Retrouver sur le site de Télérama une notule traitant de la parution du second album du projet THROANE est à peu près aussi incongru que dénicher un article consacré au dernier Jörg Buttgereit dans les pages des Cahiers du Cinéma. Incongru, mais pas déplacé pour autant. La musique de Dehn Sora est suffisamment viscérale et intellectuelle pour intéresser les journalistes élitistes se repaissant d’ordinaire de sorties minimalistes réservées à un public trié sur le volet, et autant dire que ce second volet pourrait se voir comme l’équivalent musical du Mother ! de Darren Aronofsky, avec en lieu et place d’une parabole sur les affres de la création artistique, une complaisance quant à l’état d’un monde qui s’effondre sur ses bases et condamnant l’humanité à la perdition totale. Mais pardonnez à l’auteur son incrédulité, au moment de découvrir cette sublime pochette accompagnée de quelques lignes explicatives sur fond de bandeau publicitaire du Dunkerque de Nolan. Décalage intéressant en soi, mais surtout révélateur de l’impact musical de ce graphiste hors-norme, qui traite tous les arts avec la même passion, et le même investissement. Outre ses travaux visuels pour des groupes aussi reconnus que BLUT AUS NORD, MERRIMACK, DEATHSPELL OMEGA ou ULVER, Dehn Sora est aujourd’hui aussi admiré pour ses expérimentations sonores au sein de THROANE, one-man-band s’étant fait méchamment remarquer l’année dernière via la parution du monumental mais encore un peu rigide Derrière-Nous, La Lumière, qui proposait une conception très personnelle d’un Post Black à la rigidité Indus. Les qualités étaient évidemment flagrantes, mais on sentait encore en filigrane une certaine timidité de ton, et on savait l’homme/musicien/graphiste capable d’aller beaucoup plus loin, tout en conservant des critères de qualités drastiques. La preuve de cette assertion à priori est aujourd’hui donnée par ce majestueusement sombre Plus Une Main à Mordre, qui risque de planter ses crocs dans celle qui l’a nourri. Mais comme la main qui berce l’enfant est la main qui domine le monde, on sait d’avance que le concepteur a pris soin de son nouveau-né.
Dehn Sora a perfectionné son approche, utilisant sans doute ses expériences externes comme moteur pour parvenir à des fins plus absolues. Le travail accompli avec son projet Ambient TREHA SEKTORI a certainement dû se voir capitalisé au moment de la conception de ce second LP, qui gomme toutes les petites erreurs du précédent, pour s’approcher d’une imperfectibilité méchamment tangible, qui transforme de petits opéras de terreur en descriptions d’un monde infernal, dans lequel l’homme cherche à trouver sa place sans interrompre sa déchéance. Six chapitres pour un volume conséquent, une recherche permanente de sons susceptibles de pousser plus en avant la quête, et surtout, un traitement sonore tout bonnement sidérant de puissance écrasante, tels sont les ingrédients de ce Plus Une Main à Mordre qui offre un sourire carnassier mais édenté à la face d’un panel de fans médusés de voir leur nouveau héros toiser de sa superbe morgue les cadors les plus inamovibles du créneau. De fait, et pour valider une telle entreprise, il fallait une intro à la grandiloquence adaptée, ce que « Aux Tirs et Aux Traits » est incontestablement. Riffs tordus qui s’entremêlent dans une orgie sonore repoussant les frontières du chaos, richesse des textures, strates de lignes vocales se débattant au milieu d’une jungle de gravité obsessionnelle, la mise en jambes n’a pas raté la marche, et l’esprit est déjà conquis par la noirceur ambiante, qui se permet quand même l’exposition à des rais de lumière blême pour ne pas sombrer dans le nihilisme sans retour. Le travail accompli sur les rythmiques est notable, et profite d’une expérience acquise en une seule année, ce qui en dit très long sur la marge de progression du projet. Dehn Sora ne s’est pas contenté cette fois-ci de trousser quelques beats évidents pour soutenir la charge immense de son instrumental, et a peaufiné tous les aspects de son jeu (en multi-instrumentiste de talent) pour transformer sa créature en observateur résigné d’une chute annoncée. En à peine moins de dix minutes, l’auteur propose plus d’idées que nombre de groupes le font en une discographie entière, et se place à la jonction des chemins Black, Post Black, Indus et Ambient, sans pour autant le céder à la facilité de plans enchaînés sans logique. La sienne est implacable, et se distille au son de guitares qui soudain se taisent pour laisser gronder le silence.
Le silence est d’ailleurs une composante très importante de ce second effort. A la manière d’un NEUROSIS qui n’a jamais hésité à aménager de longues plages contemplatives pour donner plus d’ampleur aux accès de rage, THROANE laisse respirer sa souffrance pour enflammer un système respiratoire musical à l’agonie, qui sait pourtant s’abreuver d’oxygène pour ne pas mourir trop vite. Les crises d’asthme sont soignées par des nappes de cordes évanescentes, et par des percussions éparses, qui plantent le climat sans altérer la perception de la cruauté. Cette même puissance trouve un écho formidable dans la simplicité d’apparence de « Et Ceux en qui Ils Croyaient », qui s’aventure sur le terrain miné du Post Black le plus glauque, et salue bien bas au passage le spectre de DEATHSPELL OMEGA, sans pour autant lui rendre un hommage trop poussé. Processionnel et funèbre, Plus Une Main à Mordre cherche constamment à mettre en avant cette dualité mélodie/bruit, pour en redéfinir les contours, qui épousent l’ombre d’un Post Black décidément beaucoup trop impliqué pour rester contemplatif (« A Trop Réclamer les Vers »), Post-Black qui n’hésite pas à chercher l’accalmie pour s’insinuer sous le derme d’un corps qu’on met en terre, et qui a déjà commencé à pourrir au soleil de l’intransigeance rythmique. L’opposition entre le côté martial du traitement et le ressenti analogique des pistes qui offrent une progression constante est flagrant, et la guitare se meut tel le proverbial serpent, initiant au vice pour mieux prôner la vertu.
On pourrait se demander au juste quel est le point d’accroche le plus viable de ce projet, mais c’est justement cette absence de repères qui le rend si fascinant, spécialement lorsque le concepteur s’abandonne à ses propres démons, en osant le final progressif en concentrique, sur plus de onze minutes d’introspection. En tant que morceau éponyme, et donc de métonymie globale, «Plus Une Main à Mordre », appuie encore plus sur les composantes écrasantes du reste de l’œuvre, et se veut adaptation des standards 90’s en termes de Post Hardcore dans un contexte de BM sludgy et glauque, sans pour autant renier la cohérence globale dont il se veut image. Encore une fois, Dehn joue le jeu de l’alternance, et trousse des atmosphères ambiantes troublantes de beauté glacée, usant de l’écho, des rebondissements aigus, de la redondance de feedback, et de tout ce qui a toujours rendu le travail de LUSTMORD aussi étrange et captivant. Les reprises sont évidemment explosives, les riffs toujours plus compressés, et pourtant, le tout dégage une impression de respiration dans la suffocation qui prend des airs de remontée à la surface après une apnée un peu trop prolongée. Et là est bien l’analogie la plus pertinente d’un second album qui a évité tous les pièges de la facilité. Plus Une Main à Mordre est une œuvre étouffante, qui nous opprime avant de nous offrir le peu d’air dont nous avons besoin, et qui pratique avec bonheur l’art séculaire de la torture psychologique, déclenchant un syndrome de Stockholm chez ses fans les plus acharnés. THROANE vous veut visiblement du mal, mais vous continuez à le voir comme le sauveur qu’il est finalement. Un sauveur qui nous isole des convenances de la plèbe artistique, en faisant toujours le choix le plus complexe qui soit. Dès lors, il n’est finalement pas si étonnant que ça de retrouver le musicien dans les colonnes d’un magazine aussi respectable que Télérama. Car son art dépasse les clivages artistiques intellectuels d’usage. Mais aussi la médiocrité ambiante d’un extrême qui se contente souvent de choquer dans le vide pour exister. Dehn ne mord pas la main qui le nourrit. Il mord la main qui se résigne au plus facile. Nuance de taille.
Titres de l'album:
Le Metal est parfois sur le fil du rasoir de la beauferie... Voire tombe carrément dedans.
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Vidéo vue, merci.De mon côté, je préfère le son de Sublime à celui de Disincarnate et c'est aussi le style de death que j'affectionne. Bien lourd, posé et mid tempo tout en étant agressif. Par exemple, c'est pour cela qu(...)
20/04/2025, 18:02
Comme je le dis dans la vidéo, leur sommet c'est Desincarnate. Puis The Burial Ground. Je suis moins fan de Sublime.
20/04/2025, 14:08
Pour moi Loudblast c'est surtout Sublime Dementia et Cross the Threshold. (Quand à la vidéo je ne manquerai pas de la regarder ce soir).
20/04/2025, 12:45
Si je comprends, cette charge allait contre cette part non négligeable du public Metal qui reste bloquée aux groupes de leur jeunesse mais ont cessé de se tenir au courant dès qu'ils ont reçu des responsabilités (premier travail, première rela(...)
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J'écrit comme un enfant de 5 ans ici et je dois encore ajouter des précisions, imagine le truc, peut-être que l'Ehpad c'est metalnews au final. Combien de personnes postent depuis leur lit de mort ici ?Le metal généraliste c'est d&eacut(...)
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J'ai pas tenu 30 s...J'imagine qu'ils seront sur la mainstage au HELLFEST en juin prochain non ?
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Jus de cadavre, je parle pas des captations audio dans un instant précis, je crois d'ailleurs que certaines œuvres sont intemporelles, mais ce qu'il reste de ces gens aujourd'hui, c'est extrêmement différent. Bien entendu qu'il faut écoute(...)
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