Je ne vais pas vous refaire un cours sur les groupes à tréma, si vous n’avez pas suivi tant pis, d’autant plus que je tiens là l’exception parfaite à la règle immuable. Originaires de Leeds, les DREAM TRÖLL nous ont donc fait un coup pendable au moment d’orthographier leur nom, puisque leur musique n’a pas grand-chose à voir avec les autres groupes flanqués du sceau furieux « Ö ». Six ans de pratique, et déjà deux longue-durée à leur actif, ces anglais sont donc pour le moins productifs, et au moment d’aborder le virage de leur troisième album, ont vérifié l’état des freins et des suspensions. Aussi bons et performants furent The Knight of Rebellion (2017) et Seconds to None (2019), ils sonnaient presque comme d’habiles brouillons comparés à la copie rendue via Realm of the Tormentör, petit précis à l’usage des nostalgiques les plus perfectionnistes.
Le leitmotiv du combo est simple et clair, et affiché comme un slogan sur leur page Facebook : faire en sorte que le vieux sonne neuf. On connaît le principe, appliqué par les maîtres suédois depuis plus d’une quinzaine d’années, alors, pas de quoi être surpris. Mais pour une fois, c’est du côté de l’Angleterre que le savoir-faire s’est révélé, puisque les DREAM TRÖLL peuvent se permettre de défier en duel les meilleures lames scandinaves.
Sorte de mélange improbable et efficace entre les NIGHT FLIGHT ORCHESTRA et HAUNT, Realm of the Tormentör n’a donc pas grand-chose à voir avec son titre qui évoque plus un Black punk ou un Blackened Thrash furieux et désordonné. Ici, chaque note est à sa place, et l’ambiance serait plutôt agréable, entre Hard radiophonique et énergie Heavy typique de la NWOBHM, revue et corrigée vingt-et-unième siècle.
Paul Thornton (basse), Matt Baldwinson (guitare), Simon Blakelock (batterie), Paul Carter (guitare) et Ash Elliot (chant), malgré leur autoproduction nous proposent donc un produit terriblement professionnel, mais surtout, des chansons addictives, aux refrains accrocheurs, qui s’ancrent en effet dans la tradition du Hard-Rock incisif à l’européenne tout en acceptant la séduction radiophonique américaine et suédoise. En six morceaux seulement, et avec à peine une demi-heure de jeu, les anglais alignent les tubes, certes tous plus ou moins portés par la même inspiration, mais qui accrochent l’oreille et qui restent en mémoire bien après l’écoute.
Les trois premiers titres passent d’ailleurs comme dans un rêve, malgré leur longueur effective. Un quart d’heure pour cette première moitié d’album, mais un terrible et trépidant « She Got the Devil Inside », aussi sensuel que viril. L’interprétation parfaite, l’énergie déployée, le son poli aux entournures mais pas trop pour ne pas perdre en âpreté, tout est parfait, et lorsque le refrain de « Winner Takes Nothing » résonne, on pense à un DEF LEPPARD repris à la sauce THE LOCAL BAND, avec basse qui ronfle et qui brille, rythmique en coup de fusil, et chant soft, mais précis. Le duel de guitaristes nous en donne pour notre argent, profitant d’une paire rythmique à la croche près, et ce break typiquement THIN LIZZY nous achève de sa nostalgie traitée intelligemment.
Car c’est bien de ça dont il est question sur ce troisième album de DREAM TRÖLL : la nostalgie d’accord, mais revue et corrigée, avec un son actuel, et une inspiration qui couvre des décennies de Rock amplifié. Loin de se contenter du clonage de tel ou tel groupe, le quintet propose sa version du passé, une version entraînante, groovy, juvénile et totalement contagieuse. D’autant que la seconde partie de Realm of the Tormentör réserve quelques surprises, et s’écarte légèrement du chemin bien tracé, tout en suivant le fil rouge.
« Here Comes Chaos », sans vraiment surprendre, nous bouscule une fois encore de quelques fantaisies rythmiques, mises en relief par le métronome Simon Blakelock, parfaitement suivi dans son travail de géomètre des futs par la paire Matt Baldwinson/Paul Carter. En opposant un instrumental totalement Hard et des arrangements vocaux presque Pop, tout en se laissant aller à quelques incartades à la frontière du Power, DREAM TRÖLL pratique le lifting à la suédoise, mais sans copier les meilleurs chirurgiens locaux. Ajoutez au bilan positif des soli très propres, quelques interventions synthétiques, une propension à développer des breaks progressifs, un sens de la pertinence affuté, et vous obtenez l’un des albums rétro les plus frais de cette année 2021.
Seul reproche éventuel à formuler, le systématisme du beat, toujours plus ou moins calé sur le même nombre de BPM, augmentant parfois (« Watch It Burn », si vous ne headbanguez pas en écoutant ça, alors vous n’aimez pas le Hard-Rock, rentrez chez vous), pour enfin ralentir et se poser sur l’énorme final « As Death Rains from the Sky ». Belle clôture en variation qui laisse les griefs au placard, ce long morceau prouve que les anglais en ont sous la botte, et qu’ils ne devraient pas tarder à nous sortir une œuvre vraiment majeure du créneau vintage.
Magnifique surprise que ce troisième longue-durée, qui finalement, dure juste ce qu’il faut et nous laisse le sourire aux lèvres et la tignasse ébouriffée. Alors certes, le tréma est peut-être usurpé, mais qu’importe : comme je le disais plus en amont, il faut toujours une exception à la règle. Mais d‘un autre côté, les DREAM TRÖLL, sans viser la carrière ou le palmarès d’un MOTÖRHEAD ou d’un MÖTLEY CRÜE peuvent prétendre à un parcours plus qu’honorable.
Titres de l’album:
01. The Tormentor
02. She Got the Devil Inside
03. Winner Takes Nothing
04. Here Comes Chaos
05. Watch It Burn
06. As Death Rains from the Sky
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