Stance I

Ain

15/11/2018

Pest Productions

Difficile aujourd'hui de faire la différence entre un album de BM et un album de Post BM, les deux genres se confondant de plus en plus au niveau de l'approche stylistique, et les deux se permettant souvent n'importe quoi via deux attitudes radicalement opposées. Si l'on sait le BM âpre, rude, sans concessions, parfois tellement lo-fi qu'on a du mal à discerner ce que l'on écoute, on connaît aussi les travers du Post qui de temps à autres sombre dans la contemplation la plus stérile, réfutant de fait toute affiliation avec les origines, au point de sonner presque aussi Ambient qu'un album de John Cale produit par SOPOR AETERNUS. Et si le BM lo-fi m'ennuie autant qu'une rétrospective de Thalassa consacrée aux côtes bretonnes, le Post elliptique et métaphorique provoque en moi des envies d'ailleurs immédiates, pour échapper à ces bavardages inutiles sous caution artistique d'arpèges fielleux et de faux crescendos soporifiques. Alors, est-il encore utile de nos jours d'essayer de faire la différence entre les deux, dès lors que des groupes sortent du contexte BM pour innover, et que des ensembles estampillés Post se rapprochent justement des racines pour ne pas être mis au ban ? Et de fait, que peut-on décrire comme étant du Post sachant que ce préfixe signifie un peu tout et n'importe quoi ? Dans le cas des AÎN, la problématique se pose, même si quelques indices nous laissent à penser que le quintette ne pourra jamais vraiment être rattaché au courant BM tel que nous l'avons connu. Le souci étant que le fond de leur musique reste ancré dans une tradition de violence assumée, et que les conclusions se brouillent. D'ailleurs, leur premier LP est d'une complexité telle qu'on préfère en amont abandonner toute prétention de catégorisation, pour apprécier la musique en elle-même, ce qui est la seule façon d'aborder un travail riche et dense qui mérite beaucoup mieux que des étiquettes ne voulant rien dire.

Venant de Metz, l'entité AÎN est de celles mystérieuses qui peuplent l'underground national. Né aux alentours de 2014, le quintet a respecté les étapes et a d'abord proposé une démo d'introduction (Aîn, qui a obtenu de très bons échos sur la toile), avant de lâcher un live parfaitement inattendu (Live in Minsk 2014) la même année 2015. Et après trois années de silence, les cinq musiciens (C.VII - chant, N.XIII - guitare noire, V.I - batterie, E.IV - guitare blanche et T.XII – basse) osent enfin pratiquer le format long, pour ce qui pourrait être défini comme un véritable coup de maître, tant Stance I dépasse tous les clivages pour se poser en point de jonction entre le BM le moins complaisant et le Post le plus inspirant, utilisant les mélodies comme telles et non comme simple support à des digressions interminables. Et malgré la longueur affichée des morceaux qui dépassent souvent les sept ou huit minutes, il n'est nullement question ici de gloser dans le vide, puisque chaque seconde est employée à proposer des plans créatifs, des idées valides, et des progressions hypnotiques, et en gros, incarner tout ce que le Post BM peut représenter de plus libre et intelligent. A tel point qu'on aurait pu retrouver le groupe au catalogue des fameux Acteurs de l'Ombre, qui à n'en point douter se seraient satisfaits de cette musique pleine, fertile, aux contours un peu flous et aux circonvolutions arrondies, bien que la trame même reste terriblement âpre, acide, sans pitié, et pleinement consacrée à une violence de ton que les harmonies distillées ne parviennent pas vraiment à atténuer. Dès lors, il devient assez difficile de situer les messins sur une carte du Post, puisque les comparaisons habituelles deviennent caduques, et ainsi, les sempiternels ALCEST, AGALLOCH, WOLVES IN THE THRONE ROOM et autres DEAFHEAVEN ne deviennent que des balises imprécises qui risquent plus de perdre l'auditeur éventuel que de le guider sur la bonne piste, même si des accointances avec les récents BLURR THROWER pourraient représenter un point d'ancrage utile, notamment pour cette alternance de passages vraiment écrasants et de longs crescendos qui animent la plupart des pistes de ce Stance I.

Et en partant d'une définition précise, la stance étant en poésie un nombre défini de vers comprenant un sens parfait et arrangé d’une manière particulière, cette suite de morceaux découpée en chapitres anonymes peut s'apparenter à une gigantesque poésie sombre, entièrement dédiée à un occultisme artistique qui déteint sur la composition même. Si les guitares sont omniprésentes, et la plupart du temps distordues à l'extrême (ce qui permet aux AÎN de se distinguer de leurs homologues qui le plus souvent modulent et atténuent leur puissance), elles n'en concèdent pas moins quelques pauses plus calmes, pour développer des climats et travailler des ambiances, qui servent le propos et qui ne sont pas que de simples ornements mélodiques plus ou moins pertinents. Car si chaque entrée est d'une longueur plus que respectable (un seul morceau de cinq minutes et deux dépassant les huit et neuf), aucune idée ne semble parachutée par hasard, et l'agencement respecte une logique s'insérant à la perfection dans une histoire globale, nous entraînant dans un voyage aux confins des frontières, un peu comme un purgatoire BM qui hésite encore entre des enfers terribles et un paradis pas vraiment mérité. On sent en filigrane une attraction indéniable éprouvée envers le BM scandinave des origines, mais aussi une volonté de s'extirper d'un carcan trop restrictif, pour imposer des pistes moins évidentes, conclusion tangible dès les premiers morceaux. Ainsi, « II », après une intro courte mais réussie nous plonge directement dans les débats en diffusant un BM intense, fouillé, aux riffs inextricables mais à l'évolution redoutablement intelligente, entremêlant des inserts acides à une structure d'ensemble cohérente, et surtout, incroyablement véhémente. Le chant très rauque et presque scandé confère une théâtralité qui n'est pas sans rappeler les ULVER, sans qu’AÎN ne se fonde dans un mouvement précis, et les ellipses harmoniques créent une sensation d'oppression, transformant une simple pièce musicale en messe noire artistique, et non religieuse. Le tout est donc éminemment créatif, bouillonnant d'idées, même lorsque le chronomètre oublie de stopper sa course, ce qui est souvent le cas.

Le premier segment à jouer la montre est l'impressionnant « IV », qui se traîne le long d'un Doom mélodique nostalgique, réfutant tout de même les philosophies Blackgaze et DSBM, en laissant par devers les mélodies les plus complaisantes. Une basse omniprésente et ronde lie le tout et cimente les relations entre les guitares et la batterie, qui sans en faire trop propose des figures pertinentes, et on retrouve plus ou moins cette approche sur « VII », qui utilise les mêmes codes sans sombrer dans la redite en plaçant quelques accélérations sur le passage. Et si tous les titres semblent reliés par une inspiration cohérente, ils n'hésitent pourtant pas à se différencier d'un plan un peu moins prévisible, osant parfois l'écart le plus total, spécialement sur le final homérique « IX », qui modifie les riffs pour les rendre presque mémorisables, sans se départir de ce lyrisme morbide qui nous ramène à la création même, celle des HELLHAMMER et de la période la plus lourde de BATHORY. Mais il convient d'y voir un hommage inconscient plus qu'un rappel, puisque les messins peuvent se targuer de n'appartenir à aucune école de pensée si ce n'est la leur. Quelques arrangements épars achèvent de transformer ce premier album en aventure de ténèbres, et on finit par comprendre que Stance I est de cette catégorie de travaux inclassables, quoique loin de l'avant-garde la plus condescendante. Du BM qui se peut Post, du Post qui reste accroché aux dogmes BM, un trait d'union en somme, pour une somme de travail impressionnante qui justifie une réputation déjà bien établie.   

     

Titres de l'album :

                           1.I

                           2.II

                           3.III

                           4.IV

                           5.V

                           6.VI   

                           7.VII

                           8.VIII

                           9.IX

Facebook officiel

Bandcamp officiel 


par mortne2001 le 08/02/2019 à 17:23
85 %    1195

Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


Greg
@109.217.189.50
21/09/2019, 18:46:39
Vraiment très bonne chronique qui m'a donné envie de redécouvrir ce magnifique album.

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Voyage au centre de la scène : BLOODY RITUAL

Jus de cadavre 17/03/2024

Vidéos

Crisix + Dead Winds

RBD 20/02/2024

Live Report

Abbath + Toxic Holocaust + Hellripper

RBD 21/01/2024

Live Report

1984

mortne2001 10/01/2024

From the past

SÉLECTION METALNEWS 2023 / Bonne année 2024 !

Jus de cadavre 01/01/2024

Interview
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
DPD

Tant mieux pour ceux qui aiment moi ils me font chier avec cette fétichisation du metal old school.

18/03/2024, 17:37

stench

J'aime bien le principe de réenregistrer des classiques pour voir ce que ca donne avec un son actuel. Le problème est double ici : réenregistrer des morceaux récents n'a que peu d'intérêt, et surtout en me basant sur le titre mis en é(...)

18/03/2024, 13:13

Gargan

Oui, et non. Dans le sens que s'ils veulent vendre leur compile qui sent très fort le réchauffé, il vaut mieux qu'ils écoutent un minimum la base de fans qui seraient potentiellement intéressés par l'objet (et ils ne sont pas Maiden qui peu(...)

18/03/2024, 08:05

pierre-2

Pourquoi tout ce venin ???Y font ce qu'ils veulent non ?

17/03/2024, 14:26

Fran

J ai adoré ce film qui m'a fait connaître ce groupe. Depuis je me repasse  leurs tubes.

17/03/2024, 14:07

Nounours dit grizzly le magnifique

J’ai pris la version cd version digipack plutôt que le vinyle car il y avait 3 titres bonus .trop tôt pour donner un avis mais je ne m’ennuie pas, sans être transcendant mais on peut pas exigeant avec ce groupe et une telle carrière. Cela dit il fai(...)

16/03/2024, 11:55

Sphincter Desecrator

UHL: un groupe qui, quand il n'est pas là, manque.Désolé...

14/03/2024, 19:31

Humungus

Bon...Pour l'instant, je ne l'ai écouté qu'une seule fois...Mais dans l'ensemble, j'ai été quelque peu déçu.La faute à un côté Power bien trop présent tout au long de l'album.

13/03/2024, 07:24

Désanusseur de mère

groupe de petites gauchiasses qui crisent si on n'emploie pas le bon pronom. FOUR

13/03/2024, 06:17

jo666

ça a l'air bien ce truc, en plus ils passent en mai à Grrrrnd Zero (69)

12/03/2024, 14:33

Cupcake Vanille

Vraiment une bien triste nouvelle...  RIP Blake 

12/03/2024, 08:25

MV

Sympa la fowce <3 

11/03/2024, 18:24

LeMoustre

Commande faite direct au label.Hâte d'écouter les nouvelles versions de The Song of Red Sonja ou The Thing in the Crypt.Meilleure nouvelle de la semaine,Merci pour la chronique en plus hyper favorable 

11/03/2024, 15:32

LeMoustre

Terrible.Déjà que le EP envoyait sévère dans la veine Wotan, early Blind Guardian ou Manowar, voici l'album !Achat obligatoire

11/03/2024, 14:55

senior canardo

toujours pas de Phobia à l'affiche.... j'y ai cru pour les 25 ans et tout  ...

11/03/2024, 07:39

LeMoustre

Miam

08/03/2024, 14:22

Seb

Titre ultra-classique, mais c'est bon !

08/03/2024, 11:23

Gargan

Plus de 400 bpm pur le deuxième extrait ? Pas hyper convaincu mais ça reste tout de même impressionnant par moments ! &nb(...)

08/03/2024, 06:03

Saddam Mustaine

Jay Weinberg remplace dans ce groupe le mec qui est parti dans un autre groupe remplacer le mec qui est parti pour le remplacer dans son ancien groupe.Clair.

07/03/2024, 18:37

Buck Dancer

Le mercato des batteurs

07/03/2024, 13:08