Nowhere

Esben And The Witch

16/11/2018

Season Of Mist

Voici le parfait exemple de groupe hors-contexte à la trajectoire fascinante. Pour tout un chacun, et pour qui connaît la carrière des ESBEN AND THE WITCH, leur place dans un webzine Metal ne découle pas d’une logique de fait, mais bien d’un ressenti personnel lié à la puissance de leur musique. Et que celle-ci soit contemplative ou en forme d’exutoire, elle prend toujours la forme d’une expression de puissance se manifestant parfois en mélodies, parfois en bruit blanc maîtrisé, et reste intéressante pour tous ceux qui refusent la facilité d’un art prédigéré qui certes, fonctionne au premier degré, mais n’apporte pas le plaisir sur la durée qu’on est en droit d’attendre d’une œuvre importante et riche. Et au cas où votre connaissance du sujet se soit arrêtée aux prémices de l’aventure, vous aurez du mal à comprendre pourquoi j’aborde leur cas aujourd’hui dans ces colonnes, puisque leur odyssée à l’époque fut entamée sous des auspices électroniques et gothiques, bien que je déteste ce mot tout autant que des termes comme Post Rock ou Post Metal. Pourtant, et de fait, les berlinois sont forcément « Post » quelque chose, puisqu’ils ne se contentent pas de formules existantes, et défrichent du terrain à chacune de leurs apparitions. Et ce quatrième longue durée de leur discographie est là pour témoigner d’une nouvelle avancée, en forme de déclaration d’amour à une liberté de création qui ne supporte pas les restrictions. Ce trio, c’est d’abord un duo, né de la rencontre entre Daniel Copeman et Thomas Fisher à Brighton en 2008. Bien décidés à jouer de la musique ensemble, les deux instrumentistes se mettent en tête de trouver le vocaliste parfait pour leur projet, et c’est finalement la vieille amie de Thomas, Rachel Davies qui prendra le micro. Une vocaliste donc, à la voix éthérée, souvent poignante, parfois parlante, qui permet à Violet Cries de se faire repérer en 2011, et de lancer une trajectoire échappant à toute logique, suivi erratique que Wash the Sins Not Only the Face ne stabilise aucunement de ses digressions Shoegaze, Post Gothique et Dub économique. Et alors que A New Nature semblait révéler de son titre des envies d’ascétisme et de simplicité, se tournant vers les racines d’un Rock dénaturé, Nowhere frappe tous azimuts, et incarne peut-être le parangon de violence et de diversité que le trio allemand semblait rechercher.

En écoutant ce disque aussi trouble que clair, on comprend pourquoi les morceaux du groupe sont si souvent utilisés pour des films, séries, documentaires et autres supports. On y retrouve la pluralité des véritables créateurs qui utilisent les styles pour les déformer et les adapter à leur vision, même si cette dernière se voit souvent résumée d’un lapidaire et grotesque « Expansive Primal Goth-Punk » ne voulant absolument rien dire dans son accumulation de juxtapositions. Car la musique présente sur ce nouvel effort est d’une beauté formelle indéniable, et d’une violence sous-jacente tangible. On pense à une forme très larvée de Post Sludge adaptée aux envies et cauchemars des SIOUXSIE AND THE BANSHEES, à un MIRANDA SEX GARDEN soudainement perturbé par la vague NOLA, ou à une adaptation très libre des imbrications de SYLVAINE/MYRKUR dans un langage purement Növö, épuré de tout fantasme morbide et de tout gimmick commercial. Une fois encore, l’approche n’est pas facile, puisque les titres sont toujours aussi longs, remplis d’idées, d’harmonies amères comme un constat de fin de vie, et expurgés de tout détail superfétatoire pour décharner la création jusqu’à ses cellules les plus pures. Evidemment, la voix de Rachel Davies est toujours aussi unique et hypnotique, transformant en poème de l’âme des passages instrumentaux abrupts et sauvages, un peu comme des litanies récitées au bord du précipice avant une chute inéluctable. Mais plus le groupe avance, plus sa crudité crève les yeux, et les six pistes de ce nouvel album font encore évoluer les choses, transposant dans un langage personnel des idiomes universels, pour atteindre parfois la plénitude tant attendue (« Seclusion », solitude extrême d’un chant isolé dans les cieux pour background harmonique réduit à la portion congrue). Difficile de dire toutefois si Nowhere nous entraîne effectivement vers ce nulle part que nous espérons tous pour oublier notre quotidien, mais ce qui est certain, c’est qu’il nous emmène ailleurs, là où la facilité n’a pas droit de cité, et où seule l’inspiration se permet de guider les pas. Et si nous finissons quand même quelque part entre le néant et l’oubli, le voyage en vaut la peine, s’il s’entame de lui-même par une déclaration d‘adieu de la superbe de « A Desire For Light ».

Si l’on retrouve évidemment la personnalité du groupe qui finalement se résume aux identités des trois musiciens impliqués, les retrouvailles semblent faussées par ce regain de violence larvée que « Dull Gret » impose de son faux Post Doom aussi torturé que calme. Et après quelques minutes de candeur immaculée, la guitare prend le relais pour nous rappeler que le Post Punk des années 80 fut la seule porte de sortie artistique viable d’une décade rongée par le culte de l’apparence, et nous irrite de son gros grain de distorsion, alors que Rachel pousse sa voix plus en avant dans l’exhortation d’un mal-être qu’elle a la bonté de partager avec nous. Poésie en lucidité majeure, ce nouveau puzzle presque inextricable nous explique par A-B pourquoi les ESBEN AND THE WITCH sont beaucoup plus qu’un simple groupe Shoegaze de plus, puisqu’ils en refusent les restrictions pour imposer leur vision. Cette vision s’articule toujours sur l’ambivalence et la dualité, sur cette virilité instrumentale atténuée de sensibilité féminine, et pourtant, aussi étrange que ça puisse paraître, c’est souvent cette vocaliste qui prend le taureau par les cornes et qui entraîne les chansons dans une direction sombre de son timbre désincarné. Mais oui, je l’accorde, « Golden Purifier » est classique dans son approche Post Rock, avec son coulis d’arpèges classiques et ses arrangements de percussions en effleurement, mais il possède dans sa trame des tremblements fermes qui prouvent que l’incertitude affleure toujours à la surface de l’évidence, un peu comme si Tori Amos reprenait à son compte l’un des morceaux les plus emblématiques de RADIOHEAD pour l’expurger de sa théâtralité excessive et le réduire à l’essentiel de l’émotion. Mais le track-by-track étant l’ennemi le plus absolu de ce genre d’œuvre, je me garderai bien d’une analyse linéaire pour tenter de vous expliquer pourquoi Nowhere est partout à la fois. Acceptez juste une fois encore que la lumière et les ténèbres soient liées à jamais, et que parfois, il faille savoir fermer les yeux pour vraiment voir… 

Et acceptez que la violence et la paix puissent aussi se suivre dans une logique implacable, que les riffs à la NEUROSIS en plein spleen puisse s’accommoder de volutes vocales à la Charlotte Martin (« The Unspoiled ») pour tenter de réconcilier le Post Hardcore et la Dream Pop sans choisir un camp, et que tout s’achève dans un torrent de colère à faire s’inonder le monde sous son propre torrent de douleur (« Darkness (I Too Am Here) »), et vous comprendrez peut-être que les ESBEN AND THE WITCH viennent de signer avec Nowhere le manifeste de liberté absolue le plus poétique et pénétrant de l’année. Quel que soit le contexte sur lequel vous placez les débats, et quel que soit votre point de vue. Car il n’est question que de perception ici, pas de style. Laissons cette vulgarité à ceux que la sécurité rassure.     


Titres de l’album :

                          1. A Desire For Light

                          2. Dull Gret

                          3. Golden Purifier

                          4. The Unspoiled

                          5. Seclusion

                          6. Darkness (I Too Am Here)

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par mortne2001 le 17/12/2018 à 16:45
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