On ne peut pas vraiment dire que les relations diplomatiques entre la Russie et l’Ukraine ont toujours été au beau fixe. Mais nous ne sommes pas là pour faire un cours sommaire de géopolitique, juste pour souligner qu’il est encore possible qu’un groupe Ukrainien soit soigné sur un label Russe. Est-ce pour autant un gage de détente ? Après écoute, pas vraiment, puisque la musique incriminée n’est pas vraiment du genre apaisante ni relaxante. De quoi garder bien droit le fil d’Ariane liant les destins conjoints de ces deux Etats…
D’un côté, Satanath Records, label très impliqué dans l’underground local, et responsable de signatures comme GROTESQUE CEREMONIUM, ACHERONTE, HELLEBORUS ou EVIL REBORN.
De l’autre, le trio BALANCE INTERRUPTION, constitué de l’association de NK-47 (chant, guitare, claviers), Lucifer (chant et basse), et Kim (batterie), qui avec Door 218 propose donc son troisième longue durée, après Nuclear War For Rescue en 2007 et Era II : Desert of Ashes quatre ans plus tard.
Les Ukrainiens ont aussi trois EP à leur actif, ce qui étoffe encore plus leur discographie, très homogène dans sa diversité.
C’est d’ailleurs ainsi qu’on pourrait résumer le parcours et la philosophie de ces Ukrainiens qui décidément ne font rien comme tout le monde. Si leur emprunte Black est très prononcée, ils prennent un malin plaisir à en transgresser les codes pour en offrir une vision très personnelle et décalée, parfois proche d’un Post Black Industriel.
Mais pour être honnête et objectif, leur direction tout sauf erratique guide sur bien des pistes, qui sont rarement les bonnes, prises dans leur globalité. Le trio pioche de ci de là des éléments nécessaires à l’élaboration d’une musique agressive, technique et complexe, qui doit beaucoup à l’extérieur tout en se tournant vers l’intérieur, presque comme une autarcie de genre.
Et si les deux premiers albums posaient déjà des bases solides, Door 218 se permet des constructions en annexe impressionnantes d’équilibre instable, mais fascinantes dans leur difformité logique.
Si le fond de l’air est frais et Black, la surface et les décorations sont parfois héritées d’un genre de folklore Slave qui s’impose dans des structures rigides et compactes, et l’effet de surprise (déjà patent sur les albums précédents) est parfois assez troublant, conférant à ce troisième LP une aura mystique irrésistible.
Mais l’art de déstabilisation de BALANCE INTERRUPTION ne repose pas que sur des gimmicks ornementaux, loin de là. Les fondements de leur musique, sombres, alambiqués, font largement penser à l’œuvre dense de DEATHSPELL OMEGA, pour cette façon très personnelle d’imbriquer des plans intenses avant de les fissurer d’interventions ouvertes. Ainsi, il n’est pas rare qu’une structure absolument Black se retrouve effritée par un solo de saxo sorti de nulle part, ou par un break dominé d’une basse ludique et Funky (« D.U.S.T »). Là est la magie de ce groupe décalé, qui offre une base saine, qui leur permet donc toutes sortes d’expérimentations qui ne sont jamais grotesques ou forcées.
Et chaque piste de cet album est connoté de cet art équilibriste d’imbrication contre-nature, mais jamais de façon excessive. Ainsi, l’entame tonitruante de « Last Sunset Without Sun », sonne comme une alerte donnée conjointement par RED HARVEST et THORNS, avant que le naturel des trois Ukrainiens ne reprenne le dessus pour une désorganisation tout à fait sous contrôle.
Le déluge de double grosse caisse allégé d’interventions de guitare légères mène tout droit à de soudaines dissonances soulignées d’arrangements électroniques, avant que des sonorités slaves en arabesques ne diluent le tout dans une atmosphère mystique, traduisant le tout d’un dialecte Black Progressif réellement déroutant.
Huit pistes, toutes homogènes de durée, mais éclectiques de discours. Certes, la violence sourde prédomine, accentuée par un chant étouffé vraiment véhément (un peu à la Ron Royce parfois d’ailleurs) mais parfois noyé dans la brutalité outrancière, un peu comme un opéra baroque mis en scène dans une vieille église Ukrainienne abandonnée depuis des siècles.
On se sent parfois proche d’un smooth Jazz de l’occulte (le break fabuleux qui déconstruit la lourde progression de « Suicidealer », au phrasé vocal presque incantatoire), mais ces inserts ne sont là que pour offrir une couleur étrange à un ensemble clairement dominé par une bestialité de ton ouvertement Black.
D’ailleurs, le groupe prend soin sur sa page Facebook de n’énumérer aucune influence pour mieux se concentrer sur ses propre qualités, ce qui est très honnête en soi, puisqu’il est la plupart du temps impossible de les comparer à qui que ce soit.
Qu’ils se lâchent sur des intermèdes Funky Core dégénérant en progressif 70’s ombrageux («Incubatum Conveyor », et ses vents empruntés à JETHRO TULL), avant de se lancer dans une compression en mid tempo digne d’un combat entre SAMAEL et CREMATORY, ou qu’ils invoquent les esprits de CELTIC FROST et d’EMPEROR pour un ballet de l’étrange dominé par des syncopes rythmiques fulminant d’être mises de côté le temps d’un break Jazzy smooth and strange (« Door 218 ») , leur démarche reste logique, et ouverte à toute possibilité, du moment qu’elles ne remettent pas en cause le précepte de base :
Rester violent mais intelligent, ouvert mais cohérent.
On frise d’ailleurs parfois l’exercice tribal abscons à la MAGMA meets ABORYM (« Morbid Soul Shelter », qui propose les digressions les plus emphatiques et quasiment symphoniques), mais l’aventure se termine sur un « Hypnotik Eye Kvlt Terror » qui synthétise les opinions émises et se fend une fois de plus d’un solo bizarroïde et un peu faux, tandis que l’arrière-plan se densifie au fur et à mesure pour atteindre des pics d’intensité nuancés de dissonances assez perturbantes.
Il est assez difficile de dire sur quel univers s’ouvre cette fameuse Door 218 des BALANCE INTERRUPTION. Sur un monde parallèle, dans lequel la logique crue et matérielle n’a pas cours, sur une dimension onirique cauchemardesque qui parfois propose des intermèdes de songes un peu plus délicats…En tout cas, leur BM ou Post BM sait se montrer extrême mais flexible, et vous propose de tourner autour d’un satellite étrange, selon une rotation pas toujours régulière, et soumise à de brutales accélérations et décélérations.
Mais avec un LP tous les quatre ou cinq ans, les Ukrainiens ont le temps de peaufiner leur vision, qui est aujourd’hui aussi trouble que nette, et aussi rassurante dans l’innovation que dérangeante dans l’obsession. Pas certain par contre qu’une fois la porte franchie, un quelconque retour soit possible…
Titres de l'album:
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