Hearts of No Light

Schammasch

08/11/2019

Prosthetic Records

Beaucoup les attendaient au tournant, mais peu savaient vraiment à quoi s’attendre. Il faut dire que donner une suite au monumental et fourni Triangle n’était pas chose aisée, tant ce triple album redéfinissait pour le meilleur l’approche suisse de l’équation Black Metal moderne. Il y a deux ans, le quatuor avait trouvé une échappatoire facile sous la forme d’un EP toujours aussi intriguant (et en une demi-heure, méchamment dense pour le format), mais les musiciens savaient très bien que le moment du grand passage allait venir, et qu’il leur fallait préparer leur retour sous les ténèbres. Chris S.R., l’esthète maudit n’a jamais voulu brader son art, mais bien le sublimer. Aller chercher de nouvelles sonorités, explorer d’autres directions, pour enrichir, quitte à opacifier, pour ne pas stagner, refléter la beauté de la mort, la complexité de la vie en tant que passage obligé, et surtout, ne pas stagner artistiquement, alors même que son groupe était responsable d’un des triptyques les plus mystiques de la grande aventure du BM. Et aujourd’hui, la réponse est sous nos oreilles, claire dans le fond, mais étrange dans la forme. Revenant à une formule plus synthétique, mais à peine plus condensée, SCHAMMASCH nous offre donc la suite que l’on espérait tant, et qui finalement, se montre largement à la hauteur des attentes. Introduit par la pianiste classique Lillian Liu, Hearts of No Light est donc le cœur de lumière sombre que nous entendons battre, ce cœur en chœur d’église personnelle dans laquelle aucune des prières ne se voit exaucée. Car les prières n’ont pas de valeur dans le cœur des suisses, seul le travail et la patience sont des vertus, et rien n’est obtenu gratuitement, par miracle. Et le fait que ce quatrième LP tienne aisément la comparaison avec la référence Triangle n’en est pas un non plus. C’est simplement le fruit de trois années de passion, de patience, d’élaboration, et d’amour pour un art qui décidément, ne sera jamais réduit à sa fonction de divertissement.

Si le Black Metal n’était pas la forme la plus riche de l’extrême, il serait presque vulgarisant d’y classer le désormais quintet (C.S.R - guitare/chant, M.A - guitare, J.B - guitare, A.T - basse et B.A.W - batterie). Mais le Black étant ce qu’il est, il n’est pas étonnant de pouvoir y affilier un musicien comme Chris S.R. qui depuis longtemps à choisi la vie et la mort, et la beauté et la laideur comme thématiques principales. En neuf morceaux et presque soixante-dix minutes, SCHAMMASCH franchit encore de nouvelles frontières dans la grandiloquence et la démesure, et nous offre l’un des albums les plus accomplis de sa carrière, sinon le plus accompli. Pourtant, et ce malgré les moyens mis en œuvre (production dantesque, niveau instrumental bluffant), Hearts of No Light n’est rien de moins que le pari le plus risqué tenté par les originaires de Bâle. Avec de très longues séquences instrumentales, une gravité permanente, des inserts Heavy plus que voyants et un classicisme de plus en plus discret, les chances de séduire une large frange du public extrême n’en étaient que plus minces. Mais SCHAMMASCH n’a jamais fait aucun compromis pour séduire, et continue d’utiliser des approches divergentes, des rythmiques martiales, des dissonances qui choquent les oreilles, un peu de la même façon qu’avait Tom Warrior dans les années 80 de prendre systématiquement ses fans à contrepied. Non que la comparaison CELTIC FROST/SCHAMMASCH soit totalement pertinente, mais les deux têtes pensantes ont cette affection pour la liberté de choix, que l’on sent clairement sur un morceau aussi étrange que « I Burn Within You », qui n’aurait pas dépareillé sur le mythique Into The Pandemonium. On y retrouve le même penchant pour le dramatisme, la même envie lyrique d’incarner des sentiments et non de se contenter de les traduire en musique, et il n’est guère étonnant de retrouver Aldrahn des inclassables DØDHEIMSGARD venu prêter main forte en déclamant ses vers d’une voix investie et shakespearienne. Certes, là encore SCHAMMASCH n’est pas DØDHEIMSGARD, pas plus qu’il n’est la réincarnation tardive de CELTIC FROST, mais on ne peut s’empêcher de constater que les trois groupes ont suivi leur carrière sans se préoccuper du qu’en dira-t-on. Et de fait, Hearts of No Light est un nouveau chef d’œuvre à ajouter à la courte liste des véritables œuvres avant-gardistes.

De l’avant-garde oui, mais intelligente. Pas celle qui ose tout et n’importe quoi sous le seul prétexte d’être différent, celle que pratiquent les artistes différents par nature. On n’accouche pas d’un monstre comme « Ego Sum Omega » par pure provocation. On compose ce morceau naturellement, parce qu’on a le talent nécessaire pour aller plus loin que la plèbe, parce qu’on est capable d’empiler les strates de sons tout en laissant l’auditeur percevoir chaque couche, et parce qu’on ne souhaite pas forcément coller à l’éthique Black Metal. D’ailleurs, ce titre en est-il encore ? La question se pose, tant sa structure, son développé en appellent tout simplement à l’extrême, qu’il soit par touches fugaces Industriel, sombre, ou martial. En choisissant de jouer la parcimonie vocale, Chris S.R donne à chacune de ses interventions l’importance d’un commandement au sommet du mont Sinaï, ou d’un avertissement d’apocalypse au fond d’une inhumanité qui n’essaie plus d’éviter le précipice. Et voilà d’ailleurs ce que représente ce quatrième album, une version très personnelle des trompettes de Jéricho, les quatre cavaliers de l’apocalypse lancés sur terre, et le début de l’Armageddon. Impossible de ne pas y songer malgré des inserts plus apaisés comme « A Bridge Ablaze », qui annonce avec beaucoup de sournoiserie le terrifiant « Qadmon‘s Heir », l’un des titres les plus violents du lot. Encore une fois, cet empilement de sons qui tournoient, qui plaquent, qui grondent, superposés à des mélodies venues de l’au-delà, le tout recouvert de lignes vocales en quasi rythmique verbale font de cet album une expérience plus qu’une simple écoute, une immersion dans la fin d’une humanité époumonée et pourtant sidérée de prendre acte de sa mort annoncée.

La beauté de la vie et de la mort, ce cycle naturel, épouse parfaitement les contours de bizarreries comme « A Paradigm Of Beauty ». Tempo dansant après une longue intro bruitiste à la EINSTURZENDE NEUBAUTEN, allusions à OPETH et PARADISE LOST, évocation d’un Post Metal plus vrai que nature, la diversité de l’existence est donc parfaitement illustrée. Et s’il serait facile de résumer toute l’affaire à son final dantesque « Innermost, Lowermost Abyss », et rien ne vous en empêche. Ces quinze ultimes minutes sont justement le parangon d’un travail de titan, sa concrétisation synthétique, et sans doute la seule manière de clôturer une entreprise aussi ambitieuse. Percussions tribales, piano en contrepoint discret, guitares claires, on se croirait presque chez NEUROSIS, jusqu’à cette scission intermédiaire nous entraînant au purgatoire. Avec quelques minutes de coda sombre, SCHAMMASCH met un terme à son quatrième longue-durée, et prend acte de notre pitoyable épilogue. Hearts of No Light n’est donc rien de moins que la bande-son d’une apocalypse prévue de longue date, et l’achèvement d’une carrière qu’on sent pourtant encore riche de surprises. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes.  

     

Titres de l’album :

                          01. Winds That Pierce The Silence

                          02. Ego Sum Omega

                          03. A Bridge Ablaze

                          04. Qadmon‘s Heir

                          05. Rays Like Razors

                          06. I Burn Within You

                          07. A Paradigm Of Beauty

                          08. Katabasis

                          09. Innermost, Lowermost Abyss

Site officiel

Facebook officiel

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 26/12/2019 à 17:49
95 %    1128

Commentaires (0) | Ajouter un commentaire

pas de commentaire enregistré

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Rendez-vous

RBD 21/10/2024

Live Report

The Mission

RBD 27/09/2024

Live Report

Obscene Extreme 2024

Mold_Putrefaction 29/08/2024

Live Report

Discography 1983-2006

mortne2001 18/08/2024

La cave

Ratos de Porão + All Borders Kill

RBD 22/07/2024

Live Report

HELLFEST 2024 / Clisson

Jus de cadavre 15/07/2024

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Tourista

Le père Harris, sponsorisé par Garnier Color Sensation.    

23/10/2024, 21:24

Tourista

La LAMBADA.  Ah ouais, quand même...

23/10/2024, 18:08

Arioch91

Il manque une piste :13. La Danse des Canards (J.J.Lionel cover)J'ai trouvé la sortie, vous inquiétez pas pour moi -> [ ]

23/10/2024, 14:26

Bergen

Leur son est vraiment très cool, j'ai écouté leurs précédents morceaux, y a de la grosse reverb et de la fuzz avec une voix hyper pro, ben ça marche de ouf!

23/10/2024, 14:10

Gargan

12. Lambada (Kaoma cover) 

23/10/2024, 10:02

senior canardo

comme on dit au taf " ça se tente" ;)

22/10/2024, 15:48

RBD

Je ne suis pas gros amateur de Heavy et de Maiden, mais la période de Paul di Anno reste ma préférée. Je suis donc un peu ému. Même s'il avait la réputation d'une mauvaise santé depuis bien longtemps et que cela me surprend moins qu(...)

22/10/2024, 15:29

Humungus

Moshimosher + 1 pour ce qui est de mon album préféré et de la news qui n'est malheureusement pas si surprenante que ça au vu de la vie du gaillard...

21/10/2024, 20:58

Moshimosher

RIP ! Iron Maiden restera mon album préféré du groupe et Killers le premier album que je me sois acheté (Ah ! Quelle pochette !)... Pas vraiment étonné par la nouvelle, mais, bon, elle n'en est pas moins triste pour autant...

21/10/2024, 19:55

Sphincter Desecrator

 

21/10/2024, 19:18

Arioch91

Pas mieux. Sale nouvelle.

21/10/2024, 18:52

Tourista

Alors là, c'est la baffe. 

21/10/2024, 18:20

Humungus

Bah oui allons LeMoustre...Il est évident que le propos d'Orphan est du quinzième degrés.

20/10/2024, 17:22

Humungus

Pas mieux :TRAVERS.

20/10/2024, 17:20

Simony

 

20/10/2024, 09:33

Tourista

7 lettres : JARRETS.

20/10/2024, 09:00

Sphincter Desecrator

@LeMoustre: Concernant Orphan, je pense qu'il y a surtout du 2nd degré...Quant à FATIMA: le groupe sort un album sur Season of Mist en 2020, et découvre en 2024 que DESTRÖYER 666, c'est des méchants... Paye ton groupe de touristes. Allez, une petite (...)

18/10/2024, 22:29

Gargan

Très 90s dans le son, même si j'aurai préféré un peu plus rond. J'aimerai bien les revoir live du coup.

18/10/2024, 19:15

LeMoustre

@Humungus : oui, j'aurai pu mettre les Guignols de l'Info avec Mr Sylvestre dans le lot, quand il citait les gniakoués, etc...Malheureusement quand je lis des réactions comme du dénommé orphan je me dis qu'on est quand même pas sorti d'(...)

18/10/2024, 07:39

Humungus

LeMoustre + 1 bordel !!! !!! !!!

18/10/2024, 06:50