En regardant cette pochette simple au graphisme attirant l’œil, je n’ai pu m’empêcher de penser à La Maison de Poupée d’Henrik Ibsen, et pas seulement parce qu’il est norvégien, comme la maison de disques abritant les musiciens du jour. Mais une maison de poupée différente de cette utilisée comme métaphore par le dramaturge nordique, une sorte de démarcation horrifique d’une société patriarcale à l’agonie (ou je l’espère), ou peut-être une simple transposition dans un univers fantasmagorique ou les délires des instrumentistes prendraient corps autour d’une histoire d’émancipation…des genres. Après tout, les frontières entre les genres n’ont-elles pas tendance à se brouiller et s’éclaircir à la fois depuis quelques années ? Il n’est alors pas surprenant de constater que la distorsion de ces valeurs s’applique aussi dans ce contexte artistique que les anglais de THE OSIRIS CLUB prônent depuis leurs débuts…Car ce groupe d’iconoclastes inclassable n’a jamais été réputé pour jouer la franchise d’une approche linéaire, lui préférant le mélange des époques, et la révérence des courants qui ont muté et se sont complétés au fil du temps. De fondements progressifs hérités des grands défricheurs des années 70 (GENESIS, YES, KING CRIMSON), à la vague Post-Punk eighties des BANSHEES, de PIL, ou des BAUHAUS pourquoi pas, en passant par le radicalisme faussement cru des 90’s, ils sont arrivés à un genre de crossover improbable ne tenant finalement d’aucun de ces mouvements, et de tous en même temps. Mais ce second LP, arrivant à temps pour les replacer sous les feux de l’actualité, on retient une approche plus abordable, et surtout, l’entérinement d’un abandon de l’instrumental au profit de structures plus classiques et chantées qui leur sied à merveille. Presque Pop par moment, résolument Rock pourtant en arrière-plan, mais ni l’un ni l’autre dans les faits, ce The Wine-Dark Sea qui succède au très remarqué The Blazing World publié il y a déjà quatre ans saura séduire un nouveau public avide d’assimilation et de tolérance au sein d’un contexte tellement varié qu’il en devient fugace.
En préambule, rappelons que THE OSIRIS CLUB est un quintette émergeant d’une réalité parallèle (Fullard -guitare/synthé, Prestidge - batterie, synthé, Oakes - chant, Cooper - chant, et Reutt - guitare), dont certains membres proviennent de références aussi solides qu’ANGEL WITCH, WINTERS, ELECTRIC WIZARD ou ZOLTAN, et que leur premier album m’avait salement remué dans son désir d’adoucir par la musique des obsessions pour la littérature et le cinéma d’horreur. En choisissant une fois de plus de se concentrer sur l’œuvre d’auteurs comme Robert Aickman ou H.P. Lovecraft, les anglais ont fait le bon choix, et confèrent à leur musique unique une aura assez pénétrante et fascinante, prolongeant de fait leurs travaux initiaux qui avaient trouvé dans ma perception un écho plus que favorable. J’avais cru déceler dans leur premier effort des réminiscences assez marquantes de VOÏVOD, RUSH, KING CRIMSON, des CARDIACS et même des GOBLIN, et la donne n’a pas trop changé, même si l’empreinte de ce The Wine-Dark Sea nous oriente parfois sur les traces d’un KILLING JOKE de transition (« Mausoleum », à tel point que les nappes vocales paient leur tribut aux incarnations faussement douces de Jaz Coleman). Il est même assez lucide de voir en leur art, par petites touches, des associations incongrues entre la scène arty New-Wave des 80’s et les nuances Post-Grunge des 90’s (la dualité SMASHING PUMPKINS/NERVES de « The Signal », toute en tension retenue mais en mélancolie faussement rassurante), lorsque les morceaux se contentent d’un format concentré, tandis que les tentatives les plus élargies restent plus complexes à analyser, et offrent des éléments psychédéliques à charge, progressif à décharge, et même dansants lorsque l’occasion se présente (« Running The Changes », qui trace le sillon de la vague Néo Vintage des NIGHT FLIGHT ORCHESTRA au sein d’une voie diplomatique Horrifico-Progressive à la Keith Emerson/KING CRIMSON). Mais les THE OSIRIS CLUB n’ont pas renoncé pour autant à leurs obsessions macabres, comme le démontre le triptyque final « A Winters Night On Sentinal Hill », se satisfaisant très bien d’une adaptation personnelle et musicale du conte gothique Dunwich Horror de Lovecraft. Et dans cette science occulte adaptée de critères de musicalité anciens, le collectif trouve toute son ampleur Doom, parvenant à réactualiser des thèmes purement seventies (parties de guitare acides, chant invocateur en arrière-plan, et assemblage inextricable de motifs antagonistes et complémentaires, un peu comme si la cour du roi cramoisi se voyait délocalisée dans le Birmingham de BLACK SABBATH), pour les transformer en histoire contemporaine, à la production certes cachetée de cire, mais à l’inspiration individuelle qui nous laisse déambuler dans les couloirs exigus de leur psyché torturée.
Lâchant parfois leurs classiques fantastiques, les anglais se concentrent volontiers sur un univers plus poétique dans l’absolu, et se permettent de transposer la faction comique de leur imaginaire en nous narrant les aventures de Gustav Strobl, du comics Hellboy. Le personnage se retrouve embrumé par des prétentions modulées, qui ne tiennent ni du Rock à proprement parler, ni du Post Rock pourtant suggéré, mais qui sifflote une harmonie déformée, comme le miroir d’une Alice qui ne chercherait plus à rattraper le temps, mais bien à le perdre encore plus. On pense à une version très libre des travaux de YES, coincé dans une bulle aux parois transparentes mais à la solidité éprouvée, confirmant cette passion pour la scène Progressive des glorieuses années de Canterburry, mais cette assertion est régulièrement portée en faux par des directions contraires, à l’image de ce sautillant « The Hopeless Distance », qui a le culot d’insérer avec douceur une guitare à la Billy Corgan dans un contexte de guitares carillonnantes expatriées d’Athens ou de Californie. Complétude et variété donc, pour une carrière qui suit son propre chemin et créé ses propres possibilités, sans se soucier d’une quelconque cohérence de propos, mais qui offre quand même une solide cohésion de création. On danse, on chantonne, on se perd dans des rêves horribles qui finalement restent assez attrayants, et si la distorsion se fait la plupart du temps discrète et adoucie, aidée en cela par une production hors du temps mais soignée, sa puissance attendue est substituée par une densité de composition qui empile les couches pour mieux occuper l’espace, et dessiner un décor riche et aux détails travaillés.
Il apparaît donc évident que The Wine-Dark Sea et son concept en gigogne a de quoi rappeler cette fameuse maison de poupée décrite par Ibsen, en troquant l’émancipation féminine par un désir d’affranchissement artistique. Impossible pour les anglais d’accepter le sort d’un quelconque conformisme, et si leur bric-à-brac ressemble parfois à un jouet un peu encombré par les accessoires, il prend vite la forme d’un fourre-tout génial ou chaque chose à sa place et dans lequel il y a de la place pour chaque chose. Un disque qu’on découvre et redécouvre à chaque écoute, et qui réconcilie les époques dans un ballet étourdissant de virtuosité et de liberté. Une musique qu’on écoute et qu’on ressent, sans chercher à la comprendre, même si quelques ficelles sont discernables derrière le brouillard de fumée. Et plus simplement une réussite de plus pour les THE OSIRIS CLUB qui séduiront encore les plus ouverts, tout en laissant les plus obtus plongés dans un doute tenace. Mais tel est le prix du libre arbitre.
Titres de l'album:
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