Un premier album est toujours une étape très importante pour un groupe, mais une étape sans doute plus facile à négocier qu’il n’y parait. En effet, lorsque le public ne vous attend pas au tournant, il est plus facile de le surprendre. L’écueil à éviter étant toujours le même : ne pas se noyer dans les flots de la production actuelle qui essuie vague sur vague quotidiennement, engloutissant le chroniqueur et le public sous une marée incessante qui ne charrie pas que des gros poissons méritant les filets. De là, une seule attitude à adopter : rester soi-même, jouer sa musique, et attendre…de constater les effets produits. Et à ce petit jeu de pas si dupes, les lillois de STENGAH viennent de frapper un grand coup, et pas d’épée dans l’eau.
STENGAH est sans doute un nom qui ne vous dit pas grand-chose, pourtant on retrouvera ce quintet (Alex Orta - guitare, Benoit Creteur - basse, Eliott Williame - batterie, Max Delassus - guitare et Nicolas Queste - chant) sur la mainstage 2 du Hellfest édition 2022. Voilà qui en dit long sur son potentiel et son pouvoir de séduction, car fouler cette scène mythique après un seul album n’est pas chose donnée à tout le monde. Mais en écoutant les dix pistes de cet énigmatique Soma Sema, on comprend immédiatement la décision des programmateurs tant la musique de STENGAH est aussi complexe et fine qu’elle n’est puissante et violente. Et faites-moi confiance, ranger ces cinq-là dans une petite case n’est pas chose facile. Mieux, c’est impossible.
Entre Djent pour les plus feignants et Metal extrême technique pour les amoureux de la formule, STENGAH navigue à vue, se permet des allusions multiples au Post Metal, au Death technique et progressif, au Metalcore le moins lénifiant, et développe de beaux arguments qui maintiennent en haleine pendant près de cinquante minutes. Si le fil rouge est assez facile à suivre en se calant sur cette rythmique mouvante et fluide, le reste des aventures est beaucoup plus dense que ce que les premiers morceaux laissent augurer. En effet, entre cette base instrumentale en équilibre constant dans la difficulté et ce chant hurlé digne des plus grandes années du Death moderne, on pense irrémédiablement à quelques références, dont PERIPHERY et MESHUGGAH sont les plus évidentes.
GOJIRA peut éventuellement être cité dans un désir de complétude, mais ne vous leurrez pas : STENGAH est déjà STENGAH, une personnalité affirmée et une identité forte, et un morceau aussi dense et touffu que « Message in Memories » vous en convaincra sans peine. A la rigueur, les plus effrontés des journalistes pourront parler sans avoir l’air ridicule de Post-Djent, bien que l’étiquette fasse sourire. Mais ce désir de mettre la technique au service de la musicalité et de la brutalité témoigne d’un esprit frondeur et d’une confiance en soi absolue.
Technique, mais pas démonstration. Les musiciens ne sont pas là pour se faire cirer les pompes, et sont totalement conscients de leur potentiel. Alors, les riffs taillés au biseau, les attaques en staccato chirurgicales, et les mélodies éthérées comme il se doit dans un univers Post évitent la redondance de solfège, et il se dégage un parfum viscéral de ces chansons qui sonnent comme telles. Et au final, on en vient à oublier tout classement ou rangement sur les étagères tant les lillois louvoient et évitent les trous de catégorisation trop fermes.
« Weavering » en intro ne sera pas sans évoquer aux plus anciens la fameuse entame de « Hit the Lights » de qui vous savez, et autant prendre cette allusion pour une preuve d’amour. On y sent aussi les orchestrations du sieur Devin Townsend, et parfois l’énergie développée par le quintet est en effet sous perfusion STRAPPING YOUNG LAD, sans évidemment en atteindre les sommets de bestialité mécanique. L’ombre d’un DREAM THEATER des jeunes années plane aussi très bas sur « At the Behest of Origins », ainsi que le spectre d’un TOOL méchamment réveillé d’un rêve spatial, soit la quintessence de ceux qui osent défricher au risque de se planter ou de passer pour des élitistes pédants.
STENGAH se situe donc en convergence de toutes ces références, mais offre quelque chose de plus qu’un simple résumé. Un sentiment d’urgence et de rage, que les passages les plus marqués par le Death moderne accentuent.
Difficile de mettre en avant tel ou tel chapitre tant ils forment un tout indissociable. Il est possible - à la rigueur - de remarquer quelques prouesses personnelles, et quelques instants de furie maitrisée, sur « Lumen » par exemple, qui envoie les 100k en façade pour éblouir l’audience. Chaque morceau déborde d’idées inventives, d’accents différents, de citations dans le texte de genres externes (« Blank Masses Inheritance » peut évoquer un HYPNO5E moins porté sur les voyages et plus sur les émotions sédentaires), et au final, on se laisse embarquer dans un voyage extraordinaire qui brave les frontières et les éléments.
Les quelques redondances rythmiques, les quelques plans replacés avec plus ou moins de flair ne constituent pas des entraves, et le culot et la confiance ont tôt fait d’effacer les derniers doutes. Alors, si le MESHUGGAH de Destroy Erase Improve est votre tasse de fuel, noyez-vous dans ce Soma Sema qui en est un proche cousin, sans avoir trop d’ADN en commun.
Et rendez-vous très bientôt sur la mainstage 2 du Hellfest pour une confrontation live. Je sens qu’on va moins faire les malins.
Titres de l’album :
01. Weavering
02. At the Behest of Origins
03. Above Inhumanity
04. Swoon
05. Lumen
06. Message in Memories
07. Blank Masses Inheritance
08. He and the Sea
09. The Overman
10. Offering
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