Dire que j’ai failli laisser crever 2024 en oubliant dans les décombres l’une de ses sorties majeures. Et je ne peux même pas compter sur mon ignorance pour m’excuser, puisque cet album est le fruit d’un groupe que je suis depuis des années, et qui m’a toujours impressionné de sa liberté de ton et de création. Toujours aussi anonyme (quoi qu’en fouillant bien, trouver l’identité des membres n’est pas chose impossible), GAEREA revient drapé de noir et cagoulé de symboles cryptiques mais surtout, le sac rempli de nouveaux titres, encore plus performants que les anciens. D’ailleurs, le quintet n’y va pas par quatre chemins pour introduire ce Coma. Il affirme qu’il s’agit là d’une déviation d’un style figé, et d’un éloignement des turpitudes Black Metal. Et je ne peux que louer cet esprit d’aventure qui constitue souvent le ciment des grandes œuvres.
Et Coma ou pas, GAEREA est toujours aussi imprévisible et grandiloquent. Mais d’une façon tellement humble que personne ne peut lui en vouloir.
J’attendais ce disque depuis deux ans, ce qui est assez paradoxal puisque je n’en parle qu’en 2025. Mais étourdi par la densité de la production et par le rythme effréné de mon clavier, j’ai failli le passer sous silence, ce qui eut été un crime de lèse-majesté. GAEREA affirme donc aujourd’hui être bien plus qu’un simple groupe BM, et je ne peux que confirmer ses dires. Loin de l’argument artistico-promotionnel, cette assertion souligne les courbes d’un disque qui se situe en convergence des flots, et qui se nourrit des courants ascendants et descendants. Mais je préfère laisser la parole au groupe pour situer les débats :
Avec Coma, GAEREA n’est plus un groupe de Black Metal à proprement parler. Bien qu’une fois de plus produit par le fidèle Miguel Tereso, son quatrième album élargit sa signature sonore en l’amenant dans deux directions apparemment opposées. Il y a plus de passages de beauté mélodique intense, mais ils ne font qu’accentuer la furie qui s’ensuit.
J’aurais pu reproduire sans citer mot pour mot ce petit paragraphe, et ainsi, tout vous dire à propos de ce quatrième long. Il se passe très bien de mots, et s’écoute le cœur affranchi et l’esprit libre. Mais cette précision permettra sans doute au groupe de conquérir un nouveau public, hermétique au classicisme BM, mais qui sera fasciné par ces boucles mélodiques qui tournent autour d’un Metal extrême plus généraliste qu’un Black Metal de tradition. Et c’est après une courte intro mélancolique que les hostilités explosent.
Et la colère est visiblement le moteur principal de cette réalisation. Comme d’habitude.
Mais une colère fertile, qui ne débouche pas sur un pugilat vulgaire, mais bien sur une remise en question. Qui sommes-nous, où allons-nous, pourquoi, comment, quand et pour combien de temps ?
Inspiré des grandes orgues d’EMPEROR, de la sophistication de la scène française et de souplesse des mélodies italiennes, Coma est non seulement précieux par sa musique, mais aussi sublime par son graphisme. Cet artwork signé Nathan Lorenzana est tout simplement magnifique, entre cascade de larmes et œil ouvert à la Chien Andalou, sorte de barrage qui cède sous la pression du réalisme pour engloutir les illusions d’une société en transition. Coma utilise beaucoup plus d’ingrédients que ses aînés. Ses guitares claires, ses passages apaisants, ses silences étudiés en font une histoire à la narration fluide et à la diction précise. Ainsi, « Wilted Flower » évoque avec beaucoup de subtilité la rose qui fane et qui perd ses pétales, à l’orée d’un hiver rude, mais superbe de blancheur immaculée.
Entre rapidité atavique et pesanteur cyclique, GAEREA élargit son spectre, et se pose comme leader d’une nouvelle scène, née dans les années 2010. Alors que le genre n’a de cesse d’observer ce qui l’entoure, les musiciens rejettent les fondements les plus inamovibles pour partir à l’aventure, et en revenir avec des constats et des possibilités.
Œuvre d’art au sens le plus noble du terme, ce quatrième long pourrait être l’achèvement d’une carrière, si on ne savait les portugais capables d’aller encore plus loin…et ailleurs. Ces musiciens cachés sous un noir de jais ne sont pas prêts à accepter le statisme comme seule échappatoire, et prennent leur temps pour distiller des atmosphères sombres, ou au contraire baignant dans une lumière aveuglante.
Le contraste est donc à l’honneur, et très prononcé. « Reborn » incarne le versant le plus dur d’un orchestre qui n’a pas sacrifié sa violence au profit d’une certaine complaisance, alors que « Shapeshifter » endosse le rôle délicat de métonymie, de partie pour un tout. Intro acide et lointaine, majesté Heavy toute en emphase, pour un détournement d’apparence qui brouille les pistes et nous éloigne de l’auteur des faits. Un peu PARADISE LOST et OPETH sur ces moments de poésie harmonique, mais totalement inflexible lorsque la rythmique s’emballe, GAEREA passe en revue ses options, et les adapte à son discours nouveau.
Précis, automnal puis hivernal en toute logique, Coma pourrait justement être cet état entre la vie et la mort, symbole d’un monde à la dérive qui pense encore avoir son libre arbitre alors même qu’il est exsangue et prêt pour l’extrême onction. « Unknown » l’avoue de ses guitares norvégiennes, nul ne sait de quoi demain sera fait, et « Kingdom of Thorns » est à deux doigts de débrancher l’assistance respiratoire pour laisser le corps reposer en paix.
GAEREA signe là son magnum opus, et laisse sur 2024 une empreinte indélébile. Trop tard pour en faire un haut fait dans les tops, mais assez tôt pour vous permettre de vous y consacrer pleinement. Je pense que maintenant, 2024 peut crever comme elle le mérite.
Titres de l’album:
01. The Poet's Ballet
02. Hope Shatters
03. Suspended
04. World Ablaze
05. Coma
06. Wilted Flower
07. Reborn
08. Shapeshifter
09. Unknown
10. Kingdom of Thorns
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