Il y a des choses qu’on s’interdit, assez bêtement d’ailleurs. Ou plutôt, qu’on se force à ne pas faire, eu égard à des préjugés qui ont décidément la vie très dure. Parce qu’on les estime sans intérêt, parce qu’on se considère au-dessus de ça, parce que l’expérience passée reste ancrée dans le présent comme un dogme inaliénable. Ainsi, face à la production actuelle, j’ai toujours eu un réflexe de défense au regard de certains artistes que je considère comme galvaudés, surestimés, ou au contraire, trop cliché pour m’intéresser. C’est le cas des anglais de CRADLE OF FILTH, dont j’ai quitté le navire il y fort longtemps. Le point de rupture a été atteint par Midian je crois, le dernier album à avoir titillé ma curiosité. Depuis, entre les changements de line-up, les albums qui semblaient recycler sans vergogne, je suis complètement passé à côté du truc, tandis que les hordes se divisaient en deux camps. Ceux pour qui CRADLE OF FILTH est le GHOST du Metal extrême, et ceux qui vénèrent Dani au point de l’ériger en chantre du BM symphonique.
Existe-t-il un entre-deux ? Une sorte de purgatoire qui héberge les esprits indécis, ceux qui furent charmés en son temps par Dusk and Her Embrace ? Je pense que oui, puisque j’y erre depuis plus de deux décades, persuadé que le collectif anglais n’a plus rien de pertinent à dire depuis longtemps. Mais au vu des réactions suscitées par ce quatorzième album, je me suis interrogé. Peut-être était-il ridicule de m’enfermer dans mon obstination, et peut-être était-il temps de reconnaître une évidence : CRADLE OF FILTH peut encore sortir de bons albums, et même de très bons. La preuve en neuf morceaux, sur ce The Screaming Of The Valkyries qui m’a surpris par sa pertinence, son efficacité et son optique résolument populaire, mais pas putassière. Exit les clips ridicules des années 90/2000, et bonjour l’inspiration old-school et l’autocritique. Un bon choix.
Avec une formation encore renouvelée, CRADLE OF FILTH s’appuie aujourd’hui sur des individualités notables. Je ne cacherai pas que la puce qui s’est introduite dans mon oreille a voyagé suite à l’annonce de l’intégration de Zoe Federoff, claviériste/chanteuse dont j’apprécie l’univers. La blonde diaphane allait-elle apporter tout son savoir-faire à cette institution inamovible et totalement sous contrôle du lutin fardé Dani Filth ? Le fait est que oui, et pas seulement en termes d’arrangements et d’allusions discrètes en arrière-plan. Dani s’est trouvé une alter-ego capable de remettre en question sa suprématie, qui lutte constamment contre le chant si symptomatique du leader. Les parties durant lesquelles les deux musiciens s’affrontent dans une joute vocale sont les meilleurs passages de ce nouvel album, même si la boutique est fermement tenue par quatre autres musiciens du même acabit.
Le guitariste Marek Smerda, le bassiste Daniel Firth, déjà là depuis une dizaine d’années, le batteur Martin
Skaroupka à la batterie depuis deux décennies, le petit dernier Donny Burbage à la seconde guitare, largement de quoi voir venir et composer un répertoire inattaquable, un résultat que je n’osais plus espérer, tout en admettant mon indifférence de ces dernières décades. Mais en tombant directement sur le catchy « To Live Deliciously », j’ai cru retrouver le FILTH que j’avais tant aimé sur l’EP From the Cradle to the Enslave. Mêmes gimmicks, même attitude de divertissement, à tel point qu’on a parfois le sentiment d’écouter un vieil ACCEPT tombé en pamoison devant un hiver norvégien. « The Trinity of Shadows » recycle ainsi le Heavy Metal de papa à la sauce 2025, empruntant ces riffs si caractéristiques, mais aussi ces chœurs à l’allemande que le monde entier leur envie.
The Screaming Of The Valkyries a été perçu comme un survol de la carrière de COF. C’est en effet une des options, mais il convient de l’appréhender comme un album ouvert, tourné vers l’avenir tout en assumant la réputation passée. On le sent au meilleur sur le troublant « Non Omnis Moriar », d’une majesté moite, et à l’atmosphère subtilement gothique, Zoe donnant encore de sa personne pour placer des envolées évanescentes et spectrales. Contrebalançant la poétique du morceau, Dani va puiser dans ses ressources les plus graves pour incarner le conteur horrifique qu’il a toujours été, et le contraste entre son chant et celui de Zoe permet de dessiner des contours victoriens rehaussés d’une touche de la Hammer des années 70.
Mais le CRADLE des jeunes années n’en est pas pour autant laissé sur le bord du mythe. « White Hellebore » réveille les anciens démons, et nous fauche d’une gerbe de blasts, avant de bifurquer vers un Metal accrocheur en diable et susceptible d’affoler les foules lors des festivals d’été. Ce regain d’intérêt de la part de ceux qui comme moi, ont décroché les wagons il y a longtemps est un indicateur de la qualité intrinsèque d’un disque aussi frais qu’il n’est écorché. Le groupe semble soudé comme jamais, et nous aiguille sur les longues nuits des années 90, lorsque le quintet représentait la quintessence du Black Metal symphonique. Enfin sa vitrine la plus éclairée.
On pouvait craindre une euphorie de départ, débouchant obligatoirement sur un ventre mou, avant un sursaut d’orgueil final. Mais il n’en est rien, puisque l’axe central est aussi solide que les extrémités. Dans un registre IRON MAIDEN au pays des horreurs, « You Are My Nautilus » se pose-là, et rend hommage à l’autre mastodonte anglais que COF avait repris avec plus ou moins de brio.
Un gros travail sur les percussions, des plans finalisés avec soin, des breaks qui enfument et sentent l’encens à des kilomètres, pour un voyage entre frayeur et bonheur. Les nouveaux titres sont d’une qualité extraordinaire, et The Screaming Of The Valkyries pourrait bien être l’œuvre la plus ouverte du groupe. Si Dani affiche une forme insolente, ses deux guitaristes citent volontiers la sacro-sainte NWOBHM via quelques tierces bien placées et autres mélodies de concert.
S’évader de la réalité
C’est ainsi que Dani définit son album, lui qui garde le temple des illusions depuis l’origine. Produit, enregistré, mixé et masterisé par Scott Atkins aux Grindstone Studios dans le Suffolk, en Angleterre, ce quatorzième chapitre de la saga relance toute la mystique, et met les compteurs à jour. « Malignant Perfection » se veut aussi insidieux qu’addictif, mais « Ex Sanguine Draculae » se concentre sur cette fascination vampirique qui a beaucoup joué dans l’imagerie. Le nouveau look est d’ailleurs à la hauteur des ambitions, avec un Dani trônant fièrement au-dessus de ses troupes, arborant un maquillage digne d’un Clive Barker.
« When Misery Was A Stranger » referme cette excellente parenthèse en reprenant les codes de l’ouverture « To Live Deliciously », et propose une conclusion parfaite à un exercice de très haute volée. Certains parlent même déjà du meilleur album depuis (à chacun de mettre le titre qui lui convient), ce que je ne contredirai pas, puisque je n’ai malheureusement pas le bagage adéquat pour remettre un jugement définitif.
Ce que je peux simplement dire, c’est que j’ai pris beaucoup de plaisir lors de ces retrouvailles. CRADLE OF FILTH sans se renier mais sans stagner m’a offert une heure très agréable en sa compagnie, et j’espère sincèrement que ce line-up va durer, tant il renvoie l’image d’un véritable groupe et pas d’un simple backing band. Comme les bons crus, The Screaming Of The Valkyries flotte en son fond de particules d’une pourriture noble.
Titres de l’album:
01. To Live Deliciously
02. Demagoguery
03. The Trinity Of Shadows
04. Non Omnis Moriar
05. White Hellebore
06. You Are My Nautilus
07. Malignant Perfection
08. Ex Sanguine Draculae
09. When Misery Was A Stranger
Excellente chronique que je me suis empressé de partager.
Je te conseille tout de même de te plonger dans les albums sortis depuis 2015 (en débutant donc par Hammer of The Witches). Tu remarqueras certainement que le groupe est véritablement sur une très belle renaissance avec cette suite de 4 albums.
Stay Filthy
Je me demande comment fait Rogga Johansson, avec autant de groupes, il arrive toujours à sortir des trucs vraiment bons !! Quelle energie !!
13/06/2025, 00:29
En fait, ce qui me pose problème, ce n'est pas le fait d'aimer ou pas ce genre de vidéo (lyrics video), c'est les remarques dépréciatives (condescendantes) d'Akerfeldt à ce sujet. Bien sûr, c'est super d'avoir un bon clip, seu(...)
12/06/2025, 01:04
Author & Punisher est aussi annoncé à Montpellier le 23 octobre 2025 avec Wyatt E et Yarostan à la place de Bong-Râ.
11/06/2025, 12:53
Ça vaut vraiment le coup d'écouter ce qu'ils font, j'aime beaucoup et c'est vraiment bon !
09/06/2025, 21:35
Je comprends son raisonnement car je le partage en partie. Je déteste le mot "contenu" quand on parle de vidéo. Ca ne veut pas dire grand chose. Les lyrics video, je trouve que c'est une solution de facilité. On se contente de coller une(...)
07/06/2025, 09:04
J'suis probablement trop vieux, je trouve ça atroce, autant à écouter qu'à regarder.
07/06/2025, 08:32
Ben, mince alors, c'est un vieux con Akerfeldt, en fait... dommage... après, tant que la musique est bonne, que demande le peuple ? (Après, je suppose qu'il n'arrivera jamais au niveau de Chris Barnes, mais, bon...)
06/06/2025, 18:05
Mouais, un peu médiocre son commentaire sur les lyrics videos... perso, j'aime bien avoir la musique et le texte qui défile... c'est pas spécialement élaboré mais je voix pas en quoi c'est minable...
06/06/2025, 18:02
Cet album me procure le même effet que le précédent album sorti en 2020 : une pure tuerie !
04/06/2025, 21:00