Grand Oeuvre

Triste Terre

15/03/2019

Les Acteurs De L'ombre Productions

Je n’aime pas jouer les fans, et m’extasier sur l’ensemble d’une œuvre, ni faire la génuflexion face aux CEO de labels histoire de recevoir de jolis digipack, mais je dois reconnaître que je suis assez admiratif du flair dont fait preuve Gérald des Acteurs de l’Ombre. Il y a déjà quelques années que je suis son travail et ses signatures, et en 2019, l’homme nous réserve encore quelques surprises de taille, en nous proposant deux nouvelles références, HEAUME MORTAL et TRISTE TERRE, deux groupes encore une fois résolument à part et qui ne feront qu’enrichir son cheptel déjà bien garni. Mais qu’attendre de moins de la part d’une maison de disques qui nous a déjà offert AU-DESSUS, AORLHAC, REGARDE LES HOMMES TOMBER, PENITENCE ONIRIQUE ou MOONREICH ? Certes, l’audience type du label est constituée de fans de BM plus ouverts que la moyenne, mais totalement obsédés par la violence musicale érigée en art majeur, et le BM étant le sous-genre le plus riche de la musique extrême, la discographie des Acteurs est aussi homogène qu’elle n’est hétéroclite, et cette première sortie prévue pour le mois de mars le démontre avec une emphase toute particulière. Certes, Gérald en fait l’article, comme à chaque promotion, mais la confiance aveugle se substitue à la défiance dans son cas, ce que ce Grand Œuvre démontre de ses soixante-cinq minutes bien tassées en six morceaux seulement, dressant un pont entre toutes les rives du Black pour se poser en synthèse étrange d’un courant qui décidément, admet des limites de plus en plus floues. Le projet TRISTE TERRE est de ceux presque sortis de nulle part, et une fois encore, imaginé par un seul homme. Naâl, musicien très actif de la scène lyonnaise a donc enfin remisé son humilité au placard pour affirmer ses intentions, et accepte enfin la grandiloquence en version longue-durée pour marquer les esprits, après avoir publié un nombre conséquent d’œuvres courtes. Et c’est donc après trois EP et une compilation que l’homme honore sa signature sur Les Acteurs, en nous livrant un travail à la mystique sombre, sorte de labyrinthe d’émotions qui prennent leur temps pour s’imprégner en vous, et vous laisser pantois d’admiration, mais aussi de questionnement.

Secondé par le batteur de DEATHCODE SOCIETY, Naâl s’est une fois de plus chargé de la composition et de l’instrumentation, ne laissant que l’artwork aux mains de Marianne Plasse et ses sublimes gravures originales, l’enregistrement à Rob Carlson, le mix à Arnaud Menard et le mastering à Dave Otero. Et si le groupe aujourd’hui est prêt à affronter la scène, son essence même est toujours aussi solitaire, démontrant s’il le fallait encore tout le talent de ce musicien et créatif à l’imagination débordante, qui nous délivre ici une composition quasiment parfaite, loin du maniérisme de la scène Post-Black, et des turpitudes nihilistes de l’underground Raw Black. Mais autant le dire - ce que Gérald confirme avec beaucoup de lucidité - Grand Œuvre n’est pas un album facile à apprivoiser, d’autant plus que sa véritable richesse globale ne se découvre qu’avec le temps, les idées s’accumulant comme autant de gouttes de sang sur le parterre d’une scène de crime où la normalité agonise d’avoir été trop prisée. Se voulant aussi original que théâtral, ce premier long fait la part belle aux atmosphères, que l’auteur a eu le temps de déployer sur des morceaux atteignant ou dépassant largement les dix minutes. Mais ces dix minutes ou plus, loin d’être de simples prétextes à des débordements itératifs, donnent lieu à des vignettes horrifiques, des humeurs primales, et à un voyage aux confins des genres, espace-temps trouble où le Black, le Doom, le Post Black, le symphonique aussi parfois se croisent et se confondent pour mieux duper nos sens et les entraîner sur la voie de l’illusion narrative et mélodique. Car en dépit d’une intensité rarement atteinte à un niveau de technique pareil, Grand Œuvre ne rechigne pas à laisser une place conséquente aux mélodies torturées et aux harmonies maladives, ce que l’emploi d’un harmonium suggère de ses touches oniriques. Autre point notable, le travail accompli sur le chant, qui se partage entre deux approches différentes et complémentaires, tissant un canevas sonore en superposition qui confère aux compositions une profondeur lyrique dans l’absence de compromis. En restant précis dans la description, admettons que la direction globale choisie par Naâl pour TRISTE TERRE soit d’obédience atmosphériqueMalgré cet état de fait, il convient de préciser que le terme revêt ici un sens différent, puisque loin de se contenter de longues digressions monolithiques ou d’arrangements faciles et épars, l’homme a musicalement travaillé sa partition pour se rapprocher d’une forme Néo-Classique de BM sans les prétentions académiques de ses contemporains, et surtout, sans laisser de côté l’efficacité et la brutalité que tout album de BM se doit de prôner au risque de sombrer dans les affres du Post lénifiant de vacuité et de flagornerie. Chaque plan est validé de sa pertinence propre et de son appartenance à un tout plus grand, et quelle démonstration plus probante que « Œuvre au Noir », morceau le plus long de l’album très judicieusement proposé en ouverture qui assume son exubérance et sa pluralité sans avoir à s’en cacher.

Difficile toutefois de situer la démarche de Grand Œuvre autrement qu’en la comparant aux autres signatures du label. On retrouve le fil rouge qui a toujours lié les groupes des Acteurs entre eux, cette ambition démesurée, presque désespérée dans l’espoir de proposer une musique vraiment riche et originale sans tomber dans le piège de l’incohérence, cette facilité à empiler les textures pour ériger des cathédrales sonores que les fidèles peuvent admirer à des kilomètres à la ronde. Les guitares ici sont employées au maximum de leurs capacités, distillant des arpèges acides corrosifs et des riffs mythiques à l’épaisseur conséquente, et la rythmique, loin d’être une simple excuse de vitesse ou de lourdeur se partage entre des blasts hérités de l’école nordique des 90’s et des parties plus alambiquées et techniques dignes du Death progressif le plus imperfectible de la décennie suivante. Et une fois n’est pas coutume, malgré un laïus aussi long que d’ordinaire, je ne parlerai pas plus en détail des six chapitres qui constitue l’ossature de ce premier album, car justement cet album est un tout indissociable, qu’une analyse segmentaire insulterait de sa facilité lénifiante. Comme son nom l’indique, Grand Œuvre est un travail de fond, un travail de longue haleine, qu’il faut d’abord envisager dans sa globalité avant d’en remarquer les moindres détails ciselés. Une sorte de plafond de chapelle Sixtine revue et délocalisée à Lyon, mais qui pourrait se trouver n’importe où en Europe, là où les grandes orgues résonnent à des heures incongrues. Libre à vous évidemment de désosser l’ensemble pour en retirer la substantifique moelle, ce que les nombreux ponts, breaks, accalmies vocales et autres embardées de cruauté vous permettront de faire, mais laissez-moi garder cet album en l’état, et vous convaincre de son caractère d’importance sans avoir à tomber dans la vulgarité de détail. Avec sa production d’une ampleur majestueuse, ses allusions à MY DYING BRIDE qui n’en sont pas, ses accès de rage larvée nous ramenant aux grandes heures du BM des origines, et ses longs crescendos de douleur, Grand Œuvre est une allégorie fascinante sur la situation actuelle du Black, qui semble chercher une voie de sortie tout en proposant ses travaux les plus fondamentaux. Paradoxe d’une époque en impasse créative qui pourtant nous présente ses artistes les plus exemplaires…

Mélodique, lent, extrêmement véloce, harmonieux, dissonant, TRISTE TERRE est un peu le reflet d’une mystique de siècles de lucidité qui voient les époques se succéder et les problématiques rester les mêmes. Une leçon de spiritualité qui admettrait le caractère foncièrement violent de la nature humaine, mais qui ne laisserait pas ses philosophies pointues prendre le pas sur l’efficacité d’une musique qui en a besoin pour convaincre. Dualité prosaïque, dichotomie ultime qui justement permet à la création de franchir une étape de plus sur le chemin de la rédemption, et plus simplement, encore une preuve de bon goût de la part d’un label qui devient pénible à refuser de se tromper.                  


Titres de l'album :

                           1.Œuvre au Noir                    

                           2.Corps Glorieux                   

                           3.Nobles Luminaires             

                           4.Grand Architecte               

                           5.Lueur Emérite

                           6.Tribut Solennel

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par mortne2001 le 16/03/2019 à 14:51
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