Même sans le savoir à l’avance, il n’est pas difficile de deviner que NOCTURNUS AD a des liens étroits avec la bête floridienne MORBID ANGEL. Même tendance à ne choisir que les riffs les plus complexes, même propension à la grandiloquence, pour une unité de frères de sang. Evidemment, lorsqu’on sait, on le sent d’autant plus que Mike Browning n’a pas changé son approche depuis la fin des années 80. Tout au plus l’a-t-il perfectionnée, poussée aux extrêmes, mais le fond reste le même.
Et il est très chaud, même pour la saison.
NOCTURNUS AD/ NOCTURNUS, même combat. Depuis la reformation du groupe et son nouveau baptême en 1999, les mutations ont été nombreuses, mais les albums rares. Il aura fallu attendre 2019 pour que la nouvelle monstruosité enfante d’une hydre à vingt têtes, Paradox. Mais immédiatement, les frissons remontaient le temps, et nous le trouvions long à attendre une suite potentielle, qui arrive enfin cinq ans plus tard. Mais croyez-moi, l’attente en valait la peine tant cet Unicursal est dense, complet, profond et terriblement agressif.
Mike est pour l’occasion accompagné par Demian Heftel et Belial Koblak aux guitares, Josh Holdren aux claviers, et Kyle Sokol à la basse (bien qu’elle soit tenue par Daniel Tucker sur l’album). Et autant dire qu’il est très bien entouré, par des musiciens aussi fous et extrêmes que lui, ce qu’il lui fallait pour enregistrer ce qu’il considère déjà comme le magnum opus de sa carrière. Nous patienterons quelques années pour lui décerner ce titre, mais en l’état, et après une dizaine d’écoutes, je ne peux qu’être d’accord avec l’enthousiasme du tempétueux batteur.
Moins sci-fi que la première incarnation du groupe, NOCTURNUS AD sonne aujourd’hui comme un adolescent adopté conjointement par MORBID ANGEL, ATHEIST et DEATH. Un adolescent tourmenté, bipolaire, qui change d’humeur comme de caleçon, mais qui possède de grandes capacités, dont celle de régner sur le monde du Death Progressif sans partage. Les débats avec lui ont été poussés dans leurs derniers retranchements, et le résultat de l’examen est sans appel : Unicursal est le fruit d’une réflexion complexe, et une partition chargée lue par des professionnels de la puissance incarnée.
Enrobé dans une énorme production qui transforme le chant en quatrième ligne rythmique, ce deuxième album post-reformation fait la part belle aux plans imbriqués, aux idées télescopées, et au respect des dogmes floridiens les plus puristes. Pas question de se brader pour faire du pied à la table old-school, NOCTURNUS AD n’est pas aussi vulgaire, et toujours à cheval sur ses principes. Des principes d’arythmie, d’harmonies surnaturelles, et d’un emballage fictionnel qui questionne Nietzsche, mais qui surtout poursuit la narration de Paradox. Nous retrouvons donc le Dr Magus, engoncé dans son armure bio-tech, avec pour mission de traverser les sphères à la recherche de l’arbre de vie kabbalistique. Durant ses aventures, Magus passera par Malkuth, Yesod, Hod, et Netzach, et rencontrera évidemment de nouvelles civilisations pour mieux affronter des dangers indicibles. Mais seule la seconde partie de l’album est consacrée à cette saga, puisque la première se contente de thèmes occultes déjà largement abordés par les œuvres précédentes. Les mystères de l’univers n’en finissent donc pas d’inspirer ce cher Mike, qui se fait plaisir en parlant de sujets qui lui tiennent à cœur, ce qu’il fait depuis le séminal et indétrônable The Key.
Selon son auteur, Unicursal est justement un album qui tient la comparaison avec ce classique indémodable. Techniquement parlant, le postulat est assez raisonnable, et musicalement, il est aussi difficile de le remettre en question. NOCTURNUS AD continue d’alimenter ses fantasmes à grand renfort d’effets de claviers, de samples, de chœurs désincarnés et autres déviances mélodiques, pour mieux équilibrer son côté le plus sauvage et brutal. Tous les éléments sont en place dès « The Ascension Throne of Osiris ». On reconnaît immédiatement ce son si particulier, cette patine ombrageuse qui a permis au groupe de se détacher de la tutelle encombrante de son état d’origine, et cette rythmique en coup du lapin qui surprendra même les adorateurs de Pete Sandoval. Mike n’a pas perdu la main, même si le son de sa batterie est parfois discutable, lors des séquences les plus intenses.
Mais avec des lieutenants de cet acabit, le percussionniste peut se laisser aller à son imagination la plus débridée, celle qui a servi de terreau à un petit chef d’œuvre comme « Mesolithic », pavé de huit minutes que l’on dévore comme un livre ancien révélant ses secrets par petites touches sans jamais dévoiler la moindre vérité incontestable. Il faut en effet croire en NOCTURNUS AD pour accepter ses enseignements et les suivre fidèlement, et les fans du groupe seront donc ravis de renouveler la confiance qu’ils ont accordée au groupe il y a quelques décennies déjà.
Moderne sans être opportuniste, nostalgique sans être old-school à tout prix, ce deuxième album est une vraie réussite, ne le cachons pas. Alors que nombre de groupes portés sur la complexité se perdent souvent dans un labyrinthe qu’ils ont mal dessiné, NOCTURNUS AD sait exactement où il va, même si son champ d’action est sans limite réelle ou concrète. Et en découvrant l’énorme « Mission Malkuth », on appréhende le chemin parcouru depuis les débuts de l’aventure.
Il faut écouter l’album, le réécouter, et l’écouter encore pour en saisir toutes les nuances et subtilités. Même certains morceaux, comme le long et envoutant « Hod, the Stellar Light » exigent une attention permanente, tant leurs pièces sont assemblées avec soin et logique. Le tout peut paraître chargé, trop ambitieux même pompeux pour certains, mais ceux capables d’apprécier une telle somme de travail en feront leur album de l’année, considérant le peu de concurrence sur ce terrain.
Je dirais bien qu’Unicursal est une énorme surprise, mais je n’en attendais pas moins d’un tel groupe. Disons plutôt que malgré des attentes énormes, la satisfaction est tout de même encore plus intense que prévue. Avec huit morceaux solides et inextricables, une envie renouvelée et un appétit gigantesque, NOCTURNUS AD bouffe la concurrence et nous propulse dans un espace-temps différent, pour nous raconter comment le vide stellaire va tous nous avaler un jour ou l’autre.
Titres de l’album :
01. Intro
02. The Ascension Throne of Osiris
03. CephaloGod
04. Mesolithic
05. Organism 46B
06. Mission Malkuth
07. Yesod, the Darkside of the Moon
08. Hod, the Stellar Light
09. Netzach, the Fire of Victory
10. Outro
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