Je crois que c’est la bonne période pour retrouver EYEHATEGOD. D’abord, parce que nous avons de bonnes raisons de haïr Dieu, et donc nous-mêmes. Ensuite, parce qu’un nouvel album du groupe sortant en plein chaos pandémique est une sacrée coïncidence qui n’en est pas une. Et puis, dernier point, sept ans depuis le dernier album éponyme suffisent largement pour que le groupe nous ai vraiment manqué. Alors, Bower et Mike ont remis le couvert, et Williams semble avoir laissé derrière lui ses ennuis de santé et son foie malade. Mais tous ces éléments constituaient le terreau fertile pour revenir plus remontés et désabusés que jamais sur l’humanité, alors, nous attendions beaucoup de ce A History of Nomadic Behavior, et son titre en pied de nez faisant référence à une époque pour le moment révolu de nos existences. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à la sédentarité, et nous devons apprécier ce qui est juste sous nos yeux. Et qui n’est pas forcément plus agréable que ce que l’on ne voit qu’avec les jumelles de l’esprit. Sept ans ont-ils calmé les ardeurs néfastes et les odeurs nauséabondes de la Nouvelle-Orléans ? Pas vraiment, puisque la musique du groupe est toujours aussi maladive, et que ses relents agressent toujours autant les naseaux.
Nous pouvions compter sur la haine viscérale de Mike pour nous libérer l’esprit de toute contrainte euphorique ou optimiste, et sur la guitare de plus en plus grasse de Jimmy pour nous coller au sol Sludge le plus poisseux du marché. Nombreux sont les groupes ayant tenté de suivre les traces des originaires de la Louisiane, mais jusqu’à présent, personne n’a eu le pas aussi lourd et le regard aussi torve. Et en dehors des consommations massives d’alcool et de produits plus ou moins licites, on constate que les tripes d’EYEHATEGOD sont toujours aussi pourries, et que leur musique est toujours aussi laxative. On tremble de peur, on chie de trouille, mais tout ça est aussi cathartique qu’une attrition forcée aux Dieux de la réalité, un flingue d’anormalité sur la tempe.
Enfermés dans les studios HighTower Recording et Hypercube, les mecs n’ont pas lésiné sur le nauséeux et l’oppressant. On en prend acte sur l’infect « Current Situation » qui dépeint avec acuité une période de trouble vraiment déprimante, via une armée de dissonances, de stridences, et de dégueulis vocal à faire cauchemarder le gros Phil Anselmo. Loin de DOWN, Jimmy retrouve ses riffs les plus gras et gros, et lâche la vapeur comme un train qui déraille. Et plus qu’un album de plus pour la carrière du groupe, plus qu’une étape supplémentaire sur le chemin de la non-rédemption, A History of Nomadic Behavior est un aveu en forme de postulat : EYEHATEGOD est la Nola, mouvement qu’il a défini dans les grandes et petites lignes, et incarne l’avant-garde du Sludge/Hardcore le plus violent et oppressant du marché, sans avoir à forcer, en recyclant les mêmes idées malsaines, mais en les remettant au goût d’un jour vicié et blasé.
Les nouvelles compositions ne proposent évidemment rien de neuf, le combo haïssant plus que tout la compromission et l’évolution. On retrouve donc sur ce sixième crachat le même son qu’on aimait tant sur les premiers albums du groupe, et ces chansons inimitables, interchangeables, mais qui laissent des haut-le-cœur après ingestion auditive. Gnole méchamment fermentée, A History of Nomadic Behavior permet à Mike de s’en mettre plein le gosier verbalement, et de régurgiter sa haine avec une imprécision diabolique dans le phrasé. Ses mots sont toujours aussi désabusés et cruels, mais sa voix reste unique dans le créneau. « Built Beneath The Lies » nous prend d’ailleurs de front avec son faux rythme et ses lyrics éructés d’un gosier abimé par le temps, mais régénéré par une santé nouvelle chèrement acquise. Alors, pas question pour Mike de s’extasier sur la beauté de l’existence, mais bien d’en dénoncer les désillusions et l’inéluctabilité. On va tous crever, alors à quoi bon faire semblant pour faire plaisir aux psychiatres et aux médecins ?
EYEHATEGOD se fout du virus, puisqu’il a toujours conçue la vie en tant que tel. Ce premier morceau entame donc les hostilités/retrouvailles avec l’habituel feedback, avant de sombrer dans les affres d’un Blues apocalyptique assez prophétique. Heavy comme personne d’autre ne peut l’être, et surtout pas BLACK SABBATH, EYEHATEGOD nous traîne dans les marais de la conscience et du je-m’en-foutisme avec une absence de classe totale, et éclabousse même notre âme de son fiel.
« The Outer Banks » poursuit sur la même voie de l’obscurantisme musical, en puisant dans le Doom de quoi faire avancer la locomotive. Une fois encore, Bower semble caler ses états d’âme sur les tonalités de ses riffs, et traîne sa misère comme tous les précurseurs conscients d’avoir atteint les limites depuis longtemps. Il y a encore une fois de tout pout tous les désaxés et les déracinés sur cet album, mais surtout, le poids de la terre porté par les épaules d’Atlas qui ressemble de plus en plus à un Achille aux pieds d’argile. Si les surprises éventuelles de nouvelles catastrophes sont évidemment nulles, nous retrouvons quand même avec plaisir le sadisme d’un groupe qui n’a jamais lâché l’affaire, et qui continue de jouer son style de prédilection avec toute la méchanceté lucide qu’on lui connaît. Mike, en voix, hurle comme une vieille sorcière, et rapproche encore l’ensemble d’un Hardcore vraiment maladif, comme si BLACK FLAG renaissait de ses cendres à la Nouvelle Orléans, pour découvrir un carnaval encore plus déprimant que celui du Hermosa Beach des années 82/83
Dans la Louisiane d’EYEHATEGOD, on n’offre pas des colliers aux femmes pour qu’elles montrent leur poitrine. On pisse sur leur cadavre retrouvé dans les swamps, sans se demander comment la mort a pu frapper. Parce qu’on s’en cogne, la mort étant partout, et même dans les recoins les plus lumineux et groovy (« The Day Felt Wrong », du SOUNDGARDEN passé au prisme de l’indifférence la plus totale envers la mélodie).
Alors, que dire de neuf qui n’ait déjà été écrit à propos des cinq premiers albums du groupe ? Rien évidemment, puisque d’autres s’en sont chargé avec plus de talent que moi. Essayer de persuader le fan extrême épisodique du caractère essentiel d’EYEHATEGOD, revient à tenter de convaincre un indécrottable optimiste que la vie n’est qu’un tas de fumier même pas fertile qui ne laisse pousser aucun espoir. Alors, après tout, je m’en branle que vous écoutiez cet album ou pas, puisque vous y êtes confrontés tous les jours.
Titres de l’album:
01. Built Beneath The Lies
02. The Outer Banks
03. Fake What's Yours
04. Three Black Eyes
05. Current Situation
06. High Risk Trigger
07. Anemic Robotic
08. The Day Felt Wrong
09. The Trial Of Johnny Cancer
10. Smoker's Piece
11. Circle Of Nerves
12. Every Thing, Every Day
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