The Fall

Tiny Fingers

02/11/2016

Pelagic Records

Le Post Rock aurait-il encore des choses à dire alors qu’on le croyait vidé de sa substance depuis longtemps ? Certains se posent la question, les mêmes pourtant qui chroniquent les fabuleux travaux de THE OCEAN, de MONO, de THE SHAKING SENSATIONS et dans une moindre mesure, ceux d’HYPNO5E ou de CULT OF LUNA.

Sont-ce des groupes exsangues selon vous, piochant péniblement dans le passé collectif de quoi brosser un tableau d’avenir confondant de déjà-vu ?

Je n’en ai pourtant pas l’impression…

L’écurie Pelagic Records est sans doute encore là pour démontrer que cette musique affranchie de tout parrainage a encore une pertinence artistique indéniable, et il n’est donc pas étonnant de retrouver dans leur catalogue en réédition CD/LP le cinquième album des TINY FINGERS, récupéré d’une première édition chez Anova Music en 2015. Pour l’occasion, et un peu comme d’habitude, Pelagic a mis les petits plats dans les grands avec une superbe édition digipack ainsi qu’un vinyle, mais bien évidemment, c’est le contenu qui compte et non le contenant, et à l’image de leurs partenaires de label HYPNO5E et MONO, les TINY FINGERS se servent de leur voyages intérieurs et autour du globe pour nourrir leur musique et leurs histoires, comme le démontre ce formidable The Fall, qui en guise de chute, représente plutôt une ascension vers les hauteurs vertigineuses de la conscience et de la perception.

Et comme tout périple interne/externe transposé en musique, The Fall s’articule autour de pulsions, de pulsations, de courses en avant et de pauses, alternant les longues plages pluriforme et les courts instants de fulgurances oniriques ou concrètes. En optant évidemment pour le format instrumental, les Israéliens n’ont pas choisi la facilité, mais respectent les codes du genre qui n’admet que très peu d’incarnations vocales, pour laisser la musique devenir expression brute et ultime.

Enregistré en 2014 aux Anovia studios et couché sur bande l’année suivante, ce cinquième voyage de TINY FINGERS révèle au contraire de grands doigts agiles, qui s’agitent et parcourent les manches de guitares, de basse, les touches de claviers et les percussions subtiles et flottantes.

Difficile de ne pas se laisser envouter par ces mélodies ciselées agitées de soubresauts d’arrangements électroniques, qui en presque une heure de périple accomplissent le tour de force de se montrer aussi diversifiées que complémentaires. Mais là est justement la magie provoquée par les plus grands groupes de Post Rock, de ceux qui savent éviter l’écueil de la contemplation pour voguer sur des océans d’inspiration.

Il faut dire que le quatuor (Oren Ben David – Guitare,  Boaz Bentur – Basse, Tal Cohen – batterie et Nimrod Bar – claviers et synthés) ne s’est posé aucune limite comme il ne tolère aucune frontière. On retrouve leur ADN dans chaque note dispensée, même si certains agencements font fortement penser aux ZEUS pour leur élasticité rythmique distordue, à THE OCEAN dans les instants les plus admiratifs (« 9 Of Swords »), et même parfois aux SWANS les plus récents lorsque le timing étiré permet quelques redondances hypnotiques prenantes.

En gros, vous l’aurez compris, The Fall est une synthèse personnelle qui pourtant rend hommage aux plus grandes figures, sans se départir de cette dualité entre un intimisme flagrant et une « mondialisation musicale » fascinante.

En l’état, nous assistons à un flux/reflux d’émotions, spécialement appréhendable sur de longues digressions comme « Drops », telles des vagues venant mourir sur la grève avant de revivre au large. Les guitares explorent toutes les possibilités d’émotions possibles, égrenant des arpèges de songes en son clair soutenus par une basse traitée et un piano mélancolique, ou en répandant quelques notes qui s’évaporent, portée par des pulsations rythmiques complexes et pourtant si souples.

L’intimisme subtilement inquiétant sait aussi se faire sa place, comme le démontre le sombre et nuancé « Deuteronomy », qui profite d’une section rythmique irrégulière pour disperser dans l’air quelques harmonies décharnées et floues, comme la BO d’un film qui soudain fait place à l’action d’un Rock progressif débarrassé de toute prétention technique.

Au rayon de ces longues errances, « Dispatcher » affirme aussi la singularité, laissant sa basse rebondir et onduler comme un oscilloscope, tandis que des guitares en écho de The Edge profitent d’un créneau très ouvert, offrant ainsi une progression dans un univers aussi opaque que limpide. Rappelant autant les imbrications progressives des années 70 que les expérimentations Post Wave des années 80 (sans jamais tomber dans la même rigidité distante et froide), ce morceau est l’épiphanie ultime d’un disque qui se termine quand même par une dernière narration étendue…Les strates de son agissent comme autant de chœurs déshumanisés, comme des voix robotiques nous avertissant d’un avenir que l’on doit autant craindre qu’espérer.

Dès lors, « Music For The Sun » a beau jeu d’énoncer son message ensoleillé, amorcée par des rais de guitare délicate, qui une fois de plus partent en solo pour finir par devenir partie d’un tout, indivisible et pourtant assemblé de sons aussi indépendants que fuyants.

On pense à PINK FLOYD, de transition entre Meddle et pas encore fixé sur la face cachée de la lune, mis à part que les TINY FINGERS ne se laissent pas envouter par un motif unique, et multiplient les interprétations, en osant des cassures fluides qui s’intègrent parfaitement aux hallucinations éveillées.

Les morceaux les plus courts offrent un surplus d’énergie, à l’instar de ce « Eyes Of Gold », qui ose le mixage entre un HAWKWIND moderne et un MORPHINE débarrassé de son chant hésitant, le tout sous la direction artistique d’un VATTNET VISKAR, ou de « The Other », qui percute son intro comme un RATM stellaire, avant de tenter un Big Beat appuyé et presque Dub assez déconcertant. 

« Traveller Soul » ose même une certaine forme de violence, et fricotte avec les PRODIGY passés en subliminal, toujours avec ces sons graves se disputant l’avant-plan avec des nappes claires et ondulantes, qui se fraient un chemin dans les arrangements mouvants hérités des boucles des 60’s, celles-là même que les BEATLES utilisaient avec fascination.

The Fall, en fin de compte, est une chute. Celle des observateurs externes qui pensaient le Post Rock à l’agonie, et qui prouve encore qu’il est plus vivant que la plupart des styles qu’il fustige inconsciemment. C’est un album aussi vivant que ne le sont ses musiciens, qui refusent le cloisonnement, et arpentent les chemins du monde en en ramenant les sons les plus intimes, les plus ouverts, les plus fantastiques.

 Un album qui se respire pour un groupe qui inspire, et une preuve de plus que lorsque le Post est traité comme un moyen et non un but, il se permet d’être plus créatif et efficace que n’importe quelle tentative expérimentale bancale.


Titres de l'album:

  1. The Fall
  2. Eyes of Gold
  3. Traveller Soul
  4. Deuteronomy
  5. Drops
  6. The Other
  7. 9 of Swords
  8. Dispatcher
  9. Music For The Sun

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 05/02/2017 à 14:17
80 %    1164

Commentaires (0) | Ajouter un commentaire

pas de commentaire enregistré

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Midnight + Cyclone + High Command // Paris

Mold_Putrefaction 24/04/2024

Live Report

DIONYSIAQUE + JADE @La Chaouée

Simony 23/04/2024

Live Report

Enslaved + Svalbard + Wayfarer

RBD 20/03/2024

Live Report

Voyage au centre de la scène : BLOODY RITUAL

Jus de cadavre 17/03/2024

Vidéos

Crisix + Dead Winds

RBD 20/02/2024

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Humungus

Putain !Si j'avais été au jus de cette date, j'aurai fait le déplacement boudiou...Pis je vois que tu causes de BARABBAS à Nancy ?!Et c'est... ... ... Ce soir.Re-Putain !

25/04/2024, 13:28

Tut tut!

25/04/2024, 12:44

Gargan

ça me fait penser à moi ivre mort parodiant Maurice Bejart, sur fond de Stravinski. Plus glucose, tu meurs. Mauriiiiice !

25/04/2024, 10:28

DPD

Mes confuses malgré mon instinct qui tapait dans le juste, rien avoir avec le gaillard à qui je pensais.

24/04/2024, 14:26

RBD

Vu récemment avec Napalm Death, et ça faisait plaisir de voir que beaucoup de gens connaissent leur Histoire du Death Metal car il y avait de vrais fans. Surtout, la formule D-Beat basique et efficace du père Speckmann fonctionne bien en live 

23/04/2024, 09:55

LeMoustre

Excellent disque avec un gros point fort sur le riffing atomique. La pochette m'évoque clairement celle de Nothingface, version bio-mécanique

22/04/2024, 18:04

Arioch91

Ca fleure bon le vieux Kreator période Pleasure to Kill ! Prod' crade, aux antipodes des trucs surproduits de certains groupes et quand ça speede, ça rigole pas.

21/04/2024, 19:52

Poderosos/Magnificencia/Técnica Suprema

Los Maestros del BRUTAL DEATH GRIND

21/04/2024, 19:50

Pomah

+1 Gargan, influence Mgla je trouve par moment. 

21/04/2024, 09:20

Jus de cadavre

Là clairement le label est dans son droit à 100%. Warner a racheté l'ancien label de Kickback, ils en font ce qu'ils veulent du catalogue. Après, l'élégance, une telle multinationale elle s'en beurre la raie. Mais je peux comprendre qu(...)

20/04/2024, 23:36

Tourista

Mouiii, pas faux. Les gonzes ont signé.Mais ça me rappelle Peter Steele qui avait voulu défenestrer un type dans les bureaux de Roadrunner après avoir découvert que le label ressortait les albums de Ca(...)

20/04/2024, 20:06

Tourista

Devinez où il se Lemmy. (ne me raccompagnez pas, je sors tout seul)

20/04/2024, 19:58

Grosse pute

Attention, les mecs ne se font pas "enfler". C'est juste que Warner ne leur a pas demandé leur avis pour rééditer le bazar et les mecs parlent donc d'édition pirate, alors que Warner a bien les droits sur le disque. Après, Kickback, ce ne son(...)

20/04/2024, 06:26

Tourista

Désolé pour les coquilles monstrueuses.  Merci la saisie automatique.

19/04/2024, 20:51

Tourista

Non bien sûr je plaisantais, M'sieur Heaulme. Un artiste qui se fait enfler a mille fois raison d'en parler !   Et je sais malheureusement de quoi je parle.Respect pour Kickback. Content que tu les pu voir ce docu.

19/04/2024, 18:08

Humungus

@Tourista :- "On s'en cogne"Bah non...- Tu t'es achement bien rattrapé avec ce docu qui était totalement passé à côté de mes radars.Exceptionnel.C'est pas C8 qui passerait ça bordel...

19/04/2024, 15:54

grosse pute

Au lieu d'aller baiser des gamines et des ladyboys à Bangkok, Stephan aurait dû apprendre à lire les contrats qu'il signe.

19/04/2024, 15:20

Humungus

Ouhlala miam miam !!! !!!! !!!

19/04/2024, 10:35

Tourista

Désolé, c'est bien SODOM et non....   Putain de correcteur !  

19/04/2024, 07:52

Tourista

On s'en cogne.   Non j'en profite juste pour dire à ceux qui ne l'auraient pas encor(...)

19/04/2024, 07:52