Il y a quelques années (un paquet même), les SACRED REICH nous proposaient d’aller surfer au Nicaragua, ce qui pouvait paraître assez étrange au demeurant. Mais les américains possédaient-ils des informations par anticipation à ce moment-là ? Avaient-ils déjà connaissance d’un quatuor local qui allait secouer l’underground local sur ses fondations ? Personne n’en avait la moindre idée à l’époque, et finalement, il aura fallu attendre un peu plus d’une dizaine d’années pour en avoir la réponse.
Et celle-ci s’est présentée sous la forme d’un quatuor formé en 2002, du côté de Managua, qui n’a pas attendu longtemps pour nous livrer ses vues sur l’adaptation locale d’un Thrash assez étrange et diffus, aux confins d’un progressif ne sacrifiant pas l’efficacité à la précision.
Les SCHIZOID se permettent même aujourd’hui de nous proposer leur quatrième longue durée, toujours sans le soutien d’une structure, LP qui tient salement la route sans glisser sur une vague nostalgique quelconque.
Leur bio n’est pas des plus évidentes à trouver, à tel point que je n’ai pu glaner que quelques renseignements au hasard du Bandcamp et de la page Facebook du groupe.
Formé autour d’Alejandro Bolaños (guitare), Federico Peña (chant), Romel Rivera (basse) et Fellow Spook (batterie), SCHIZOID est un combo éminemment sympathique qui propose une musique plus complexe qu’il n’y parait, et qui pourrait s’apparenter à un Crossover assez intelligent, noyant le poisson Thrash mélodique dans un océan de Hardcore assez vivace.
Au vu du nombre de morceaux et du timing d’Evil Incarnate, on pourrait penser aux amis de MUNICIPAL WASTE et autres défenseurs d’une certaine fronde Thrashcore ludique et sympathique, et pourtant, le Thrash des nicaraguayens se veut massif et percutant, et beaucoup plus proche d’un NUCLEAR ASSAULT, d’un EXCEL ou surtout d’un FORBIDDEN, comparaison accentuée par les intonations très Russ Anderson de Federico Peña, dont le timbre rauque assez aigu nous ramène à l’époque de Forbidden Evil.
Musicalement, l’affaire est carrée, et basée sur un principe simple de Thrash féroce nuancée d’une approche assez technique, mais pas démonstrative. Après deux albums à proprement parler (Asylum en 2005 et Liver en 2013, soit un joli hiatus de huit ans), les SCHIZOID nous ont offert en 2017 une version instrumentale de Liver, ainsi qu’un EP acoustique et instrumental lui aussi, ABCh, avant de revenir sous des horizons beaucoup plus électriques, histoire de se ressourcer aux bases.
Et ça fonctionne, même si certaines pistes font preuve d’une linéarité assez prononcée. Mais cette critique mineure ne doit pas occulter la puissance ravageuse dont fait preuve le quatuor, et qui dynamise des titres faussement simples qui multiplient les riffs associés à des contretemps diaboliques, nous faisant rebondir sur des charbons ardents à la moindre occasion.
Disposant d’une production très honnête pour un LP bricolé en presque DIY (enregistrement aux studios Mosaico Audio Visual, production par Victor Marin / Jacobo Martinez, mix et mastering par Jacobo Martinez), Evil Incarnate nous permet donc de découvrir un pan de la scène extrême du Nicaragua, qui n’est pas la plus connue de l’underground d’Amérique centrale.
Cette découverte passe par une déviation des standards Thrash en vogue aux USA il y a une bonne vingtaine d’années, et se matérialise au travers de morceaux très courts fourmillant d’idées et de plans, qui s’ils s’abreuvent parfois à leur propre source, restent toujours percutants, et parfois, salement accrocheurs et multiples. Ainsi, « Tyrant » fait figure de véritable démonstration de force instrumentale (pas étonnant dès lors que le groupe affectionne ce format privé de chant), et accumule les parties sans risquer l’overdose, en misant à chaque fois sur le thème qui fait mouche, et nous impressionne autant qu’il nous percute de plein fouet.
Inévitablement, la rythmique turbine en arrière-plan, et reste inventive tout du long. Le son réservé à la paire basse/batterie est d’ailleurs très profond mais claquant, un peu comme une osmose entre la percussion du Thrash et la frappe sèche du Hardcore, sans tomber dans les clichés du Crossover trop éculé.
Pour être fidèle dans la description, Evil Incarnate est à l’image de sa pochette abstraite signée Alejandro Bolaños Davis, toile intitulée « l’âme », qui reflète assez bien son contenu, et qui pourtant garde une part importante de mystère. D’ailleurs, le premier morceau et intro « Conviction » ne dévoile pas grand-chose de la suite à venir, et préfère laisser des guitares volubiles distiller leurs harmonies complémentaires, tout en lâchant quelques saccades assez symptomatiques.
De même « Emperor » laisse encore un peu planer le doute d’un Heavy Metal mélodique, avant de rentrer de plein fouet dans les débats d’un Speed/Thrash féroce et superbement violent, porté par la paire Romel Rivera/ Fellow Spook qui empilent les contretemps et les breaks, pour propulser le chant de Fererico vers les paradis Thrash US.
« Phantom » ne change pas vraiment la donne, mais la confirme, et nous étourdit encore plus d’un ballet circulaire ininterrompu entre une guitare intenable et une basse dont la bride est tenue lâche. En prenant le parti de ne dépasser les trois minutes qu’une une seule occurrence, les SCHIZOID gardent la pression, et ne la lâchent qu’en partie sur le final « Lake », qui se montre pourtant encore plus opaque que tout ce qui l’a précédé. Les harmonies sont de plus en plus prononcées, et le tempo quasiment inexistant ne sert que d’accompagnement, pour une jolie vignette onirique qui nous emporte ailleurs.
Une ou deux transitions qui tombent pile et qui permettent de soigner l’ambiance (« Patriarch »), quelques thèmes rudes bien catchy qui rappellent même la vague Techno-Thrash américaine des années 80/90 (« Opposer », qui pourtant pourrait s’incruster dans le répertoire des AGNOSTIC FRONT), et une poignée de trouvailles unissant le chant à l’instrumental pour une compression qui vous laisse sur le flanc (« Harvest »), et le bilan se dessine largement positif, représentant une sacrée surprise pour un groupe qu’on a vu surgir de nulle part pour imposer sa patte.
Alors oui, vous pouvez surfer au Nicaragua, mais il y a beaucoup mieux à faire. Ecouter les groupes locaux par exemple qui vous montreront quelques figures libres avant de vous exploser la tête de leur Thrash incisif et mûr.
Et pas besoin de farter Evil Incarnate pour qu’il glisse mieux. Il est déjà préparé pour ça.
Titres de l'album:
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