Attention, ouverture d’esprit indispensable. Et tenue non correcte exigée.
Voilà qui nous éloigne pendant une grosse demi-heure des convenances old-school, de l’esprit Metal pur et dur et autres exigences de traditionalisme subtilement fatigantes sur la longueur. Venant de Philadelphie, le quintet CARNIVOROUS BELLS fait partie de ces iconoclastes qui n’appréhendent la musique que sous ses aspects les moins prévisibles, et qui n’aiment rien tant qu’un métissage poussé à l’extrême. Inutile donc de compter sur eux pour lâcher de bons gros riffs classiques, le propos étant de se déclasser de la liste des artistes mainstream et de prôner une liberté de ton qui fait franchement du bien à entendre.
Toutefois, ne vous attendez pas à un énième clone Ipecac habile mais surfait. Pas d’hommage à la folie de Mike PATTON, mais plutôt une exploration des possibilités offertes par le Post Rock, le Jazz, le Noise Rock, quelque part entre UNSANE, SHINING, LITTLE WOMEN, ZEUS, le Progressif dadaïste des seventies, et des PIXIES ayant appris le solfège sous la tutelle des NOMEANSNO.
NOMEANSNO, voilà un nom qui permettra de situer quelque peu les débats. De tous les noms cités, c’est bien celui-là et celui d’UNSANE qui dominent les influences, comme si les CARNIVOROUS BELLS avaient préféré honorer une Nouvelle Orléans décatie plutôt que l’urbanisme déprimant de New-York. Pourtant, la musique proposée ici a de quoi faire pâlir les PRIMUS, sans que les styles ne se mélangent. Point de Funk, point de parti-pris cocasse entre une mer de fromage et la boue de my name is, mais plutôt une déconstruction totale du Rock par un Jazz sournois, libre, et proche d’un Free-Rock décomplexé et remonté brinquebalant.
Matthew Adis (textes/chant), David Vassalotti (guitares), Leo Suarez (batterie), Michael Bachich (basse) et James McKain (saxo ténor) aiment autant les BUTTHOLES SURFERS qu’Ornette COLEMAN, ce qui leur permet de dégager une voie vraiment pas diplomatique susceptible de laisser tous les publics circonspects. Un peu de la scène arty des seventies, entre la liberté française et le Krautrock allemand, beaucoup d’inspiration rythmique, peu de démonstrations solo, pour un résultat puissant, parfois agaçant, mais toujours terriblement motivant, à la frontière séparant le Post-Rock du Post-Punk en mode chromatique, et des cauchemars à filer la trique à un fan de Beefheart en pleine rupture conventionnelle.
« Spotlight On A Worm » donne le ton de sa ride frappée avec tendresse, et les instruments de s’imposer l’un après l’autre, entre dissonances, breaks subtils, notes réfléchies, et accès de colère larvés. On comprend immédiatement que Room Above All ira où bon lui semble, sans prendre de carte ni de GPS. Le chant torturé et mixé méchamment en arrière, la guitare discordante qui fait mal aux ongles sur le tableau, le beat tribal nous entraînent dans une aventure peu commune, mais qui ne sonne pas originale pour la beauté du geste.
Car le tout se tient, et reste musical, malgré des tendances atonales symptomatiques du Hardcore nineties le plus lettré et éduqué. Il y a du FUGAZI là-dedans, mais aussi du JESUS LIZARD, un peu de Sludge lorsque la machine est en manque de bûches, et on pense même parfois à une version organique du DAUGHTERS le moins électronique, la batterie mécanique remplaçant avantageusement les samples et autres beats robotiques.
Ne poussez-pas, il n’y en aura pas pour tout le monde. Les titres sont la plupart du temps brefs et musicalement sarcastiques, et si l’ombre du Mathcore éclipse parfois les performances jazzy, c’est pour mieux renforcer le côté violent de l’affaire, mais une violence un peu sourde et contrôlée pour ne pas déraper. Aussi Punk qu’un des premiers concerts des DAMNED (« Moonlit Pierrot » prête-moi ta chandelle pour remplacer mon dildo), déconstruit comme une symphonie des GIRLS VS BOYS, Room Above All fait de la place à l’improvisation, celle que les clubs de Jazz aiment tant, admirant l’unisson des musiciens partant en vrille individuellement avant de rattraper le thème principal tout sauf par miracle (« Perfectly Still », méchant, dissonant et franchement oppressant).
On savoure donc cette tranche de vie étrange, qui nous permet de nous détacher de la production Metal si roborative qu’on en étouffe sous les blogs. Rock sans vraiment l’être, plus Punk dans l’esprit que dans les faits, Néo-Jazz noir par obligation d’ambiance, CARNIVOROUS BELLS est de ces groupes qu’on ne sait jamais où ranger sur les étagères de l’originalité, quelque part entre une compile de P.I.L et un live des RESIDENTS.
Tiens, on va garder cette formule : un VOÏVOD en version Blue Note.
Pas mal non ?
Titres de l’album:
01. Spotlight On A Worm
02. The Ladder
03. The Written Word
04. The Onlookers
05. A Frigid Mass
06. The Master's Plate
07. Moonlit Pierrot
08. Perfectly Still
09. Room Above All
10. Unfinished Matter
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