAGEDY, « I », entame Post Funeral Doom apocalyptique et triste comme un hiver sans fin), mais l’archétype d’amalgame est sans doute mieux représenté par le lapidaire et concentrique de violence « II », qui cavale sans montrer de signes d’essoufflement.

A partir de la moitié de l’album, les choses se compliquent et la direction se veut multiple, à l’image sonore de ce « VII », sorte de Death’n’Roll à touches Indus qui se débarrasse de tous les oripeaux trop ludiques et rieurs du style, et qui ménage quelques percussions assez bien trouvées. Mid tempo qui flirte avec le fantôme des UNSANE tout en admettant quelques accointances avec le poltergeist des REFUSED, sombrant soudainement dans un Post BM abrasif et désespéré à grand renfort de blasts déprimés, ce morceau semble vouloir indiquer que les BUT THE SHADOWS HAVE FOES sont beaucoup plus qu’un simple combo de Crust/D-beat supplémentaire, sans âme dépositaire.

Les riffs sont aussi épais qu’ils ne sont tranchants, se voulant parfois entraînants et attachants (« VIII » hurlante de trois minutes qui réconcilie le Hardcore originel avec tous ses descendants plus ou moins officiels), ou au contraire, pesants et déprimants (le final « IX », longue litanie ne déviant jamais de son thème principal et d’une solitude de ton insondable, comme un puits dans lequel on jette le corps inanimé des illusions harmoniques souillées).

En gros, le meilleur du pire des deux mondes, qui restent d’ailleurs à définir. Parfois Crustcore, parfois Doomcore, souvent maladif mais toujours ample, Asabiyya a les moyens de ses prétentions, et ressemble si on se réfère à sa pochette à un dernier voyage dans une forêt isolée histoire de mettre fin à ses jours de la façon la plus pitoyable qui soit.

Mais plus concrètement, ce premier album étale de belles qualités qui cherchent encore un chemin plus direct vers une personnalité aux contours bien dessinés.

Sans forcément dévier de leur volonté, les BUT THE SHADOWS HAVE FOES se présentent comme des outsiders sérieux aux diplômés de l’école nordique, et cherchent au plus profond de la nuit des menaces palpables plus effrayantes que celles que leurs collègues de la scène Post Hardcore US traquent depuis des années.

A vous de voir si la tristesse violente insondable de ce premier album reste supportable pour votre âme déjà bien abimée.


Titres de l'album:

  1. I
  2. II
  3. III
  4. IV
  5. V
  6. VI
  7. VII
  8. VIII
  9. IX

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 04/06/2017 à 14:29
70 %    1090

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